À 88% féminin, le métier d’infirmière apparaît régulièrement dans la liste des professions préférées des Français(es). Mais comment s’exerce-t-il dans un hôpital strasbourgeois ? Nous avons suivi trois professionnelles pour le savoir.
Au 12ᵉ étage de l’hôpital de Hautepierre, le silence de la salle de soins contraste avec l’activité des infirmières du service de gériatrie aiguë. Cet après-midi, elles sont trois à examiner les prescriptions pour préparer piluliers et perfusions. Une exception. « Normalement, on est deux, détaille Dieynaba Boubou. On s’occupe chacune d’un secteur et de 14 patients. »
Il est 14h10 et la journée de l’infirmière vient tout juste de débuter après un moment de transmission avec les équipes du matin. Les yeux rivés sur l’écran d’ordinateur de son chariot, la jeune femme ouvre le dossier de chaque patient(e) pour préparer les traitements à donner lors de sa première tournée.
Sur sa tablette, les cachets côtoient ampoules et solutions à perfuser. « C’est à nous de préparer toutes les dilutions », explique Dieynaba avant de remettre quelques éléments dans le placard de la pharmacie – un traitement vient d’être annulé à la dernière minute.
« On ne peut pas juste venir distribuer les traitements »
Il est 15h quand l’infirmière peut enfin commencer sa ronde. « Dans ce service, nous avons beaucoup de patients qui sont là de manière provisoire. Ils arrivent souvent avec un syndrome confusionnel, dont on va chercher la cause, ou après une chute, le temps que l’on évalue leur autonomie avant de les rediriger vers une structure adaptée – autre service, résidence senior, Ehpad. Les hospitalisations durent en moyenne une à trois semaines et les pathologies qui reviennent le plus sont l’hypertension et le diabète. »
Qu’il y ait ou non des médicaments à donner, Dieynaba frappe à chaque porte et se présente. « C’est ma reprise dans ce secteur du service. Entre mes jours de repos et mes congés, je n’ai pas été là pendant deux semaines : j’ai besoin de voir tous mes patients. »
Dans une chambre, une dame lui parle de son portable déchargé. Plus loin, une patiente évoque des douleurs aux yeux : l’infirmière appelle immédiatement l’interne de garde.
À plusieurs reprises, la soignante tombe sur des patient(e)s endormi(e)s et vérifie que tout est en place. Remonte une couverture sur une épaule frissonnante. « C’est aussi ça, prendre soin. On ne peut pas juste venir distribuer les traitements et repartir, explique Dieynaba. Il y en a qui ont besoin de plus, parce qu’être hospitalisés les angoisse. »
Particulièrement la nuit, lorsque le service est plus calme et les équipes, moins nombreuses. « Ça m’est déjà arrivée de passer 10 minutes à tenir la main d’une patiente qui avait besoin d’être rassurée », poursuit l’infirmière. Il ne faut pas se focaliser uniquement sur la technique ou le médical : il y a un aspect humain essentiel dans notre métier. »
Dieynaba Boubou a obtenu son diplôme d’infirmière en juin 2023, à 40 ans. « Avant, j’ai travaillé sept ans en tant qu’ASH [agente de service hospitalier, ndlr] et sept ans en tant qu’aide-soignante. Devenir infirmière était un de mes objectifs en entrant à l’hôpital », explique celle dont la formation a été prise en charge par l’institution.
« Ce que j’aime, c’est à la fois le contact avec les patients et le soin. En tant qu’aide-soignante, il me manquait un petit quelque chose dans l’accompagnement. En tant qu’infirmière, nous jouons un rôle de tremplin entre le médecin et le patient. Nous sommes en première ligne concernant tout ce qui relève de l’alerte. »
« On apprend tout le temps »
Dans la salle des infirmières de l’unité de soins intensifs en cardiologie, au Nouvel hôpital civil (NHC), une dizaine de soignantes discutent en gardant un œil sur les écrans de contrôle. Tensions, oxygénations du sang, rythmes cardiaques et électrocardiogrammes… les constantes des patient(e)s du service se succèdent à l’image tandis que les premières tournées se préparent.
Arsène Rabolion attrape son chariot et toque à la porte de la première chambre. « Bonjour, vous allez bien ? » La patiente a été opérée le matin même pour remplacer une valve cardiaque. Elle se porte comme un charme. « Vous allez pouvoir manger, sourit l’infirmière. Qu’est-ce que vous voulez, un déjeuner ou un petit-déjeuner ? »
En attendant le repas, la dame souhaite surtout pouvoir s’asseoir un peu. La soignante vérifie la perfusion, regarde les pansements et desserre le bracelet de prise de tension avant de l’aider à se redresser. « Vous m’appelez si vous voulez vous rallonger », lance-t-elle en partant. Une consigne loin d’être anodine pour la santé cardiaque de la patiente.
« Notre mission ici, c’est d’accueillir des patients avec un risque cardiaque aigu », détaille Arsène. Une tâche qui nécessite des compétences techniques et des moyens. Chaque infirmière ne veille ici que sur quatre patient(e)s et passe les voir plus régulièrement que dans d’autres services. « Ici, les jeunes sont doublées par une professionnelle expérimentée plus longtemps qu’ailleurs, le temps de bien connaître le service », poursuit la soignante.
Contrôle des prescriptions – avec le devoir de revenir vers le médecin si elles estiment qu’il y a une erreur dans le traitement -, lecture des électrocardiogrammes, maitrise de certains gestes spécifiques… le métier d’infirmière est ici particulièrement technique. Les situations d’urgence obligent chacun(e) à connaître sa partition sur le bout des doigts.
« Récemment, dans le service, une patiente a fait une tamponnade, c’est un écoulement de sang dans le péricarde qui gêne l’activité du cœur, détaille l’infirmière. Il faut se dépêcher de pomper le sang dans le cœur avec une aiguille. C’est un geste très invasif que pratique le médecin et nous, nous devons savoir réagir à ses côtés sans exacerber le stress. »
Aide-soignante à son arrivée à l’hôpital, Arsène Rabolion a passé le concours d’infirmière il y a 20 ans. Elle a d’abord effectué des remplacements dans divers services avant de poser ses valises en unité de soins intensifs en cardiologie. Cet aspect technique de la pratique fait partie des choses qui lui plaisent. « On apprend tout le temps, on n’est jamais blasés », juge celle pour qui les infirmières sont ici « le prolongement des yeux des médecins. »
L’humain n’est cependant jamais loin. Rapidement, Arsène évoque également « le lien, essentiel dans notre métier », et l’ambiance au sein du service. « On n’est jamais seules, il y a beaucoup d’entraide. Quand on vit des situations difficiles, quand on perd des patients notamment, on prend le temps d’en parler entre nous. C’est une forme de psychothérapie collective. »
Cette ambiance dans le service produit ses effets : « Les stagiaires qui passent par ici reviennent souvent à la fin de leurs études », poursuit Arsène Rabolion, aujourd’hui très investie dans la transmission et l’encadrement des étudiantes. « Il est très important qu’on leur donne envie de faire ce métier. C’est un beau métier », conclue celle qui ne s’en est, jusqu’à présent, « jamais lassée ».
« On ne raconte pas la même chose à une infirmière et à un médecin »
« La fatigue, ça va comment ? » Dans son bureau du service d’oncologie, au Nouvel hôpital civil, Catherine Cochez commence tout juste sa matinée de consultations. Blouse sur les épaules, elle mène l’entretien en complétant le dossier du patient sur son ordinateur avant de l’examiner pour comprendre l’origine de ses douleurs abdominales.
« Vous avez perdu beaucoup de poids. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée de poursuivre le traitement aujourd’hui. Je vais vous prescrire quelque chose pour le ventre et on se retrouve dans deux semaines ? D’ici là, vous m’appelez s’il y a quoi que ce soit ! »
Contrairement aux apparences, Catherine Cochez n’est pas médecin, mais infirmière en pratique avancée (IPA). Elle peut recevoir des patient(e)s en consultation et prescrire des examens, des prises de sang, et renouveler ou modifier les doses de chimiothérapie. « C’est un métier assez récent. On l’annonce depuis un moment, mais il a fallu attendre 2018 pour que le décret d’application soit publié », détaille la quadragénaire.
Le texte définit les domaines dans lesquels les IPA peuvent exercer : aux urgences, en psychiatrie, en néphrologie, en oncologie et hémato-oncologie, ou en libéral concernant les pathologies chroniques. Déjà infirmière en oncologie, Catherine Cochez s’est formée dès 2014 en intégrant un master sciences cliniques infirmières à l’université d’Aix-Marseille. Son diplôme en poche, il a lui cependant fallu attendre que la législation suive, puis qu’un poste soit ouvert aux hôpitaux de Strasbourg, en 2021.
« Je suis plus proche d’une infirmière que d’un mini-médecin dans ma pratique, détaille-t-elle. Ma consultation est différente : ce n’est pas le même lien avec le patient. Ma prise en charge est plus globale, plus holistique. Certains patients ont le sentiment qu’enfin, quelqu’un les écoute. Et l’étiquette n’est pas la même : on ne raconte pas la même chose à une infirmière et à un médecin. »
L’IPA n’a pas le droit de poser un diagnostic, mais elle travaille en étroite collaboration avec les équipes médicales. « Au quotidien, j’essaie également de faciliter le travail de mes collègues infirmières, d’avancer ce qui peut être fait », poursuit-elle. Toutes ces missions s’accompagnent cependant d’une plus grande responsabilité. « Lorsque je prescris, je ne suis pas couverte par un médecin, détaille Catherine Cochez. C’est moi qui suis responsable en cas de problème. »
L’IPA a donc choisi de souscrire à une assurance professionnelle. Mais la grille salariale de ce jeune métier ne prend pas en compte ce genre d’impératifs. Pas plus que la formation continue. En sortie de master, une infirmière en pratique avancée à l’hôpital ne gagne que 2200 euros brut, soit 200 euros brut de plus qu’une infirmière environ. « Financièrement, ce n’est pas forcément intéressant », reconnaît Catherine Cochez.
Reste l’autonomie. « Avant, dès que j’avais besoin de quelque chose pour mon patient, je devais aller voir le médecin pour demander une prescription. Maintenant, je peux aller au bout de la prise en charge. »