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Strasbourg : l’école des rêveurs

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J’ai 15 ans. Un pull XXL pour cacher ce corps chétif. Un jean trop large qui recouvre une paire de pailles en guise de guiboles. Un sac à dos Herschel bleu que je déteste. Avec ce gyrophare dans le dos, je ressemble à une ambulance pâle qui transporte un esprit tourmenté. Un cadeau de ma sœur Léa pour mon anniversaire. Léa est à la fac. C’est tout l’inverse de moi. Je pense que j’ai été adopté. Un truc cloche.

Un spermatozoïde malmené par les slips kangourous de mon père.

Les sessions d’écoute intensive d’Elvis Presley durant la grossesse de ma mère. Une erreur d’une puéricultrice à l’hôpital. Un échange de bébés orchestré par la CIA. Elle sait y faire avec les autres. Elle a plein d’amis(es) qui l’invitent à des fêtes branchées. Son téléphone vibre en permanence. Elle réussit tout ce qu’elle entreprend. Elle ne se pose pas de questions sur ce que les autres pourraient penser d’elle. Elle est brillante. Elle peut porter n’importe quoi, elle ressemble toujours à un ange. Elle fait partie de ces personnes qui piochent un vieux pull pourri en laine dans leur penderie, qui piquent un crayon dans leurs cheveux pour se coiffer et qui malgré ce look improbable, ont un style, un truc sophistiqué en plus, qui fait que les passants se retournent sur leurs passages alors que moi, je serais plus proche du sosie de Charles Manson avec cette panoplie de berger.

Deux ailes invisibles lui donnent l’apparence d’une sainte avec un rouge à lèvres démoniaque. Elle est l’élégance à l’état pur avec un zeste de folie. Elle mange avec élégance. Elle rit avec élégance. Si je n’étais pas son frère, j’aimerais la prendre dans mes bras pour sentir le parfum de ses cheveux au risque de m’y pendre, envoûté par tant de ravissement.

Elle fait les frais de cette aura. Des insultes sur son décolleté dans une rue de l’Esplanade.

Une main au cul dans le tram parce que son jean est moulant. Il est interdit d’être belle. Des coups de pute de copines jalouses. Il interdit d’avoir des potes avec une paire de couilles. On ne choisit pas d’être solaire et de rayonner sur les autres. «Plaire à tout le monde, c’est plaire à n’importe qui » comme elle dit.

J’aimerais plaire à n’importe qui ou au moins à moi-même. Je n’ai pas choisi non plus d’être un trou noir. J’aurais préféré être une étoile filante qui fait briller les yeux ou faire partie de la galaxie des gens branchés comme Léa. J’ai des cratères certes comme une planète. Une succession de points noirs sur le visage et les bagues d’un appareil dentaire en guise de station spatiale.

En me postant devant un miroir, je ne vois qu’une reproduction d’un lycéen basique. Un clone. Une mauvaise copie d’un mec branché, censé s’adosser à un casier pour inviter la plus jolie fille du lycée avec une décontraction innée comme dans les séries américaines.

Ma vie correspond davantage à un épisode de The end of the fucking world avec Blur en bande de son.

Mes Vans noires achetées en solde me font mal mais c’est la mode. Être à la mode, un jour de rentrée, c’est s’assurer une certaine tranquillité tout au long de l’année scolaire. C’est devenir un peu moins anonyme aux yeux des célébrités de l’établissement. C’est ne pas être le souffre-douleur des gros bras du lycée dont la moustache commence à pousser et qui tirent sur leurs clopes comme dans un western.

Traverser la cour avec mon vélo jaune pourri est une épreuve encore plus difficile aujourd’hui. On risque de me surnommer. Je ne bosse pas à la Poste. Mon père l’a récupéré à la déchetterie. Je ne suis pas dans le coup. Pas de fixie avec une enceinte portative passant du Skrillex dans mon sac à dos. Je n’ai pas de scooter. Je n’ai pas de copine. Je ne fais pas de skate. Je ne joue pas de guitare. Deux seules choses me démarquent des autres : un bouton qui ressemble à la garniture d’une tarte flambée sur le menton et ma mère qui hurle derrière la grille du Lycée Kleber :

« Bonne rentrée mon grand ».

J’aimerais être l’Homme invisible pour glisser dans la foule sans être dévisagé mais ma démarche hésitante attire les regards. Une carcasse de bagnole avec la voix d’un rossignol. Je pèse 2000 kilos de gêne et je traîne des casseroles de peur à chacun de mes pas. Essayer d’avoir une démarche décontractée, voir de me tenir droit, me donne un air encore plus coincé.

Je suis grand et je ne peux pas me cacher. Si j’avais un reproche à faire à mes parents, c’est de mesurer 1,90m. Ça devrait être une force. C’est surtout un bon mal de dos, une scoliose et des séances chez le kiné. Avoir la taille de Michael Jordan est une chose mais la corpulence de Kate Moss en est une autre.

En entrant dans la classe, je me positionne au fond, contre le radiateur, sans accélérer le pas pour ne pas qu’ils pensent que je suis en fuite. Être au premier rang et sentir des regards dans mon dos, je ne supporterai pas. Je transpire déjà suffisamment. Les élèves se jaugent de bas en haut. Je regarde la cour se vider par la fenêtre. Me voici dans cette prison sans barreau pour les trois prochaines années.

Avoir le bac. Faire des vœux sur Parcoursup et éviter à ma mère une dépression en attendant d’avoir une place à l’université.

Étudier plusieurs années entre deux bitures à la Cité U. Décuver au restaurant du CROUS. Faire des stages non rémunérés. S’inscrire à Pôle Emploi. Comprendre qu’avec sa formation en sociologie ou en histoire de l’art, il n’y aucun débouché. Se réorienter vers des métiers en « tension » pour lesquels je n’ai aucune vocation : cuisinier – maçon – aide à domicile – sociopathe. Se marier. Faire deux enfants et avoir un labrador. Picoler un peu plus chaque soir. Acheter un monospace et partir à Juan les Pins. Se lever le matin en se demandant ce que je fais de ma vie. Poster des photos idylliques sur Facebook pour faire croire que mon quotidien est dingue. Prendre du bide. Avoir du cholestérol ou du diabète. Perdre ses cheveux. Ne plus bander. Voir sa photo sur BFM. Entendre le GIGN défoncer la porte d’entrée à 6 heures du mat’. Flinguer son collègue. Sauter du douzième étage en laissant une belle lettre sur le bureau de mon boss à qui j’avais pourtant répété depuis plusieurs mois que s’il continue à mâcher son putain de chewing-gum la bouche ouverte, ça allait se finir en boucherie.

Une voix monocorde balance des mots depuis le tableau.

Le nom du professeur principal. Un emploi du temps. Des briques de chimie, de physique, qui ricochent dans ma tête pour en ressortir et s’écraser sur la table. Tintamarre silencieux. La prof s’en rend compte et me réveille à coup de craies dans la tête.

Tel un sniper posté derrière la butte du savoir, elle tire en rafale jusqu’à m’atteindre entre les yeux. Counter-Strike sans manette.Je suis touché. Une trace blanche légèrement humide marque mon visage. Je perçois les rires de mes « camarades ». J’aimerais ne plus exister, là maintenant. Je ruisselle. J’ai honte. « On se réveille dans le fond ! Ce n’est pas en rêvassant qu’on obtient son bac ». La prof aussi ne sait plus très bien ce qu’elle fait ici. Trente-huit gosses dans la classe. Quinze ans qu’elle supporte cette surpopulation scolaire et qu’elle met toute son énergie à transmettre son savoir. Les vacances sont terminées depuis sept jours, elle est encore bronzée mais elle est déjà épuisée, à l’intérieur.

Je baisse les yeux. Dépité. Même rêver est un poids.

La fille rousse devant moi se retourne. Elle a de grands yeux verts. Des petites tâches fauves comme si elle avait pris le soleil au travers d’une passoire. Des lèvres pulpeuses comme des quartiers d’orange. Elle me regarde avec compassion ou pitié je ne sais pas trop. C’est gênant.

Le silence revient. Je me sens seul. Je regarde à nouveau dehors, une boule au ventre. Le temps ne passe pas. Je suis sur mes gardes. Tout peut arriver. Se présenter devant tout le monde. Répondre à une question. Ce genre de choses me paralyse. Je n’arrive pas à parler en public. Les yeux des autres deviennent des lasers qui transpercent ma carapace et sondent mes doutes. Je suis nu devant eux. Je rougis. Aucun son ne sort de ma gorge. Mes oreilles chauffent. Je suinte de partout. Les chuchotements sont des couteaux qui viennent taillader ma peau. Les rires, des aiguilles se plantant dans mon crâne et dans mon cœur. Je sais qu’à la moindre faille découverte, je serai catalogué durant toute ma scolarité. « Timide ». « Coincé ». « Bizarre ». Phobie scolaire d’après la psy. Timidité d’après ma mère. Surdoué d’après mon père. Il faut mettre les Hommes dans des boites comme des chaussures.

La cloche sonne enfin. La délivrance.

Dans le couloir, c’est l’effervescence. Les sacs jonchent le sol. Un brouhaha. Le souk à Strasbourg : Les clopes et le Chanel remplacent les parfums de dattes et de cannelle. Les blagues sur les physiques des profs. Les emplois du temps. La fête organisée ce week-end où je ne suis pas invité. L’happy hour au Grincheux. Les chahuteries viriles dans l’escalier. Les mollards sous le préau. Les ragots croustillants aux urinoirs. Les déclarations d’amour taguées sur la porte intérieure des toilettes.

Je me dirige vers la cantine pour tenter d’ingurgiter quelque chose de solide. La bouillie qui tapisse le fond de mon assiette est une sauce au poisson d’après le menu de la cantine. Je mange en silence, en essayant de ne pas coincer les grains de ce riz trop cuit entre les bagues de mon appareil qui cisaillent l’intérieur de mes joues.

La fille rousse me jette quelques regards discrets. Elle est seule à une table et semble aussi perdue que moi. Je ne sais rien d’elle, pourtant nous passerons des heures entières ensemble à écouter les soi-disant porte-paroles de notre avenir. J’ai l’impression de la connaître et de la comprendre sans avoir à échanger le moindre mot. Son regard mélancolique contraste avec ses bouclettes cuivrées, puissantes.

Des boules de feu qui illuminent ma journée.

C’est l’un des rares moments où je me sens bien, avec celui où j’écoute de la musique dans mon casque la nuit en me couchant sur le banc du jardin. De là, je peux m’évader à ma guise passant de Nick Cave à Moderat, de Radiohead à Kate Tempest, d’une étoile à une autre. D’énormes coussins moelleux viennent se coller à moi. Un long couloir de soleil se trace jusqu’à elle. Parfois une boulette de mie de pain défile devant moi mais je reste imperturbable. C’est mon quart d’heure de rêverie. Mon oxygène. Mon sas de décompression.

Elle se lève délicatement. Je la regarde partir. Un léger sourire sur les lèvres dont je ne me rends pas compte. J’ai déposé mon armure sur la table. Pas de protection. Pas de masque. Je rends les armes. Les gens bougent et parlent au ralenti comme dans un film de Sofia Coppola. Playground Love de Air raisonne dans mon crâne. Seule sa silhouette est nette. Virgin Suicides. Elle est Kirsten Dunst. Nous sommes une fusion de transparence. Un chevauchement d’ailleurs. Un assemblage d’émotions.

Ensemble, nous n’avons plus peur d’aller à l’école des rêveurs.


Mr Zag

Mr Zag a une voisine, un chat, des collègues, un job, il aime Lynch, Radiohead et Winshluss. Mr Zag a un Pinocchio tatoué sur le bras, quelques gribouilles en islandais, il ouvre les yeux et décrit le monde avec une vision bien à lui.

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Commentaires (2)

  1. Et voici un énième texte de ce Mr Zag sur Pokaa. Je n’ai rien contre lui personnellement, je ne le connais pas, et il s’agit sans doute de quelqu’un de très bien qui va très mal. Mais est-il nécessaire d’offrir une tribune aussi régulière à ses textes fleuves qui transpirent la souffrance? Un certain malaise (voire un malaise certain), voilà bien ce que je ressens à leur lecture. La solution serait sans doute de ne pas les lire, me répondrait-on. Et on aurait bien raison…

  2. ” Plaire à tout le monde c’est plaire à n’importe qui “, tout est dit dans le texte. Si malaise il y’a, c’est qu’il y’a réaction et c’est l’essentiel . La preuve vous avez même pris le temps d’écrire un commentaire sur un texte qu’il ne faut pas lire d’après-vous.. continuez MR Zag, n’en déplaise aux conformistes qui veulent lire des histoires lisses.

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