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Strasbourg : l’écaille des bâtards

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“On ne peut pas peindre du blanc sur du blanc, du noir sur du noir. Chacun a besoin de l’autre pour se révéler.”

Ces garçons-là, comme le chante Radio Elvis, rayonnent de leur impertinence, ont toujours un mot pour plaire, savent y faire, virils et sûrs d’eux, séducteurs clignant des yeux au moment opportun. Ils rendent les joues écarlates par cette façon au ralenti qu’ils ont de prononcer des mots qui percutent, qui fouettent le sang qui ne fait plus qu’un tour dans les têtes des cœurs d’artichaut en appareil dentaire.

Lui, fait partie des autres garçons.

Lorsqu’il pose sa serviette Roland Garros 2018 sur l’herbe épuisée aux abords du lac du Baggersee, il se souvient de ce temps où Nadal régnait sur la terre battue et où son grand-père tentait de lui transmettre son amour du tennis, et plus généralement du sport, lui qui fut l’un des piliers de la grande époque des Pierrots Vauban de Strasbourg. Surnommé “le chat noir” à cause de son maillot noir et de son style félin, aérien, de cette souplesse, cette détente, cette prise de balle exceptionnelle lui permettant d’attraper le cuir au milieu des étoiles, là où les lucarnes ne sont que des trous noirs entre une barre transversale et un poteau carré.

Les mains sur les hanches, il scrute l’horizon afin de déterminer un périmètre de sécurité qui lui assurera un minimum de tranquillité durant cette longue après-midi estivale, où le temps ne passe pas depuis que son meilleur ami, Lucas, fut contraint d’accompagner ses parents à Bandol, dans la villa familiale, comme presque chaque mois d’août depuis quinze ans. Son téléphone vibre dans la poche de son bermuda. Un texto de Lucas s’affiche, accompagné d’une vidéo où il exhibe avec fatalité un coup de soleil impressionnant sur ses épaules qui pèlent déjà excessivement : “Tu veux un peu de parmesan sur tes macaronis ? Lol.”

Il neige de la peau morte sur son écran. Ne manque plus que la Tour Eiffel et la musique d’Amélie Poulain en fond, et l’on se croirait à Montmartre, à se faire tirer une caricature express au crayon à papier ou à jouer au figurant dans un épisode caricatural d’Emily in Paris, un béret sur la tête et une baguette sous le bras. Cette nuit, dans les résidences secondaires du sud de la France, là où l’été ne se cache pas derrière un parapluie, les bombardiers  largueront leur chargement de Biafine sur les peaux brûlées, accordant un peu de répit à ceux qui dormiront sur le ventre pour ne pas gémir à chaque contact avec leur matelas-barbecue Bultex.

En Alsace, il pleut depuis plus d’un mois. Il rêve de sentir l’arrogance du soleil sur son visage pâlot, de lui rouler une pelle pour se rappeler ce que ça fait de mettre la langue dans la bouche de quelqu’un.

Il vérifie que personne ne l’observe et se hasarde à retirer son t-shirt imprégné de sueur, le posant en boule sur son ventre qu’il ne supporte plus. Se dénuder l’incommode. Son corps chétif, ses côtes presque saillantes, les boutons qui s’invitent sur son dos depuis le début du collège et cette bedaine flasque qui fait tache au milieu de courbes trop sèches, trop fragiles, lui confère une silhouette de vieillard à la voix nasillarde d’adolescent.

Il a hésité à se raser les poils sous les aisselles et sur le torse avant de prendre son vélo ce matin. Sa sœur maintient que ça fait plus sexy et que son copain qui est au lycée s’épile même l’entrejambe à la cire à épiler. Il a vu ça sur YouPorn. Des étalons bodybuildés membrés comme des poneys, recouverts d’auto-bronzant, glabres de partout, cherchant à battre un record, à réaliser une performance avec une actrice russe qui ne sait pas vraiment ce qu’elle fait là, qui est certainement mentalement ailleurs, dans une voiture qui fait des tonneaux, encore et encore, jusqu’à ce que Conan le Barbare gémisse et que le cameraman lui tende un morceau de sopalin en guise de libération . 

Dans sa famille, personne n’est d’accord à ce sujet. Son père trouve que “ça fait PD” et qu’il est temps qu’il se comporte comme un homme, “un vrai”, qu’il se trouve une petite copine et qu’il sorte boire des bières comme tous les autres jeunes de son âge, comme ces garçons-là qui ouvrent les canettes avec leurs dents et qui font rire les filles en marchant sur les mains.

Des rites de passage qui renforcent ce sentiment d’être un boiteux qui ne montre presque jamais rien, de peur de perdre pied, d’être désarmé, cerné par celui ou celle qui le rendra fragile, de ne pas être à la hauteur des attentes des autres, de sa mère, de son père, de sa soeur, de ses professeurs, des filles à qui il ne se permet pas d’adresser la parole parce qu’il ne se permet pas d’être lui-même, mais un reflet de ce qu’il peut lire dans GQ. Il se met la pression et ne trouve pas sa place, cherchant des réponses sur Internet, sur des blogs de séducteurs professionnels vantant les mérites de la musculation, du machisme, des grosses bagnoles, dans des clips où un type recouvert de chaînettes en or fume un cigare entouré d’une dizaine de femmes en bikini qui se cambrent à ses pieds.

À l’inverse, il lui arrive de se plonger excessivement dans des livres de poésie, où être un dandy est l’aboutissement ultime. Le raffinement vestimentaire, la haute culture littéraire, les goûts d’esthète et l’impertinence entrent en résistance contre la vulgarité d’une époque où être sensible, c’est se faire traiter de “pleureuse” ou de “fragile” sur les réseaux sociaux. Alors entre Baudelaire qui affirme que “l’homme finit par ressembler à ce qu’il voudrait être : une caricature ou une statue antique”, et Rocco Siffredi qui se vante d’avoir couché avec plus de 5 000 femmes, il ne veut pas choisir, mais juste être le garçon qu’il est.

Pourquoi se résoudre à intégrer un monde binaire, où les pensées absolutistes dirigent le quotidien du matin au soir ? De l’insurrection au Liban à la liberté de Britney Spears, chacun possède visiblement la vérité absolue sur Facebook.

Cette pensée manichéenne simplifiant à outrance les rapports, du tout ou rien, bon ou mauvais, du beau ou laid, heureux ou triste, le rend fou. Il faut choisir et prendre position tout le temps, montrer les dents, argumenter, faire partie d’une communauté, d’un groupe, être anti-vaccin ou pro-vaccin, être contre ou avec toi, du bon côté ou du côté obscur de la force, à droite ou à gauche, supporter Metz ou Strasbourg, Mario ou Sonic, les Beatles ou les Rolling Stones, être dans le camp des complotistes ou des collabos, homo ou hétéro, beau ou laid, Sega ou Nintendo, Cypress Hill ou Nirvana, Sangoku ou Végéta. S’affirmer à l’extrême en laissant les paradoxes sur le bord de la route, parce que ne pas se prononcer, hésiter, prendre du recul, c’est être mou et passer pour quelqu’un de faible qui ne tranche pas.

Le monde n’est pas blanc ou noir, mais gris, comme le pelage nuancé d’un chat qui attend des caresses.

Lui, aime les gens qui écoutent leur cœur se balancer, qui disent, se contredisent, tremblent, se trompent et l’admettent. Ces gens-là passent bien souvent pour des cons pas très à l’aise dans leurs godasses, des indécis qui étudient les questions avec des « si », qui paniquent face à la logique, qui n’ont pas peur de s’approprier les choses avec les yeux des enfants, qui font ce qu’ils peuvent avec la tendresse envahissante de la naïveté. Le doute l’emmène errer dans des bois sombres, fait de jour et d’ombre, où le demi plutôt que l’entier rampe au fond de son âme comme le fond tiède d’un verre de bière suave.

Aussi longtemps qu’il aura des doutes, il aura des scrupules. Il ne sera qu’un élève à l’école de la vérité, un bâtard aux écailles bienveillantes, un agitateur à l’écart, un type chelou qu’on regarde de travers, une grimace au milieu d’un visage, une limace le long du rivage, de la neige en été, un mélange de millions de choses. Parce qu’il saura qu’il ne sait pas tout, qu’être sage prend du temps, et que sans cette folie palpitante, la vie ne serait qu’une pizza froide sans ananas.

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