Bienvenue sur le site de Pokaa.fr

Votre navigateur est obsolète.

Merci de le mettre à jour pour voir le site correctement

Mettre à jour

Recherche

Lance une recherche dans les articles ou vidéos parmi l’ensemble des publications de Pokaa.

Publicité

Strasbourg : Lola et les cygnes d’acier

137 Lectures
Publicité
Publicité

J’ai appris à lire avec le Petit Robert et à rêver avec Morgane de toi. Apprendre la vie dans un dictionnaire, et avoir des amis(es) imaginaires, au moins ça ne déçoit pas. Dans mon monde, les soleils brillent la nuit et les filles s’appellent toutes Lola. Lola, c’est mon amoureuse du Cm2. Ma mère qui rentre quand je dors déjà. La voisine qui sent le lilas.

J’engloutis des kilos de spaghettis à la sauce tomate, pour ressembler à Mateo et sa peau mate. J’aimerais être italien. Parler fort comme Al Pacino et avoir un père diplomate. Dans la vraie vie, celle où les parents divorcent parce que le papa a des traces de rouge à lèvres sur le col de sa chemise, je suis transparent, comme une baie vitrée qu’on se prend en pleine face. Je ne sais pas quoi faire de mes mains. Elles se chamaillent dans mes poches en permanence. Je me mords l’intérieur des lèvres, à défaut de mordre les gens.

« Hypersensible » a dit le pédopsychiatre, au bout de 17 séances à 63 euros la demi-heure.

Je marche la tête baissée pour ne pas croiser le regard des gamins à l’affût d’une proie à tabasser. Je les attire. Je suis l’oisillon de la portée qui ne reçoit pas la becquée. Grand mais sec. Une girafe aux oreilles décollées, avec des tâches de rousseur sur les joues. Voûté comme une église qui sent l’armoire de mamie. Je suis un animal blessé, à l’âme traquée par des charognards, qui sentent mes faiblesses à mon regard de chien battu. Chaque soir, après l’école, je fais un détour par le centre commercial Rive Étoile. On dirait le nom d’un poème de Verlaine mais c’est Malraux qui règne sur cette Presqu’île. Succession de magasins avec des Lola qui sentent forts le parfum et qui s’affairent à plier des vêtements jetés en boule par des clients insolents.

Assis sur un banc, les derniers rayons du soleil embrassent ma peau. Les deux cygnes Paindavoine veillent sur les passants. Ils sont des milliards de fois plus grands que moi et pèsent au moins 150 tonnes chacun. Si j’avais du courage, je grimperai à leurs sommets d’acier, pour plonger comme le bonhomme en maillot de bain moulant dans la pub de Red Bull.

« Red Bull donne des ailes ». Du diabète aussi, d’après la maîtresse.

Pour être honnête, je ne sais pas nager et je risquerais de tomber nez à nez avec un poisson-chat gigantesque qui ne ferait qu’une bouchée de moi. Je ne sais pas s’il y a vraiment ce type de créatures dans cette eau vaseuse mais c’est un pêcheur aux cheveux blancs qui me l’a dit, en écartant les bras au maximum pour me montrer la taille de la bête. Un Big Fish avec des moustaches comme dans le film de Tim Burton que j’ai vu avec tonton. C’est donc ici que Mac do s’approvisionne pour concocter son Filet-o-fish.

Je flâne en humant le parfum des boulangeries, salivant à la vue de collégiens qui dévorent des frites recouvertes de ketchup. Nous sommes plusieurs à l’école à nous goinfrer de repas imaginaires, attablés avec Peter Pan, chaque midi. J’ai faim. J’ai mangé une pomme et un reste de Pepito en guise de déjeuner. En ce moment, Maman travaille trop pour me préparer un sandwich. Celui au thon, avec beaucoup de mayonnaise, reste mon préféré mais j’enlève toujours les tranches de concombre.

Les pigeons mangent n’importe quoi. Même du concombre.

Parfois, elle me glisse un ticket restau dans le cartable, avec un petit mot griffonné à l’arrière d’une vieille liste de courses. « Et ne dépense pas tout en chips, mon p’tit mec. Je t’aime. Maman ». Ça me chatouille le cœur. Je les mets tous dans une boite secrète que je sors quand elle me manque vraiment trop. Un coffre-fort d’amour qui sent la barbe à papa, à défaut d’en avoir un qui ne fait que payer la pension alimentaire.

Je cherche à perdre du temps pour rentrer chez moi le plus tard possible parce que le silence de l’appartement m’angoisse. Non, je ne suis pas une poule mouillée mais maman n’arrive qu’à la tombée de la nuit et je suis certain qu’une famille de monstres habite sous mon lit. Je les entends gratter la nuit et des chaussettes disparaissent dans la machine à laver. « C’est grâce à ce boulot pourri que tu as des coquillettes dans ton assiette » qu’elle dit. Je suis prêt à manger des épinards si ça la fait rentrer plus tôt. Je n’aime pas trop ça. Quand je croque dedans, j’ai l’impression de manger du vide.

La raison principale de ce temps perdu, c’est que chaque soir, ma Lola emprunte ce chemin et s’arrête chez le confiseur pour s’acheter des bonbons tellement chimiques, que même les enfants de Tchernobyl n’en veulent pas. Elle s’assoit toujours au même endroit et tire la langue dans la vitrine, pour voir si elle est violette, bleue ou verte. Mon frère dit qu’à force d’avoir peur de me prendre un râteau, c’est Ethan qui lui roulera une pelle. Comme si j’avais envie d’aller jardiner avec elle.

Je n’ai peut-être pas la main verte mais j’ai un plan secret que je prépare depuis plusieurs mois.

Pour ça, je lui pique chaque semaine quelques centimes dans son porte-monnaie. J’en suis presque à 18 euros et il me reste deux mois avant les grandes vacances et l’entrée au collège. Encore un peu de patience et je pourrai l’inviter à l’UGC. Dans l’obscurité, j’aurai assez de courage pour lui dire que je pense à elle tout le temps et que mon cœur pique comme quand j’avais la rubéole.

Chaque soir, dans mon lit, je visualise la scène : ma main qui glisse vers la sienne. Ses ongles vernis comme des cerises trop mûres. Le cœur qui bat comme un marteau-piqueur. Un mélange de peur, d’excitation et de chair de poule comme quand j’écris au tableau. À la télé, ça se passe comme ça. J’espère qu’elle ne tombera pas enceinte si on s’embrasse sur la bouche. Une fois, dans Docteur House c’est arrivé.

Au pire des cas, je mâcherai un préservatif à la fraise avant notre rendez-vous.

Il y en a plein sous le lit de mon frère. Je choisirai un film qui fout les pétoches, pour la prendre dans mes bras au moment où un zombie arrachera la gorge de sa victime affaiblie. Dans les films d’horreur, même si le zombie marche à deux à l’heure, il y’a toujours une femme qui trébuche sur un bout de bois et qui hurle, au lieu de taper un sprint pour sauver sa peau.

S’il me reste un peu de monnaie, nous boirons un diabolo-menthe ou nous mangerons une glace à la fraise, sa préférée. Sinon, nous irons à la médiathèque, juste en face. Même si j’ai un peu de mal en lecture, je connais cet endroit par cœur. J’y reste parfois jusqu’à la fermeture et je rêve en lisant des bandes-dessinées. Parfois, je prends des livres au hasard aussi et je ne comprends pas grand-chose. Les adultes lisent des trucs vraiment étranges. Sur la guerre, le Bouddhisme ou des pavés avec tellement de mots dedans, qu’il faut toute une vie pour les terminer.

Les gens semblent heureux et insouciants à la terrasse d’une péniche. Le vin doit aider, parce que maman en boit toujours un verre quand elle soupire en enlevant ses chaussures après le travail. Ses pieds lui font un mal de chien. On dirait une cigogne, tellement ses talons sont hauts. Pour la fête des mères, je lui ai promis que je lui ferai un massage. Enfin si j’ai le temps. Sinon, ça sera un collier de nouilles.

Un dragon en nuages glisse dans le ciel pour s’écraser contre l’une des tours Black Swan.

Peut- être que Nathalie Portman y habite secrètement mais ces tours sont vraiment moches. On dirait des HLM pour riches. A leurs pieds, le tram finit par arriver. Un vaisseau spatial qui sent la sueur à l’intérieur. Je peux voir Lola s’agripper à une rambarde tant bien que mal afin de ne pas la toucher avec les mains. Elle n’aime pas les microbes Lola. Elle pense qu’ils sont capables de la manger même s’ils sont microscopiques. C’est un microbe qui a tué sa Mamie l’hiver dernier. Ce n’est pas parce qu’on ne les voit pas, qu’ils n’existent pas. Un peu comme mon père.

Ses cheveux sont attachés avec un élastique jaune, ce qui dévoile une fossette quand elle sourit. Je pourrais passer ma vie à regarder cette fossette.

Ce matin, la maîtresse m’a demandé ce que je voudrais faire plus tard. J’ai hésité. Caresseur de chats. Goûteur de gâteaux au chocolat. Dresseur de mogwaïs. Garde du corps pour mamans divorcées.

Mais au final, c’est décidé. Je ne veux pas grandir mais être un cygne d’acier sur lequel Lola pourra s’envoler.

Crédit Photo de couverture : Strasbourg.eu


>> MR ZAG <<

Mr Zag a une voisine, un chat, des collègues, un job, il aime Lynch, Radiohead et Winshluss. Mr Zag a un Pinocchio tatoué sur le bras, quelques gribouilles en islandais. Mr Zag ouvre les yeux et décrit le monde avec une vision bien à lui.

> Lire d’autres histoires de Mr Zag <

 

Ça pourrait vous intéresser

+ d'articles "Strasbourg"

À la une

Strasbourg : Lola et les cygnes d’acier

Aucun commentaire pour l'instant!

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Répondre

En réponse à :

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Illustrations prolonger la lecture

Prolongez votre lecture autour de ce sujet

Tous les articles “Strasbourg”
Contactez-nous

Contactez-nous

C’est par ici !