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Dépoussiérer le monde de la recherche : rencontre avec 3 jeunes chercheurs strasbourgeois

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Elle est à l’image de la société. L’université, microcosme cousu de stéréotypes et d’ambivalences. Haut-lieu de savoir, mais aussi, encore, d’inégalités. Francesca, Yves et Aymane sont chercheurs/ses sur le campus de Strasbourg. Leur métier est enveloppé de nombreux clichés : ils/elles seraient isolé(e)s dans leur tour d’ivoire, coupé(e)s du reste de la société, plongé(e)s dans leurs livres et leurs théories abstraites. Pourtant, leur quotidien montre que ces idées reçues peuvent être dépassées, mettant en lumière une recherche dynamique, engagée et profondément ancrée dans la réalité sociale et le quotidien.

Aymane Dahane, âgé de 36 ans, est titulaire d’un doctorat en sciences sociales du sport et d’une qualification en sociologie. Francesca Cassinadri, 29 ans, prépare une thèse en lettres et Yves Golder enseigne à la faculté de droit. Les trois incarnent une nouvelle génération de chercheurs/ses. 

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unistra faculté université étudiants
© Coraline Lafon / Pokaa

Côté boulot, « la recherche ne se limite pas aux murs académiques », plaide Aymane. Pour lui, elle joue « un rôle crucial dans l’analyse et la compréhension des dynamiques sociales actuelles ». À travers son étude sur le street workout (entraînement de rue), il explore comment des pratiques sportives peuvent métamorphoser les espaces urbains et tisser des liens communautaires.

De son côté, Francesca, dans sa thèse sur les fictions d’épidémie, interroge « les réponses sociétales face aux crises sanitaires ». « Il s’agit de souligner l’importance de la littérature dans la réflexion éthique et politique. »

Yves Golder c Marine Dumény pour Pokaa-1
Yves Golder a notamment publié un livre : « Margaret Thatcher - Construction d'une image politique ». © Marine Dumény / Pokaa

Car oui, la recherche est indispensable pour éclairer les décisions publiques et sensibiliser aux enjeux complexes. En quittant leurs laboratoires pour s’impliquer activement dans la société, chercheurs et chercheuses font de la recherche un vecteur de changement et d’innovation sociale.

La réalité de la recheche VS les stéréotypes

Bien que souvent conditionné par des facteurs socio-économiques, comme les revenus des parents, l’accès à la recherche n’est pas pour autant imperméable à la classe populaire. Aymane, originaire d’un milieu modeste, a réussi à passer outre ces freins pour s’engager dans la recherche sociologique : « Je viens du milieu de l’animation socioculturelle, en Seine-Saint-Denis. J’ai rencontré la sociologie via l’éducation populaire et ça m’a passionné. » Il a par la suite beaucoup investi le terrain.

Son immersion dans des contextes sociaux variés, entre « les tours des HLM et l’université », lui a permis de comprendre l’importance de rendre la sociologie accessible aux communautés étudiées. En droite ligne de son désir de lier la théorie à la pratique, il a réalisé sa thèse dans le quartier de l’Elsau. Aujourd’hui, il enseigne à l’université de Strasbourg, avec un fort engagement sur la pédagogie : « Je me souviens que lire me donnait mal à la tête avant que je ne me passionne pour la sociologie de terrain, alors je prends le parti d’axer ma pédagogie sur l’accessibilité pour les étudiants. »

Francesca Cassinadri © Marine Dumény pour Pokaa-1
Le manuscrit de thèse de doctorat de Francesca Cassinadri. © Marine Dumény / Pokaa

De plus, être chercheur n’est pas conditionné à une excellence scolaire absolue. C’est par exemple le cas de Francesca Cassinadri, qui a redoublé l’équivalent de la classe de troisième, en Italie. Son parcours entre plusieurs cultures et disciplines – en Italie, France, Sénégal- via Erasmus Mundus lui a offert une perspective unique sur les fictions d’épidémie, mêlant littérature, éthique et politiques publiques.

Francesca Cassinadri © Marine Dumény pour Pokaa
Francesca Cassinadri. © Marine Dumény / Pokaa

Yves Golder, ancien élève du lycée hôtelier Alexandre-Dumas, a également démontré qu’il était possible de rentrer dans cet univers indépendamment du parcours initial. En effet, les parcours valorisés dans les études supérieures sont plus volontiers ceux de cursus général. Pourtant, son amour pour la langue anglaise l’a conduit sur les bancs de l’université. « Il est vrai que dans mon entourage, j’avais une représentation d’un chercheur : mon grand-père, en chimie. Ce qui a sans doute influencé mes choix. »

Bien qu’il n’ait pas été parmi les « premiers de la classe », sa passion pour la civilisation le mènera à la recherche. Afin de pouvoir financer ses études, puis sa thèse, il enseigne en tant que PRAG (professeur agrégé) et maître de langues. Aujourd’hui, il est prof en anglais juridique à la faculté de droit. Il poursuit la recherche sur son sujet sur son temps libre. Sa volonté d’étudier les années Thatcher et de découvrir le monde anglais est renforcée par une année d’études au Royaume-Uni, grâce au programme Erasmus.

« D’ailleurs, cet été, j’ai le projet de mener des interviews au Royaume-Uni pour mieux appréhender la façon dont les Britanniques s’intéressent aux prochaines élections générales (qui verront sans doute le retour des travaillistes au pouvoir) », explique-t-il.

Londres Big ben
© Marie Goehner-David / Pokaa

Veiller à l'accessibilité pour éloigner les clichés

« Le cliché du chercheur issu d’un milieu favorisé me semble cohérent avec les profils que l’ont croise, même si nous ne discutons pas milieu social mais plutôt recherche », note Yves Golder. De fait, l’accessibilité au doctorat reste inégale.

Selon une étude du ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation en France* menée sur 2021, seulement 8,6% des jeunes issu(e)s de milieux défavorisés sont diplômé(e)s d’un Master, Doctorat, DEA ou DESS. Les frais de scolarité, le coût de la vie et la nécessité de financements stables constituent des obstacles considérables.

Le financement des thèses, souvent sous forme de bourses ou de contrats doctoraux, est une étape cruciale. Comme en témoigne le parcours de Francesca Cassinadri : « Je suis repartie un an en Italie pour enseigner avant d’avoir une bourse de la Région Grand Est et pouvoir mener à bien mon projet de recherche. »

Aymane Dahane © Marine Dumény pour Pokaa (2)
Aymane Dahane a soutenu une thèse de sociologie à l'université de Strasbourg sur le « street workout ». © Marine Dumény / Pokaa

De plus, en 2018, environ 60% des doctorant(e)s en France bénéficiaient d’un contrat doctoral, tandis que les autres devaient souvent combiner leurs recherches avec des emplois précaires – et parfois avec le soutien familial. Or, obtenir ces bourses nécessite des déplacements, la composition de dossiers et l’engagement de nombreux frais. « Je me souviens qu’avant mon doctorat, j’étais venu à Strasbourg depuis Paris pour passer le concours d’une bourse. C’était juste avant l’Euro de football ! », se remémore Aymane Dahane.

Face à cela, en 2023 notamment, des efforts ont été déployés pour améliorer l’accès et l’accompagnement des doctorant(e)s. Par exemple, l’université Paris-Saclay et l’École polytechnique proposent des programmes de financement et de soutien pour les doctorant(e)s, incluant des allocations de recherche et des contrats doctoraux couvrant les besoins essentiels (matériels et financiers).

Par leurs thématiques de recherche, Aymane Dahane, Francesca Cassinadri et Yves Golder brisent les clichés du monde académique, et renforcent le lien entre la recherche et la société. En s’éloignant des stéréotypes, ils et elle démontrent que la recherche peut être inclusive et profondément connectée aux réalités contemporaines.

Leur travail illustre une recherche intégrée à la société, interdisciplinaire et engagée. Pourtant, l’accessibilité au doctorat reste un enjeu crucial, nécessitant un soutien financier et institutionnel accru pour permettre à une diversité plus large de profils d’y accéder et de contribuer à la recherche scientifique et sociale.

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