En ce 12 décembre, nos élu(e)s se retrouvaient pour un ultime repas de famille à la sauce 2022. Assis(es) devant leurs grandes tablées, leurs micros comme fourchettes et leurs notes comme serviettes, ils et elles sont prêt(e)s à attaquer le menu politique du jour. Est-ce que le repas clôturera bien l’année ou alors nous donnera-t-il une bonne indigestion des familles ? La réponse tout de suite.
Comme un menu de Noël d’un étoilé, le conseil municipal a une carte resserrée mais variée en ce mois de décembre, avec un menu entrée-plat-dessert du plus bel effet. Le plat principal concerne les 60 points à l’ordre du jour, avec 11 points retenus.
Comme dessert, le conseil débattra en plus de 2 motions portant sur la décision d’Heineken de quitter Schiltigheim et sur les inquiétudes concernant le REME, 2 résolutions et 8 interpellations, dont les 2/3 provenant de Jean-Philippe Vetter et Pierre Jakubowicz. Mais la surprise du chef se trouvait dans l’entrée, qui s’est retrouvée particulièrement corsée.
Le moment (ridicule) d’avant-conseil : polémiques et suspensions de séance sur la religion
Il faut dire que les Strasbourgeois(es) averti(es) auront flairé le mauvais coup. En effet, l’entrée avait pour sujet la religion, sujet numéro 1 des plus grosses polémiques municipales. Plus précisément, elle concerne un temps d’échange sur le retrait du point 35 de l’ordre du jour, portant sur les délibérations votées en septembre dernier. Pourquoi ? À cause d’un jugement du tribunal administratif sur la mosquée Eyyûb Sultan qui condamne la Ville, agrémenté d’un recours déposé y a quelques jours par la préfète sur la nouvelle délibération-cadre du financement des lieux de culte, qu’elle juge porteuse de nombreuses irrégularités.
Si Jeanne Barseghian regrette de ne pas pouvoir présenter cette délibération, la porte a été ouverte à toutes les fenêtres de critiques de l’opposition. Jean-Philippe Vetter déplore la relation conflictuelle que Jeanne Barseghian semble avoir selon lui avec les représentants de l’État : « Vous avez distillé dans notre ville l’ADN du conflit ». Il accuse la maire d’avoir fragilisé le droit local en passant au forceps, terminant triomphalement : « Quel fiasco ! ». Tel un luthier, Alain Fontanel accorde ses violons avec son ancien partenaire défait aux municipales, reprenant l’argument du forceps ainsi que son goût pour le dramatique : « Vous avez brisé des décennies de consensus, par votre choix répété de l’illégalité ».
Des attaques somme toute classiques. Mais tout dérape dans le repas de famille lorsque Catherine Trautmann dépasse les 5 minutes de parole réglementaires fixées par Jeanne Barseghian. Loin de respecter le sacrosaint règlement, celle-ci éructe : « Vous censurez l’ancienne maire de Strasbourg ». Une séquence surréaliste, qui dure encore une longue minute pendant que Catherine Trautmann fulmine, en disant que les Strasbourgeois(es) seront libres de juger le comportement de la maire. Si le coeur vous en dit de regarder cette foire d’empoigne stérile, vous serez également libres de juger celui de Catherine Trautmann, pas forcément compatible avec le fait d’avoir été maire de Strasbourg, comme la désormais élue d’opposition adore le rappeler. Dans le chaos, le fracas et le ridicule, suspension de séance.
A la reprise, on pouvait espérer un retour au calme. Mais ça, c’était avant qu’Hülliya Turan qualifie les actions de la préfecture « d’ingérence », l’accusant en plus « d’attaquer la démocratie ». De manière assez ironique, l’élue en charge de l’éducation appelle ensuite à « préserver la sérénité des débats, en particulier sur un sujet aussi sensible que celui de la religion ». Branle-bas de combat dans l’opposition de la majorité présidentielle, avec son premier défenseur Pierre Jakubowicz, qui demande sa propre suspension de séance. Jamais deux sans trois, avec celle ensuite demandée par Pascal Mangin. Les débats constructifs ? Très peu pour notre conseil municipal.
Après tout ce tumulte, Jeanne Barseghian reprend la parole et répond à l’ensemble des oppositions. Elle annonce ne pas être d’accord avec les propos d’Hülliya Turan, surtout dans la forme. Alain Fontanel essaye de relancer la machine, mais en réponse il n’aura le droit qu’à un « Oh là là c’est bon » de Marc Hoffsess. Il est 10h42, le ridicule prend fin, on commence enfin le conseil. C’est donc à ça que la politique strasbourgeoise est désormais réduite ? Il semblerait que oui.
Ce qui va changer pour Strasbourg : la Ville présente ses grands projets sur l'espace public en 2023
Par la voix de Pierre Ozenne, la Ville a profité de ce conseil municipal pour présenter ses nombreux projets sur l’espace public pour l’année 2023, avec deux délibérations. En bref, elle compte notamment végétaliser six nouvelles cours d’écoles : l’école élémentaire et maternelle Langevin, celle du groupe scolaire Saint-Thomas, l’école maternelle Marguerite Perey, l’école maternelle Sainte Aurélie, et l’école élémentaire Léonard de Vinci. La municipalité a également prévu de déminéraliser et végétaliser plusieurs places dans la ville, comme la place Senghor à Hautepierre ou le quai Woerthel, un peu comme le quai Koch.
Sur le sujet des cours d’écoles, Pernelle Richardot critique le peu de projets cette année, « bien loin des 24 [végétalisations] attendues et annoncées ». Suzanne Brolly répondra à l’élue PS : « Peut-être que nous n’avons pas autant d’écoles déminéralisées par an, mais on est dans une approche qualitative: un travail long et solide. » Pernelle Richardot annoncera finalement l’abstention de son groupe sur ce vote, ce à quoi Jeanne Barseghian répondra avec le sourire : « Nos enfants ne vous remercient pas ».
Ce plan 2023 contient également plusieurs aménagements pour le futur plan Vélo, comme la piste cyclable rue de la Montagne Verte, ou encore l’amélioration de la piste cyclable du canal de la Bruche. Un sujet sur lequel Pierre Jakubowicz s’oppose, demandant des comptes sur des surcoûts et sur la suite des aménagements du ring cyclable. Il évoque également la place du Temple Neuf, ronchonant contre les 1,85 million d’euros prévu pour « des aménagements provisoires » selon lui. Pierre Ozenne interviendra pour le rassurer, sur le fait que ces aménagements seront définitifs.
Finalement, les deux délibérations sont votées. La première est adoptée à 51 voix pour et 12 abstentions, avec le groupe LR qui vote avec la majorité, mais sans Jean-Philippe Vetter qui n’a pas pris part au vote. La seconde est également adoptée, avec 52 voix pour et 11 abstentions, avec cette fois-ci le PS votant pour et LR s’abstenant. Les joies de la politique locale. Pour en apprécier toute la saveur, c’est par ici.
Le sujet chaud : des subventions pour le monde de la culture revues à la baisse
C’était le sujet le plus à risque d’enflammer les débats durant ce conseil municipal de décembre. Comme on vous l’expliquait ce matin, la mairie a décidé de baisser les subventions des acteurs culturels strasbourgeois de 2,5 %. Pour remplacer ce que perd par exemple le Maillon, l’Espace Django, Jazzdor ou le TJP, la municipalité a notamment pris la décision d’allouer des fonds provenant du contrat triennal « Strasbourg Capitale européenne », signé et voté il y a quasiment deux ans.
Les critiques de l’opposition ne se sont pas faites attendre et ont porté sur cette utilisation des fonds du contrat triennal comme substitution au financement de la Ville. Pierre Jakubowicz rouspète que la culture soit la « variable d’ajustement » des « errances budgétaires » de la Ville. Son collègue d’opposition Alain Fontanel s’inquiète lui d’un « signal de baisse et de rupture de confiance » et fustige un « confinement budgétaire » des acteurs culturels. Enfin, Catherine Trautmann repart dans une leçon de politique municipale : « Vous donnez le mauvais exemple et vous avez mis fin à une forme d’unanimité politique ». Avant de terminer, en qualifiant Jeanne Barseghian de « maire de la dégradation des budgets pour la culture ».
Pour solidifier une défense municipale fragilisée sur le thème de la culture, Anne Mistler débute en déclarant : « On ne laisse pas la culture en rase campagne ». Syamak Agha Babaei embraye après l’adjointe à la culture, déplorant que « ce débat n’échappe pas à la caricature », avec « des informations inexactes, répétées par un ancien premier adjoint et une ancienne maire ». Il met également en cause, sans le nommer, Le Figaro, qui a publié un article sur la baisse des subventions en le qualifiant de « premier adjoint d’extrême-gauche ». Enfin, prenant un peu de hauteur, Jeanne Barseghian rappelle que la Région coupe également dans les fonds culturels, et dénonce avec malice que les quelques élus de l’opposition qui y siègent ne prennent pas la peine de le mentionner.
Au bout du compte, la délibération est votée à 40 voix pour et 18 abstentions. Alors qu’elle avait annoncé que son groupe voterait initialement pour, Catherine Trautmann s’abstiendra finalement avec tout le groupe Faire Ensemble. Pour revoir tous les débats, c’est par ici.
Le moment à retenir : on prend les mêmes (sujets) et on recommence
Le camp de l'Étoile
Dans ce conseil, s’il n’y a pas eu de réelles avancées pour les Strasbourgeois(es), il y a en revanche eu pas mal de recyclage de sujets. Celui de la religion et des subventions aux cultes est revenu en début de conseil, les critiques sur la politique culturelle ont animé le milieu et il fallait bien un sujet pour animer la fin. Comme on pouvait s’y attendre, c’est le sujet du camp de l’Étoile qui est revenu sur la table. Pour rappel, le 6 décembre dernier, le campement de l’Étoile a été évacué par les forces de l’ordre nationales. La mairie avait saisi la Préfecture telle que l’ordonnait la décision du tribunal administratif de Strasbourg, mais avait également intenté une action contre l’État pour « inaction et carence en matière de mise à l’abri des personnes ».
Pierre Jakubowicz accuse alors Jeanne Barseghian de s’être servie des personnes vivant dans le camp de l’Étoile comme prétexte dans sa guerre contre l’État. Pour Jean-Philippe Vetter : « Les faits sont têtus. Depuis que vous êtes élue, jamais autant de personnes n’ont dormi à la rue ». Il accuse un « pyromane qui tente d’intenter un procès au pompier ». Plus mesurée, Céline Geissmann se questionne elle sur la sincérité de l’action de la municipalité : « Pourquoi avez-vous attendu 7 mois, d’être vous-même condamnée pour attaquer l’État ? ». Pour elle, la municipalité « se cache derrière une plainte pour faire oublier [ses] responsabilités ».
Jeanne Barseghian répond à toutes les attaques, évoquant une nouvelle fois que la mairie a fait sa part, notamment avec la création de la T-Rêve ou de l’ouverture d’un gymnase. Elle renvoie l’opposition à ses propos :« Vous ne relevez pas le fait que la plupart des familles qui étaient là avant l’évacuation, quand elles l’ont appris, ces enfants, ces familles ont été contraint(es) de se cacher, de se disperser dans des lieux moins visibles de notre ville », donnant l’exemple du parc du Heyritz. Finalement, elle conclut : « C’est peut-être ça qui nous différencie : j’ai du mal à avoir une indignation à géométrie variable ». Pour revoir les échanges, c’est par ici.
La mosquée Eyyûb Sultan
On pensait alors que le sujet était clos, après plus de 40 minutes d’un débat qu’on a l’impression d’avoir entendu mille fois ces derniers mois. Mais c’était sans compter deux interpellations de Jean-Philippe Vetter et de Pierre Jakubowicz en fin de séance. Petite surprise au programme : on repart également sur les sujets de la mosquée Eyyûb Sultan, que l’on pensait ne plus aborder un an et demi après les premières polémiques.
Le candidat LR déchu aux municipales débute, interrogeant Jeanne Barseghian : « Estimez-vous être au-dessus des lois de la République et ne pas avoir besoin de les appliquer ? ». Son compère de la majorité présidentielle lui fustige le « coût de l’entêtement » de la majorité : « Votre entêtement et la guerre politique que vous menez contre la Préfète et le Gouvernement vous aveuglent. Vous enrôlez tous les Strasbourgeois dans un combat qu’ils n’ont pas choisi ».
Jeanne Barseghian leur répond : « Je trouve un peu étonnant de lier les deux décisions de justice qui sont indépendantes l’une de l’autre. Je ne suis pas sûre que ça relève de la bonne foi mais c’est votre choix de le faire ». Elle évoque ensuite des désaccords politiques, non pas avec la Préfète, mais avec la politique du gouvernement. Elle termine par accuser l’opposition de réécrire l’histoire sur la mosquée Eyyûb Sultan. Comme une impression de furieusement tourner en rond. Pour tout revoir, c’est par ici.
Pas d’esprit de Noël qui tienne au sein d’un conseil municipal de décembre extrêmement pauvre en sujets importants. Sous les coups de 19h30, les élu(e)s rentrent dans leurs pénates, après 10h30 de polémiques et de débats stériles. Toujours les mêmes sujets « débattus », toujours les mêmes argumentaires entendus, toujours la même impression d’inertie. En effet, alors qu’on se combat à droite à gauche, entre l’État et la municipalité, entre la municipalité et l’opposition, au bout du compte, c’est Strasbourg qui n’avance plus.
Merci pour cette synthèse