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Strasbourg : La dame aux camélias

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Tirant son cabas à roulettes aux motifs écossais aussi péniblement que le poids d’une vie trop remplie, Madame Edmée traîne sa paire de Méphisto à travers le couloir qui passe juste devant ma porte. Je peux la reconnaître à la façon si spéciale qu’elle a de marcher, le pied droit toujours plus lent que celui de gauche, le talon qui frotte légèrement le sol et sa main qui caresse le mur décrépit pour garder un semblant d’équilibre. Madame Edmée est une funambule qui avance avec précaution sur un fil invisible de moquette décolorée comme si en-dessous, gisait un volcan en pleine éruption.

Nous avions convenu que j’irais faire les courses à sa place, depuis que l’autre “galopin” comme elle le nomme, décréta le confinement dans tout le pays. Mais elle s’obstine à se déplacer alors qu’elle sait très bien qu’elle n’aura pas assez d’énergie pour porter ses provisions. Elle est comme ça Madame Edmée, jamais la langue dans sa poche et toujours prête à défendre les plus faibles comme lorsque elle était déléguée syndicale à l’ancienne manufacture de tabac de Strasbourg.

C’était un temps sans coronavirus, sans bio et sans trottinettes électriques. 

Son trench beige qu’elle affectionne particulièrement parce que « son Edouard » était passionné par Jacques Tati, est imprégné de cette odeur de naphtaline si spécifique aux personnes âgées. A vrai dire, elle ne sortait déjà plus beaucoup depuis quelques semaines. Quelques rares aller – retour entre son petit appartement de 45 m² de la Meinau et la pharmacie où elle vient récupérer ses comprimés d’Avlocardyl pour son cœur depuis la mort de son mari. Elle revoit ses yeux verts à travers ceux de  son chat Platon âgé de 18 ans, presque sourd maintenant et qui s’obstine à mordiller les fleurs d’un camélia du Japon aux fleurs roses. Un camélia aux ronronnements discrets à l’haleine parfumée.

Ma présence derrière elle la surprend d’abord puis la rassure.

“Écoutez, pas la peine de m’accompagner, je ne suis pas encore grabataire. Je me débrouillerai toute seule cette fois! C’est gentil, mais vous avez certainement assez de choses à faire avec ce virus”.

Je la prends par le bras sans lui laisser le temps de réagir et nous voilà  montés dans l’ascenseur qui rejoint le rez-de-chaussé dans un grincement assourdissant. La porte s’ouvre. Elle peine à descendre les quelques marches nous reliant au trottoir, pose les mains sur les hanches et inspire profondément comme si elle avalait quelques nuages fumants  par les narines. Sa permanente peroxydée violette fait ressortir ses yeux bleu clair. Un regard doux, rassurant, bienveillant. De sa peau ridée rayonne un sourire reconnaissant, sa façon à elle de me dire merci de lui faire prendre quelques rayons de soleil et tout simplement de passer du temps ensemble.

Une présence, c’est ce qui lui manque le plus depuis cette mise en quarantaine forcée par son médecin généraliste.

Elle s’assoit sur un banc à l’écart des passants et regarde les voitures défiler comme des abeilles en quête de farine, de riz, de sucre, de pains depuis que l’hystérie s’empare des gens à quelques centaines de mètres de là. Il parait même que certains commencent déjà à faire du marché noir, ça lui rappelle de sombres moments de l’histoire lorsque les rats faisaient office de déjeuner et que ses parents furent déportés là où personne ne revient. Elle n’a que ça à faire maintenant. Prendre patience et attendre que le monde se calme, ce qu’il n’a plus l’habitude de faire depuis bien longtemps à force de vivre dans le reflex et non plus dans la réflexion.

De toute façon, devant les rayons bondés, elle se perdrait dans une multitude de variétés de compotes de pommes et de soupes déshydratées.  “Peut-être qu’avant nous avions moins de choix mais au moins nous savions ce que nous mangions » dit-elle à voix basse à un moineau venu se poser à ses pieds. L’oiseau s’envole prudemment et disparaît à travers les branches d’un sapin. Au loin, une sirène d’ambulance retentit.

Ce soir, je passerai dîner avec Edmée. Quelque chose de simple. Une boite de haricots rouges à la sauce tomate avec un verre de vin. Peut être que nous boirons aussi une tasse de thé au jasmin en grignotant les derniers bredeles secrètement entassés dans une boite à couture métallique. Peu importe. Le chat se posera sur ses genoux fragiles et peut-être qu’entre deux épisodes de l’Amour est dans le pré, elle en profitera pour me parler de sa jeunesse et de certaines leçons d’humanité qu’actuellement nous avons tendance à oublier.

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Commentaires (1)

  1. Il y a encore des gens qui prennent la peine d’aider leurs anciens. Ça fait plaisir a lire!
    Ils ont tant de choses a nous apporter….

    Pi elle a l’air chou, madame Edmée 😊

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