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Strasbourg : Yassine, l’étoile filante du tram C

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Le tram glisse sur la ville endormie. De mon siège, le monde défile au ralenti. Le ciel gris pleure sa mélancolie sur une succession de barres bétonnées. Les pylônes arrogants, témoins sans parole de quartiers délaissés, dominent les parkings de supermarchés désertés. Le wagon pue la bouffe réchauffée. Une première paumée s’installe en face de moi, sur un siège taché de ketchup desséché. Place 145.

La brioche Pasquier chimique au chocolat roule dans son gosier.

Pélican affamé, elle bouquine sur une liseuse froide à l’écran agressif, frigide de la tendresse du papier. L’odeur d’un livre jauni. La page rêche qui glisse entre les doigts telle la langue d’un chat assoiffé. Un bon livre est un livre qui se referme avec le sentiment d’être perdu, de ne plus être le même que celui qui l’a commencé. Les tablettes doivent restées en chocolat et non pas des supports à mots téléchargés sur Amazon parce qu’ils coûtent moins chers. Bientôt Lidl publiera les œuvres de Camu ou de Proust pour 90 centimes et les bibliothèques deviendront des hard-discounts du téléchargement. A la recherche du temps perdu sera référencé à côté d’une boite de cassoulet Saupiquet et Molière s’écoutera en livre audio pendant la préparation d’une blanquette de veau. On pourra entendre les corps d’Amélie Nothomb et de Sylvain Tesson s’écraser au sol dans un cri sourd. George Orwell avait vu juste, chaque génération se croit plus intelligente que la précédente et plus sage que la suivante.

Un arrêt, encore un.Les fourmis descendent en talons aiguilles, disparaissant dans un tunnel à peine éclairé. Gare centrale.

La jour se lève, effronté. Mes cervicales portent plainte contre un dossier vert inconfortable. Mes jambes trop longues sont incompatibles avec le mobilier scandinave. Un halo irradie le compartiment, éclipse solaire sur cols blancs mal lunés. L’aura d’un petit homme curieux qui torpille sa grand-mère de questions existentielles.

Est-ce que les avions dans le ciel sont des trains avec des ailes ?

Est-ce que les nuages se font manger par le soleil ?

Est-ce que la lune dort la nuit ?

Il fixe le type à la grosse montre dorée avec malice, le renvoyant à sa stature d’adulte trop lisse. La buée se pose sur la paroi vitrée. De ses doigts fragiles, il esquisse un visage disproportionné. Basquiat anonyme dévorant un paquet de Pépito. Gustave Clim soufflant à plein poumons sur l’’œuvre éphémère qui s’évapore comme l’espoir d’un sans-papier.

Le petit démon s’endort, bercé par le tango affectueux du wagon. La dame ridée ferme la tirette de sa veste entrouverte.

Il s’effondre sur son épaule pour ouvrir les yeux, l’espace d’un court instant, avec la plus grande peine du monde. La lutte est inégale. Le sommeil est trop expérimenté pour lui laisser une chance. Il l’embrasse sournoisement sur le front. Bonne nuit mon adoré. Un spasme parcourt ses jambes trop courtes pour toucher le sol détrempé. Il sert les poings à plusieurs reprises volant d’immeubles en immeubles vêtu d’un costume de Spiderman.

« J’arrive Jeanne ! Ne crains rien ». Jeanne c’est sa chérie de l’école primaire. Je le sais parce qu’il a aussi interrogé sa mamie afin de savoir s’il pourra l’épouser quand il passera au CM2. Quand elle lui demande si il est certain de l’aimer, il lui dit qu’il n’arrive pas à l’expliquer avec des mots, que c’est comme ça, qu’à chaque fois qu’il est à côté d’elle il a l’impression que de minuscules créatures viennent chatouiller son cœur avec des griffes en coton et que ses jambes deviennent aussi molles que la tarte aux pommes trop cuite de sa sœur.

Il y’a des choses qu’on sait immédiatement, des évidences, même à 9 ans. L’amour en est une.

L’absence de son père en est une autre. Il voit bien que le monde n’est pas celui décrit dans ses manuels scolaires. Dans la rue, des êtres humains dorment sur des cartons alors qu’il neige tandis qu’à la télé, il a vu que 26 personnes sont aussi riches que la moitié de l’humanité. Un jour, dans le tram, il a entendu un monsieur traiter une dame de “sale noire”. Il a eu honte que personne ne réagisse. Les adultes sont bizarres. Il semble que beaucoup de choses dépendent de couleurs. Les gilets jaunes – les billets verts – la pilule bleue – l’or noir – le vin rouge – la poudre blanche – se faire des cheveux blancs – la vie en rose.

Une caresse chaude dans ses cheveux le sort d’une toile d’araignée.

« Mets tes gants et ton bonnet Yassine ». Il saute dans un tas de neige encore frais et propulse une boule compacte sur la porte du vaisseau spatial qui vogue vers un autre arrêt.

Ses yeux brillent comme des lucioles malicieuses et tracent un sourire sur le visage des passagers. Les étoiles filantes tombent parfois dans les tramways en laissant un sourire de bonheur sur le visage des voyageurs.


Mr Zag

Mr Zag a une voisine, un chat, des collègues, un job, il aime Lynch, Radiohead et Winshluss. Mr Zag a un Pinocchio tatoué sur le bras, quelques gribouilles en islandais, il ouvre les yeux et décrit le monde avec une vision bien à lui.

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