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Strasbourg : Au bonheur des larmes

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Strasbourg City. 1ER MARS 2020.

Gotham sent le géranium Batman traîne en peignoir au milieu du parking désert du Leclerc du Neuhof à la recherche d’une Batmobile à l’allure de Fiat Punto. Les héros ordinaires rêvent encore en ce jour de messe, de footing pour se donner bonne conscience ou de repas imposé chez des beaux-parents apprêtés. Dans quelques heures, une centaine de silhouettes traversera la ville, les Dernières Nouvelles d’Alsace sous le bras, une baguette à la main, pour y étaler une fine couche de confiture ou pour les plus audacieux, un miel de sapin biologique acheté Place Saint -Thomas, la veille.

Il fait encore nuit. C’est le moment idéal pour se dégourdir les guibolles en même temps que l’esprit sur les pavés à moitié endormis de la rue du Vingt-Deux Novembre. Tricky dans les oreilles, le diable n’est pas très loin et l’enfer sera au coin de la rue dans peu de temps. Il est toujours en retard le diable, alors il envoie les touristes, le coronavirus, les bavards déversant des centaines de mots à la mitraillette à frustration dans le tram pour le représenter. C’est un peu un avocat commis d’office le diable. Il fait ce qu’il peut avec les criminels. Il est débordé. La faute aux 35 heures et aux RTT.

L’aurore caresse le dos de l’aube qui se cambre sous ses yeux dilatés. Une sculpture céleste taillée dans l’immensité. Quelques baisers ardents sur la courbe de son cou. La peau qui frissonne jusqu’à l’infini. Ce matin, pour quelques minutes encore, deux reines se retrouvent anonymement,   clandestines au bord d’un précipice, se promettant de se donner rendez-vous le lendemain, à la même heure, au même endroit, unies par un fil d’or invisible que seuls les misérables de la rue peuvent comprendre après une soirée sans fin dans un sac de couchage étroit. Une lame de soleil fragile tranchant la planète de singes qui prétendent être des Hommes parce qu’ils portent des costumes trois pièces, roulent en 4X4 et s’épilent le torse. C’est comme cela que nous mettons en œuvre notre soi-disant supériorité aux animaux. Jusqu’au moment où.

La passion des muses agace les bien-pensants noyant leurs certitudes dans des verres de virilité ou de Picon ébène pour oublier qu’ils se fourvoient et qu’en amour, la seule règle qui compte c’est de s’aimer. Le noir alcoolisé de Pierre Soulages tanguant dans une chope mousseuse de cinquante centilitres, placebo liquide sans la voix sensuelle de Brian Molko, ange androgyne troublant les pensées binaires.

PROTECT ME.

Elles fuient l’obscurantisme des tabloïds et la frustration autoritaire de borgnes sous viagra pendant que la rosée imprègne les boucles blondes de la lune qui tire sa révérence après avoir veillée sur les trapézistes noctambules. Infirmière fatiguée par des millénaires d’heures de garde dans un service d’étoiles filantes en sous-effectif, épuisées par les divagations de ceux qui se perdent entre folie et raison. La frontière est à peine palpable entre celui qui se prétend sain d’esprit et celui qu’on traite de fou, entre le soignant et le malade, entre l’amour et la compassion. Tout est une question de dosage, de norme, de classification. Tout peut basculer en un millième de seconde, en un choix, passant d’une case à une autre, d’hypersensible à borderline, de lunatique à manipulateur, de tout à rien du tout.

Le trouble de la personnalité – Le trouble de l’humanité.

Se contenir. Se cacher. Tout garder à l’intérieur jusqu’au moment où le corps se perd, où les démons d’Edvard Munch sautent sur un pied en allumant une clope, la gorge qui brûle, les poumons qui sifflent. Un cri sourd. La rage de vivre et d’être différent, d’embrasser les fantômes avec la langue et de serrer les corps de parfaits inconnus dans les bras juste pour voir ce que ça sent un inconnu. Ça sent comme toi et moi et en même temps ça ne sent pas pareil. Pour la beauté du geste. Pour se faire peur. Pour s’écorcher les genoux exprès pour que quelqu’un vienne y mettre du Mercurochrome sucré à la groseille dessus. 

Les perles cristallines embrassant la pointe des gazons sauvages figent l’instant où le crépuscule se pose sur les matelas encore chauds, comme un oiseau s’emmitoufle dans un nid en décomposition qui n’est pas le sien. Les danseurs solitaires tournoient dans leurs appartements silencieux, une tasse de café brûlante entre les mains, regardant par la fenêtre l’étrange saison qui s’annonce. Il neige et le soleil rayonne.

Un dimanche matin à Strasbourg. Certains sont prêts à tomber pendant que d’autres jouissent avec Icare contre le mur d’une chambre qui sent la sueur et les coups de reins. D’autres sourient, un garrot au bras, une seringue qui roule dans le caniveau. Un coup de poignard dans le cœur meurtri des frères, des sœurs, des proches de ceux qui ne sont plus, rue de Barr. S’il y a un démon, il y a aussi un ange.

La lumière s’allume à la maternité de l’Hôpital de Hautepierre. Léo pèse 3 kilos et 452 grammes. Sa maman récupère, tremblante et épuisée. Un sanglot qui vient de la nuit des temps. Un regard complice entre elle et son fils pendant qu’en soin palliatif, Emma, 93 ans, s’envole retrouver Clark Gable et Yves Montand, là où les nuages sont en soie et où il ne fait jamais froid.

Nous sommes vivants dans cette dualité orchestrée par un alchimiste bipolaire et torturé. Dans la discrétion ou l’agitation des corps qui rient au pied des tours en béton, au bord d’une tombe recouverte de mauvaises herbes ou dans l’exaltation fiévreuse d’un premier baiser maladroit, d’un orgasme fulgurant, du sang et de la salive, des larmes d’amertume ou d’euphorie qui coulent sur nos joues généreuses ou creusées, des ions et des enzymes qui résument en quelques gouttes nos âmes meurtries ou sublimées. Nous aimons et souffrons de la même façon.

C’est peut-être ça l’égalité.

Crédit photo de couverture : https://www.instagram.com/bruit_silencieux/

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