Le conseil municipal est de retour en ce lundi 5 février ! Une nouvelle saison commence pour notre série politique préférée, l’occasion de célébrer, avec un peu de retard, le passage à la nouvelle année. Quelles bonnes résolutions auront prises nos élu(e)s ? Qui aura fait le Dry january de la punchline ? L’opposition abandonnera-t-elle l’hémicycle, en hommage au premier anniversaire de leur coup de théâtre ? Beaucoup de questions, et les réponses sont à retrouver dans le premier récap’ de 2024.
Pour anticiper une année politique dense et pleine de rebondissements, nos élu(e)s ont décidé de faire une sorte de « Dry ordre du jour » : un programme sec, avec 31 points au menu, dont seulement 6 retenus. Peu disposée à suivre l’exécutif dans son initiative de sobriété, l’opposition a déposé 13 textes additionnels, dont 1 (bonne ?) résolution, 2 motions, 7 questions orales et 3 questions d’actualité. Une dernière motion des écologistes et communistes complète l’ordre du jour.
La deuxième partie du conseil municipal risque donc d’être animée, avec des sujets comme l’arrêt provisoire du projet sur le quai des Pêcheurs, l’avenir de la T’Rêve ou encore la disparition d’un îlot de nature à Cronenbourg, remplacé par un projet immobilier. Pour en voir le bout, il faut juste que l’opposition décide ne pas quitter le conseil municipal, comme elle l’avait fait un an auparavant. Suspens suspens.
Le décryptage : comment la Ville dépense ses (et nos) thunes ?
Pourquoi c'est important ?
On pourrait facilement se lasser des débats d’orientation budgétaire (DOB de leur petit nom). Les discussions tournent toujours autour des mêmes postures, entre « dette économique » et « dette écologique ». Le camp choisi vous marque immédiatement politiquement et nos élu(e)s semblent incapables de s’écouter, et donc de se convaincre.
On peut donc rester si l’on aime le comique de répétition ou les punchlines, mais aussi parce qu’il est important de savoir comment et sur quels sujets la Ville compte dépenser ses deniers. Quelques exemples :
- Côté culture, Strasbourg est capitale mondiale du livre en 2024, mais continue également d’investir avec la livraison du bâtiment de la HEAR à la Manufacture des tabacs, des bâtiments de la COOP, de la Laiterie, de l’espace K, du Musée zoologique, et les travaux du cinéma Star Saint-Exupéry. Plus étrange, notre ville deviendra capitale mondiale du temps en mars. Strasbourg et les labels, une longue histoire.
- Côté solidarité, la Ville va accroître d’1 million d’euros le budget des centres sociaux culturels (CSC), refondre les aides sociales communales, en prévoyant une augmentation des plafonds, et pérenniser le dispositif ordonnance verte avec 800.000€ d’investissement qui permettent d’étendre le dispositif à 1.500 femmes.
- Côté végétalisation, 16 cours d’écoles et 4 cours d’établissements d’accueil de jeunes enfants seront en travaux pour déminéralisation et végétalisation. D’autres espaces seront également végétalisés, comme le parvis du CSC Aquarium à Cronenbourg, la rue Ovide à Koenigshoffen, la rue de la Papeterie à la Robertsau et la place Ferdinand-Braun dans le quartier Gare.
Un seul amour et pour toujours : les débats sur la dette de Strasbourg
Année après année, il reste également intéressant d’écouter ce DOB parce qu’il continue de nous offrir deux visions de Strasbourg. Celle de la majorité écologiste est de « sortir du fétichisme de la dette » selon les mots badins de Syamak Agha Babaei. Côté chiffres, la dette strasbourgeoise augmente de près de 30 millions d’euros, atteignant les 332 millions.
Les prédictions prévoient même une dette qui arrive à 439 millions en 2026. Néanmoins, dans le même temps, la capacité de désendettement est passée de 8,1 à 7,7 années entre 2022 et 2023, loin des mauvaises augures de l’année dernière.
Le projet de ville que vous pensiez durable s'effondrera comme un château de cartes.
Ce point objectif de santé financière n’empêche pourtant pas l’opposition de fustiger ce recours perpétuel à la dette pour investir. Jean-Philippe Maurer (LR) est prudent, évoquant une « mise sous tension budgétaire » pour la fin du mandat. Une attitude partagée par Caroline Barrière (Faire Ensemble), exhibant son beau pouce d’or, s’inquiétant du « mur de la dette ». Jean-Philippe Vetter s’interroge sur la « pulsion de dépense » de l’exécutif et notamment celle du premier adjoint, « roi de la dépense publique ».
De son côté, n’hésitant pas à creuser la dette de la nuance, Pierre Jakubowicz (Centristes et Progressistes) évoque un « mandat perdu pour le climat », fustige la municipalité de n’avoir « aucune excuse pour faire si peu, si lentement, après avoir tant fait la morale aux autres » avant de terminer par : « Au bal des faux-culs il est temps de sonner le glas ». En somme, la traditionnelle vision d’un Strasbourg apocalyptique après le mandat écologiste, coupable d’une mauvaise gestion des finances.
Je comprends le désarroi de l’opposition qui dit que tout va très mal, qui reproche de ne pas faire assez vite et qui en même temps a sans cesse le pied sur le frein pour tous les projets de transformation écologique.
À cet unique argument de l’opposition, la majorité réplique avec le sien : « L’endettement augmentera et nous l’assumons pour la transformation écologique du territoire », selon Syamak Agha Babaei, qui évoque des « auspices économiquement assez sereines pour la Ville de Strasbourg ». Benjamin Soulet (Strasbourg Écologiste et citoyenne) le rejoint, évoquant des « finances solides et une gestion responsable » avec 36% de ses 104 millions d’euros d’investissements provenant de ses propres économies.
Enfin, après près de 3h de débats, Jeanne Barseghian fait dans le sarcasme. Pointant « l’absence de cap et de colonne vertébrale politique dans notre opposition », elle dénonce « les rapprochements à venir » entre Faire Ensemble et LR. Avant de conclure : « Vous n’aurez pas réussi à vous convaincre mutuellement ». Peut-être l’année prochaine ? On a le droit de rêver.
Le sujet chô : changement de braquet pour les pistes cyclables entre la Meinau et le Neudorf
On aurait pu parler des débats sur la conception de l’écologie des différent(e)s élu(e)s du conseil municipal, ou bien de ceux sur la situation en matière d’égalité entre les femmes et les hommes en 2023.
Mais comme ce conseil municipal a été pauvre en décisions concrètes pour Strasbourg, on se concentre plutôt sur les différents projets de pistes cyclables dans le secteur de la Meinau et du Neudorf. Une vraie avancée pour des quartiers qui connaissent un manque cruel de ce type d’aménagements et où il est toujours difficile de se déplacer à vélo [accéder au stade de la Meinau est un enfer depuis le centre-ville, ndlr].
Pas de coup de pompe pour le vélo
Très concrètement, l’objectif de la Ville est de créer trois nouvelles liaisons cyclables sur 5km, sécurisées et en site propre, c’est-à-dire qu’elles seront uniquement dédiées à la pratique du vélo :
- Une piste bidirectionnelle sur l’avenue de Colmar entre le carrefour Baggersee et le stade de la Meinau. Elle sera située sur le côté est de la chaussée, en supprimant une voie de circulation.
- Une piste bidirectionnelle au nord de la place du Schluthfeld sur la route de l’Hôpital et une voie cyclable entre la rue du Lazaret et le quai Menachem-Taffel. Un aménagement complexe, en deux parties : au nord de la place du Schluthfeld, on supprime une voie ou une rangée de stationnement ; entre la rue du Lazaret et la place du Schluthfeld, la circulation automobile irait côté ouest, son versant côté est devenant une voie partagée réservée aux cyclistes et aux accès riverains.
- Enfin, une piste bidirectionnelle entre l’avenue de Colmar et l’avenue du Rhin. Selon la délibération, il est pour l’instant prévu de la mettre côté sud, en réduisant la largeur des voies et en supprimant une rangée de stationnement.
Tous ces aménagements permettront donc de réduire la place de la voiture dans des secteurs dangereux pour les piéton(ne)s, les cyclistes et même les automobilistes. Ce faisant, la municipalité espère pouvoir végétaliser au maximum le secteur. Coût total ? 8.5 millions, dont 970.000€ pour la Ville.
Des débats qui ne manquent pas d’air
Présentant ce « projet majeur du plan Vélo dans le sud strasbourgeois, qui va améliorer la vie des piétons et des commerçants dans le secteur », Sophie Dupressoir (Strasbourg Écologiste et Citoyenne) attend 6.700 nouveaux vélos grâce à ces nouveaux aménagements. Le sujet paraît donc à première vue consensuel, surtout qu’il n’est encore qu’au stade de l’avant-projet, mais il y a de la choucroute dans les pédales.
L’opposition met, en effet, le nez de la majorité dans le guidon. En cause : trois diapos qui auraient disparu du document remis au public. Pernelle Richardot mène le peloton en révélant notamment une future suppression de 236 places [absente de la délibération, ndlr] et la congestion de la circulation automobile [lorsque la demande des déplacements excède la capacité de l’infrastructure, ndlr] estimée à 44% à l’horizon 2026.
L’élue dénonce alors un « document incomplet ou volontairement flou », un classique envers la municipalité, rejointe par Nicolas Matt (Centristes et Progressistes). Jean-Philippe Maurer déplore lui le choix de l’exécutif : « Vous manquez l’occasion de réfléchir de façon plus intéressante sur les déplacements cyclables, avec un projet non abouti qui nous rend prisonniers. » Enfin, Pierre Jakubowicz redoute une « machine à transformer de bonnes idées en mauvais projets ».
Pousser des cris d’orfraie à chaque fois que le piéton prend un peu de place sur la voiture est une attitude qui date du siècle dernier.
Des critiques mal prises par la majorité, avec Alain Jund (Strasbourg Écologiste et Citoyenne) critiquant « l’alliance hétéroclite de l’inaction et de l’immobilisme ». Abdelkarim Ramdane (Strasbourg Écologiste et Citoyenne) s’interrogera pour finir : « Pourquoi on veut des lignes droites pour les voitures et des itinéraires plus compliqués pour les vélos ? »
Après une explication de vote de Jean-Philippe Vetter prônant une « abstention bienveillante », le point est adopté avec 58 voix pour et 4 abstentions. L’avant-projet sera présenté au public à la mi-2024, et la municipalité espère finir les pistes cyclables pour 2026.
Ce qui va changer pour Strasbourg et les Strasbourgeois(es)
Le réaménagement du quai des Pêcheurs est-il encore d'actualité ?
En 2024, la Krutenau va radicalement changer de visage. Les travaux de transformation de la place du Foin ont débuté, tout comme ceux des abords de la Manufacture des tabacs, pour faire la part belle aux piéton(ne)s et cyclistes. Néanmoins, dans le lot, le réaménagement du quai des Pêcheurs, consistant en de nouvelles pistes cyclables et une meilleure marchabilité du trottoir côté Ill, semble avoir été repoussé aux calendes grecques.
À la Krutenau, les abords de la Manufacture des tabacs bientôt métamorphosés
C’est en tous cas l’inquiétude de Pierre Jakubowicz, qui déplore « le silence radio » de la municipalité, après l’annulation de la réunion publique prévue initialement le 14 novembre dernier. Aurélie Kosman, l’élue du quartier, le rassure en affirmant que « le projet est bien toujours d’actualité et sera réalisé », étant inscrit dans la programmation voirie 2024. On restera attentif aux évolutions d’un projet nécessaire pour un secteur qui peut être bien plus beau que ce qu’il est aujourd’hui.
Quel avenir pour la T'Rêve, après l'incendie du 18 janvier dernier ?
Le 18 janvier dernier, et un jour seulement après son anniversaire, le centre d’accueil de jour pour les personnes sans-abri la T’Rêve a été touché par un incendie. Depuis, plus d’une dizaine de personnes ont été relogées, alors que le bâtiment devait déménager dans celui de La Cave à Vins, à la Coop.
Un bâtiment « inadapté de par sa configuration à l’accueil de personnes fragiles dans des conditions de confort et de dignité optimales », selon Pierre Jakubowicz, qui s’interroge sur l’avenir du centre d’accueil. Selon lui, sa localisation pose problème, pour des questions « d’accessibilité et de concentration de vulnérabilités ». Il propose alors l’alternative du centre Fritz-Kiener à la Krutenau, ce qui ne « ne marche pas du tout pour cet été » selon Floriane Varieras, parce que les travaux sont loin d’être engagés.
La T’rêve, le nouveau lieu d’accueil de 800m2 dédié aux migrants à Strasbourg
L’adjointe à la Ville inclusive poursuit : « Ce n’est pas une lubie d’avoir choisi la Cave à Vins, c’est le lieu le plus adapté, par ses services comme l’accès à l’eau, ou encore sa surface disponible. » Elle précise également que toutes les modalités seront discutées dans une semaine à la Coop avec les habitant(e)s du quartier pour une « vraie intégration avec le quartier ».
Pour conclure, Syamak Agha Babaei précise qu’après la Cave à Vins, la T’Rêve atterrira dans un nouveau bâtiment à Koenigshoffen.
La disparition d'un îlot de nature à Cronenbourg
Pour terminer, on revient sur un grand classique dans les débats opposition-majorité écologiste : les besoins en urbanisme et en construction de logements, impliquant la disparition d’arbres et d’îlots de nature. Les affaires du 92 avenue du Rhin ou celle de la rue Bussière ont montré à quel point le sujet est inflammable, donnant lieu à des débats qui ne détonneraient pas sur un ring.
Dernier exemple en date ? La disparition d’un îlot de nature à Cronenbourg au 143 et 145 route de Mittelhausbergen, composé de 12 sapins de près de 30 mètres, après le passage des pelleteuses pour préparer un ensemble immobilier de 43 logements et d’un parking de 51 places. Pierre Jakubowicz et Rebecca Breitmann (Centristes et Progressistes) accordent leurs violons pour incriminer la municipalité d’un « manque d’anticipation et d’intérêt pour la conduite de ce type de chantier pourtant très impactant ». Ils vont même jusqu’à l’accuser d’avoir « un droit d’écocide ».
Forcément touchée par cette accusation « inacceptable d’écocide », Suzanne Brolly (Strasbourg écologiste et citoyenne) tente d’expliquer « sa politique d’équilibre entre le logement et la nature ». Elle déplore, néanmoins, de le faire face à une interpellation qu’elle juge malhonnête, faite d’une médiatisation tardive et « à géométrie variable », relayant des « fake news ». Elle met en avant un projet « bien négocié avec le promoteur », qui permet d’augmenter la surface de pleine terre, respectant mieux la biodiversité.
Elle met également en avant qu’en pleine crise du logement, « la production des logements sociaux ne se balaye pas d’un revers de main, avec 29.000 demandes de logements sociaux. Nous sommes des maires bâtisseurs parce qu’on souhaite fournir un toit à toutes et tous. » Une réponse passionnée, qui monte dans les tours avec les réponses de Pierre Jakubowicz qui l’accuse de leur « crier dessus ». Un nouvel exemple sur la difficulté de concilier écologie et social, avec une opposition qui ne manque jamais d’appuyer là où ça fait mal.
Le point bingo
Punchline battle
- « Je n’ai pas les super-pouvoirs d’empêcher des arbres coupés », Suzanne Brolly
- « On a l’impression que dès que vous plantez un arbre, il faut que tout le monde le sache », Pierre Jakubowicz
- « La maire s’excuse de ne pas pouvoir faire pousser les arbres plus vite », Jeanne Barseghian
- « En politique, comme en amour, ce sont les actes qui comptent », Nicolas Matt
- « Il n’y a ni cap, ni colonne vertébrale politique dans notre opposition », Jeanne Barseghian
- « On se croirait au Monopoly : vous avez tiré une carte chance, erreur de l’État en votre faveur », Caroline Barrière
- « L’histoire ne se répète pas, elle bégaye », Hülliya Turan
- « Vous êtes comme les automobiles, vous restez immobiles 93% du temps », Pierre Ozenne
Il est 20h07 lorsque le premier conseil municipal de 2024 s’achève. Un premier épisode convenu, où les discussion budgétaires ont dominé les débats. Quelques sujets plus concrètement strasbourgeois ont parfois chauffé les esprits de l’hémicycle, qui s’est tout de même tenu bien sage. Il se prépare sans aucun doute à une année 2024 politiquement importante, puisque l’exécutif n’a plus de temps à perdre pour développer ses grands projets. Une montée en puissance pour notre série politique préférée.