Depuis hier, le printemps est enfin arrivé à Strasbourg, avec sa promesse d’arbres en fleurs et de bonne humeur. Hasard du calendrier, il porte dans ses bagages le conseil municipal. Est-ce que les débats écloront alors avec la même délicatesse que les bourgeons ? L’hémicycle se retrouvera-t-il à nouveau dépourvu de son opposition, une fois le temps du règlement intérieur venu ? La réponse tout de suite, dans le débrief de ce conseil municipal du 20 mars.
69 points à l’ordre du jour, 12 points supplémentaires traités en fin de conseil ; un débat sur la religion, un autre sur le stationnement et surtout une refonte du règlement intérieur. En bref, le conseil municipal de ce 20 mars n’était pas là pour décortiquer les smarties. Même si, comme d’habitude, une brouille a retardé le début des hostilités.
Jeanne Barseghian a en effet annoncé retirer 5 points à l’ordre du jour, remis au prochain conseil. Cela n’a pas plu à Catherine Trautmann, toujours la première à affirmer qu’elle expérimente « les circonstances les moins démocratiques » dans ses 40 ans de conseil municipal.
Elle est rejointe par Alain Fontanel puis par Pierre Jakubowicz, qui entame une escarmouche avec Jeanne Barseghian, sur fond de politique nationale et de réforme des retraites. Ni une ni deux, une suspension de séance arrive ; pas même 40 minutes après le début du conseil, et avant la fin de la lecture de l’ordre du jour. Les fondations d’un conseil, et d’un bingo, solides.
Le décryptage : la refonte du règlement intérieur
Pourquoi c’est important ?
Premier point à l’ordre du jour, et pas des moindres : la refonte du règlement intérieur. Pour les Strasbourgeois(es) assez farfelu(e)s pour regarder le conseil municipal, difficile d’y trouver un intérêt ; pour nos élu(e)s en revanche, c’est tout l’opposé. Pas étonnant donc, que le sujet ait mis un sacré bazar dans les débats municipaux, jusqu’à en devenir un running gag.
Mais le fiasco du dernier conseil est allé trop loin, et il fallait donc apaiser les débats. Pour l’exécutif, qui a passé plus de 20h à mettre en forme le règlement intérieur idéal avec les autres groupes politiques, il s’agissait de ramener une sobriété bienvenue dans le nombre de points soumis après l’épuisement de l’ordre du jour. Afin de clarifier un document devenu illisible, notamment, sur l’objet des résolutions, nouvel outil d’expression instauré par la majorité, mais qui l’a très vite dépassée. Désormais, chaque groupe politique aura le droit à 7 résolutions, une par conseil.
Majorité vs opposition : « plus de droit » contre « limitation du temps de parole »
Ça, c’est la théorie. Dans la pratique néanmoins, on assiste à un débat qui part un peu dans tous les sens. Pour l’opposition, Catherine Trautmann met en avant une « ère du passage en force et de l’abus majoritaire », rejointe par Pierre Jakubowicz se plaignant de l’un « des règlements les plus restrictifs que notre ville n’ait jamais connu ». Il rejoint également les critiques de Jean-Philippe Vetter, insistant sur la dimension « militante avant d’être maire » de Jeanne Barseghian. Un reproche qui parle à leur électorat, toujours frileux de tout ce qui touche au militantisme.
Pour la majorité, la tactique consiste à rappeler que le règlement intérieur donne davantage de droits à l’opposition que sous les précédents mandats. Jeanne Barseghian se montre d’ailleurs surprise de certaines des critiques énoncées et regrette qu’elles soient différentes de celles soulevées lorsqu’il n’y avait pas de caméras. Pour terminer, Syamak Agha Babaei accuse l’opposition de « sublimation du passé ».
Finalement, le point est adopté à 47 voix pour, 9 contre et 7 abstentions. On espère que désormais, on entendra moins parler des rappels au règlement intérieur. Même si le doute est permis.
Les avancées pour Strasbourg et les Strasbourgeois(es)
Un budget 2023 « sensible au genre »
Après sa présentation en janvier, la municipalité revient dans l’hémicycle pour faire voter son budget 2023. Que celles et ceux qui attendaient de la nouveauté ne soient pas trop déçu(e)s : niveau débats, on ne change pas une équipe qui ronronne. On entend en effet encore et toujours les mêmes arguments de part et d’autre ; d’un côté “vous allez laisser une dette économique à nos enfants”, de l’autre : “la vraie dette, c’est la dette écologique”.
Mais nos élu(e)s n’ont jamais rechigné à recycler leurs arguments. Lançant les hostilités, Alain Fontanel dénonce « la municipalité la plus inflationniste de France ». De son côté, Jean-Philippe Maurer fait dans la métaphore musicale : « Money money money : ce n’est pas qu’une chanson d’ABBA mais le slogan que vous auriez pu faire vôtre pour ce budget 2023 ». En face, la majorité met en avant son « bouclier écologique et social », avec Hülliya Turan déclarant que « face à l’austérité nous répondons avec plus de solidarité », tandis que le budget « redonne un sens aux finances » pour Christelle Wieder.
En fait, la seule nouveauté de ce budget est qu’il a permis d’évoquer sa composante « sensible au genre », cinquième pilier du développement durable selon l’ONU. Cela veut dire que Strasbourg analyse ses dépenses en fonction de leur impact sur l’égalité entre les hommes et les femmes, et les ajuste en conséquence. Sont notamment concernées des politiques telles que l’ordonnance verte, le sport santé pour femmes enceintes, ou encore la meilleure répartition de l’espace public dans les cours d’écoles, qui avait provoqué moult débats il y a plus de deux ans.
Peu impressionné(e)s, Pierre Jakubowicz parle d’un « budget insensible aux gens » tandis que Rebecca Breitmann déplore un manque d’ambition. Jean-Philippe Vetter cherche quant à lui toujours le grand projet rayonnant de la municipalité. Sur ce point, Jeanne Barseghian tente de le rassurer : « C’est juste le début des transformations à venir. Végétaliser, planter des arbres, protéger aujourd’hui et demain, c’est ça notre grand projet ». Le budget est finalement voté à 48 voix pour 17 contre. À l’année prochaine pour les mêmes débats.
La fin du triste épisode sur la religion et le financement des cultes
Que serait un conseil municipal sans un débat d’au moins une heure sur la religion ? L’immense polémique de la subvention à la mosquée Eyyûb Sultan, les trois définitions différentes de la lutte contre l’antisémitisme et la délibération-cadre sur le financement des cultes annulée par le tribunal administratif ont montré que nos élu(e)s ont toujours l’inspiration chevillée au corps lorsqu’il s’agit de religion.
Alors quand est revenue sur la table l’histoire du financement des cultes, on pouvait craindre des débats houleux. Heureusement, il n’en fut rien, notamment parce que la délibération présentée n’est pas très différente de celle de septembre 2022. Tout le conseil semble ravi de tourner la page, même si l’opposition n’a pas pu s’empêcher quelques critiques. Pour Catherine Trautmann, « cette série n’avait de culte que le nom », tandis que pour Alain Fontanel, cette fin ne doit pas faire oublier « la faute originelle qui vous poursuit depuis le début de cette affaire ».
Gros pognon et religion : Strasbourg revoit son financement des lieux de culte
Jean-Philippe Maurer file une autre métaphore, déclarant que ce sujet est « presque devenu un chemin de croix ». Pour la majorité, Jean Werlen se prend au jeu, énonçant que « le sujet n’est pas mort, mais plutôt ressuscité ». Il doit néanmoins répéter plusieurs fois que « cette délibération n’est pas faite pour Eyyûb Sultan », preuve s’il en est que le sujet est encore dans toutes les têtes, d’opposition tout du moins.
Plutôt sereins, les débats n’ont néanmoins pas pu s’empêcher de se terminer en un puéril « c’est celui qui dit qui l’est » entre Jeanne Barseghian et Alain Fontanel au sujet d’un amendement déposé, dans les temps ou non selon la version, par l’ancien premier adjoint. Le point est finalement adopté par 48 voix pour et 14 abstentions. Mettant fin à une période peu reluisante pour notre conseil.
La Foire Saint-Jean au Wacken en 2023 puis à Hautepierre en 2024/2025
Grand projet annoncé en juin dernier, le projet de la Foire Saint Jean avait prévu de transformer une partie de la Plaine des Bouchers en esplanade festive de 7 hectares. Petit problème : le projet a pris du plomb dans l’aile et se retrouve repoussé d’année en année.
À tel point que cette année, la Foire Saint Jean se déroulera à nouveau au Wacken. Et, petite surprise, elle prendra ensuite ses quartiers à Hautepierre, proche du Zénith de Strasbourg, pour 2024 et 2025. Un sujet, « pas le plus simple du monde » selon Pierre Ozenne, qui a concentré les critiques de Céline Geissmann.
L’élue PS, déjà offensive en juin dernier, ne s’est pas privée de relever les échecs de la majorité, en leur reprochant de créer « de l’éphémère sur l’éphémère ». Un choix qui a par ailleurs un coût : 15 millions d’euros au total. Elle finit par demander : « À qui mentez-vous, aux Strasbourgeois ou aux forains ? ». Goûtant visiblement peu à l’intervention, Syamak Agha Babaei remercie ironiquement l’ancienne adjointe pour son “intervention pleine d’humilité”.
Le point est finalement adopté à 40 voix pour et 10 contre, laissant toujours planer le doute quant à la destination finale de la Foire Saint Jean dans les années à venir.
Le moment à retenir : l'opposition plein phare sur la réforme du stationnement
C’était le sujet chaud, et attendu : la “révolution des mobilités” promise par l’exécutif strasbourgeois et métropolitain se traduit pour le moment par un stationnement payant au Neudorf, une augmentation du stationnement résident et en voirie, et une hausse du tarif du ticket CTS.
Forcément, l’opposition n’a pas hésité à passer la seconde sur les critiques. Pernelle Richardot accuse la municipalité : « Votre souci, ce ne sont pas les plus fragiles mais votre électorat urbain privilégié”. Un léger raccourci : les quartiers de la Meinau et Neuhof ont en effet voté majoritairement pour la maire de Strasbourg au deuxième tour des municipales. Les communistes critiquent également cette politique, avec Joris Castiglione dénonçant une “surtarification qui s’applique à plus de la moitié des Strasbourgeois(es) et qui va à l’encontre d’un bouclier écologique et social”.
Mais le plus remonté est assurément Nicolas Matt. Critiquant un tarif qu’il juge antisocial, l’élu déclare, perdant un peu son sang froid : « C’est une blague, c’est scandaleux. Votre révolution a fait pschitt ». Il continue, cette fois dans la référence littéraire : « C’est un fouet fiscal pour imposer 50 nuances de vert ». Il conclut, avec aplomb : « Ce qui vous importe, ce ne sont pas les poumons des Strasbourgeois mais leur portefeuille ».
Du côté de la majorité, on ne freine pas sur les explications et on assume. Pierre Ozenne commence : « Ce n’est pas de l’écologie punitive, c‘est du pragmatisme ». Benjamin Soulet déclare ensuite que le bouclier écologique et social a pour but de faire en sorte que les Strasbourgeois(es) se débarrassent de la voiture individuelle, « gouffre financier pour les ménages » avec près de 7 000 euros de budget demandé en 2019 selon l’Automobile Club. Antoine Dubois fait lui dans la chanson, en hommage à Zazie : « Je suis un homme de Cro-Magnon, je prends ma voiture et je tourne en rond ».
Enfin, comme souvent, Jeanne Barseghian dénonce des « mensonges éhontés » de l’opposition, rappelant que 40% des Strasbourgeois n’ont pas de voiture, « pas par choix idéologique, mais souvent tout simplement parce que c’est trop cher ».
En résumé, tout le monde campe sur ses positions et, à l’instar des automobilistes qui cherchent désespérément une place pour se garer, les débats ont bien tourné en rond. Le point est finalement adopté avec 39 voix pour et 22 contre, dont celles du groupe communiste.
Le point bingo
Punchline battle
- « Je vais essayer de pas faire preuve d’humour, c’est dangereux », Marc Hoffsess
- « La bienveillance ce n’est pas ce qui coûte le plus cher », Caroline Barrière
- « On salue le budget sensible au genre mais on a le sentiment d’un budget insensible aux gens », Pierre Jakubowicz
- « Cette série n’a de culte que le nom », Catherine Trautmann
- « Ces relations épistolaires ne sont pas exclusives du tout », Jeanne Barseghian
- « C’est un fouet fiscal pour imposer 50 nuances de vert », Nicolas Matt
- « Je suis un homme de Cro-Magnon, je prends ma voiture et je tourne en rond », Antoine Dubois
- « Les jeunes sont en PLS parce que aujourd’hui on va droit dans le mur en termes de climat », Carole Zielinski
Il est 21h27 lorsque ce conseil municipal de mars prend fin. Comme prévu, il s’est avéré très dense, et, de manière plus surprenante, plutôt calme en termes d’affrontements. Sans doute la douceur du printemps qui a joué sur l’humeur de nos élu(e)s, qui reviendront croiser le fer le 10 mai prochain, dans de nouvelles aventures municipales.