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Strasbourg : les ombres aux yeux de biche

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La nuit se pose maladroitement sur Strasbourg. Un voile de fraîcheur fait frissonner les pieds nus d’hermines frileuses déambulant en chaussures compensées. L’alcool réchauffe un troupeau de bœufs qui hurlent en t-shirts, installés fièrement en terrasse, pour exhiber un bronzage qui ne sera plus qu’un lointain souvenir dans quelques semaines.

L’été prend des RTT, épuisé par quatre mois de soleil, de baignade et de ciel bleu. L’automne émerge, dans le spleen et la mélancolie d’une mousse pourrie qui survie sur un tronc d’arbre.

Les premières feuilles mortes glissent sur la Cité. En octobre, les nuits sont déjà trop courtes. Le glacier claque la porte de sa camionnette et s’éloigne le long d’un chemin de terre étroit, suivi par des poussins en short qui cavalent à en perdre haleine, la larme à l’œil. Le temps des fusées au Coca-cola et des Mr Freeze acidulés est bel et bien terminé. L’autoroute A35, le long de la Maison d’arrêt, sature de bagnoles impatientes qui avancent mollement entre deux coups de klaxons compulsifs. Le long du canal, sur la piste cyclable, les fourmis coiffées de casques de Playmobil accélèrent la cadence pour se recroqueviller dans un HLM en briques Lego. Les lucioles s’allument dans les appartements, dévoilant l’intimité de ces animaux apprivoisés qui fument des clopes en fixant les images d’un cube qui brille.

Les lampadaires s’illuminent timidement. Les hyènes sortent de leurs tanières à la recherche de chair fraiche. Ils parcourent des kilomètres, la bave aux lèvres en scrutant le moindre mètre de bitume pour tomber sur un animal blessé ou piégé dans un grillage.

Les ombres aux yeux de biches avancent d’un pas hésitant pour se positionner au milieu d’une clairière de la zone industrielle.

Un crocodile menaçant qui s’enfile un Big Mac dégoulinant les observe derrière les branchages d’une Audi A8. Il siphonne un gobelet de Sprite et se roule un joint. Elles peuvent sentir son regard tétanisant. Des émeraudes tranchantes comme la lame de son couteau qui traine dans la boite à gants. Le vent souffle en leurs directions. Elles hument son Eau de Cologne bon marché. Un va-et-vient débute, telle la parade d’un paon majestueux, forcé de séduire un crapaud vénéneux. Les véhicules aux phares aveuglants passent inaperçus dans cette chorégraphie imposée aux danseurs estropiés. Les pieds saignent dans des talons aiguilles exigus. Les corps pleurent dans des vêtements synthétiques moulants.

Une hyène s’arrête sur le macadam jonché de canettes oxydées. En arrière-plan, le Mac tape sur son Mac, matant les camés qui rôdent pour s’échanger leurs doses. Odeurs de gnôle et de MST. Quelques mots échangés et la vitre remonte.

Exit le respect, l’empathie ou la honte. La chaîne alimentaire capitaliste, froidement.

La loi de celui qui sent le plus fort. Le billet glisse dans sa poche. Elle monte dans la voiture et ils roulent silencieusement vers un endroit sombre qu’elle connaît par cœur. Un préservatif termine entre ses mains, soigneusement manucurées. « Les plus belles mains de tout l’univers » comme dit Lucas, son faon de cinq ans. Il la regarde partir travailler au supermarché qui reste ouvert toute la nuit. Celui où les corps sont des boites de conserve qu’on paie, qu’on consomme et qu’on jette sur un trottoir au milieu de nulle part. A l’aube, elle dépose parfois des bonbons qui piquent ou des croissants au chocolat sur la table cirée de la cuisine avant de s’effondrer sous la douche pour se frotter compulsivement jusqu’à en avoir mal. Elle s’écroule sur son lit, sanglote et recouvre son oreiller de larmes salées. Elle finit par s’endormir. Une accalmie de quelques heures dans des songes dignes de Tim Burton. Un hibou hulule, une souris à la bouche, sur le rebord de la fenêtre. Des fourmis remontent par milliers le long de la couette. Des morsures. Des aiguilles acérées. Elles s’engouffrent dans ses oreilles, dans sa bouche. Elle essaie de crier mais reste muette.

La voiture s’arrête. C’est un habitué. Il vient tous les dimanches soirs.

Il ne dit jamais un mot. Elle sent son haleine chargée de cigarette, d’alcool. La sueur aussi. Le siège bascule. Il lui fait mal, lui tire les cheveux ou l’a mord. Elle ferme les yeux. Elle est chez elle. La forêt de Babadag. Le soleil brille. Le parfum des pins emplit ses narines. Elle est couchée dans l’herbe haute, scrutant le ciel et imaginant la forme des nuages qui défilent sous ses yeux. Un vent léger caresse son visage. Ici, la vie sent bon. Ici, personne ne pourra jamais la retrouver.

La porte claque. Comme une gifle en pleine face. Elle sent sur elle le regard approbateur du cerf qui brame silencieusement en voyant une autre hyène qui arrive. Un regard de pourriture qui glace même en été. Le clignotant s’allume. Elle le regarde, hypnotisée. Clic-clac. Clic-clac. Éblouie, elle n’a qu’un pas à faire pour se jeter sous le véhicule et stopper son existence insignifiante aux yeux du monde.

Un compte à rebours jusqu’à la prochaine souffrance. De la soumission. De la résignation. Une vie d’animal.

Un singe arrogant domestiqué en costume trois pièces venu jouer avec une biche enfermée derrière des barreaux invisibles, avant de rentrer rejoindre sa femme et ses trois chimpanzés. Hier c’était un zèbre sadomasochiste. Demain un tigre puceau qui se prend pour un lion. Une arche où Noé s’est fait bouffer par des prédateurs sans conscience. Sans empathie. Sans humanité. A cette heure de la nuit, les Hommes sont des animaux vicieux, seuls, avec des rêves de rois. Des enfants ridés qui font des caprices.

Les loups passent à plusieurs reprises dans la soirée, hurlant au travers de leurs gyrophares bleus, mais le cerf n’est jamais mordu, pas même reniflé. Au mieux, une hyène prendra une amende symbolique pour décourager le troupeau quelques temps. Elles finissent toujours par revenir.

Ce mammifère est un carnivore, irrémédiablement attiré par l’odeur de la mort.


Mr Zag

Mr Zag a une voisine, un chat, des collègues, un job, il aime Lynch, Radiohead et Winshluss. Mr Zag a un Pinocchio tatoué sur le bras, quelques gribouilles en islandais, il ouvre les yeux et décrit le monde avec une vision bien à lui.

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