Tribune de la troupe des Pin-up d’Alsace
Face à la crise qui frappe le secteur culturel strasbourgeois et les professionnels du spectacle, les Pin-up d’Alsace prennent la parole pour dénoncer la situation critique dans laquelle elles se trouvent.
D’abord, vous vous demandez sûrement qui nous sommes ? (parce qu’on est bien conscientes qu’a part nos parents et nos cousins, nous n’avons pas la notoriété de Madonna). Nous sommes une troupe de cabaret burlesque (dans le sens effeuillage burlesque et pas théâtre burlesque de Molière). Nous existons depuis plus de dix ans, nous sommes quatre artistes : Lemm Rollicking, Ruby Schatzi, Luna Moka et Coco Das Vegas, un régisseur et un accessoiriste. Nous travaillons principalement pour des entreprises, salles de spectacle, boites d’événementiel, des festivals, des foires, des mariages et des anniversaires privés, dans toute la région Grand Est, mais aussi plus loin (Corse, Avignon, Nantes, Montpellier etc.) Nous auto-produisons également 4-5 shows publics par an, pour élargir notre visibilité.
Toute l’équipe est intermittente du spectacle, ce qui veut dire qu’habituellement nous réalisons plus de 43 spectacles par an, c’est-à-dire que nous atteignons le quota de 43 cachets par an nécessaires pour être intermittent. Nous ne sommes pas les seules à vivre sur la production d’un show, bien au contraire, nous travaillons aussi avec d’autres intervenants tels que : les traiteurs, maquilleuses, couturiers, graphistes, imprimeurs, salles (location de salle), fournisseurs de matériel technique (scène, lumières, son …), boites d’évènementiel, décorateurs, foodtrucks, photographes, chorégraphes, viticulteurs et autres fournisseurs de boissons.
Maintenant que les présentations sont faites, vous allez comprendre combien ça coûte d’organiser un show ! Ready ? Alors, un cachet minimum par artiste coûte = 180 € brut, soit 80 € net (Nous sommes 6). Un costume = environ 2500 €. Eh oui les strass, les plumes, les costumes coûtent très cher ! (ils servent sur plusieurs années). Nous avons besoin d’un graphiste pour la réalisation d’affiche promotionnelle = 200 €, la location d’une salle = environ 1000 €, la location du matériel technique = environ 700 €. Ce qui nous donne un total (sans le costume qui sert à plusieurs shows) 2980 € HT.
Sur une jauge normale (200 personnes) le prix du billet serait de 15 €, mais dans le contexte actuel, avec une jauge à 70 %, le prix du billet pour rentabiliser le show serait de 20 € ! (5 € de plus par personne). Vous comprenez mieux le problème maintenant ?
Dans le cas où nous sommes bookées (c’est-à-dire payées par un organisateur), ce cachet de 80 € net paye :
- Le temps de répétition et préparation des affaires (2h)
- Le temps de trajet pour se rendre à l’endroit du show (3h en moyenne)
- Le temps d’installation sur place (répétition, maquillage, habillage) (3h)
- Le temps du show (2h)
- Le remballage des affaires et retour à la maison (4h)
Ce qui fait un total de 14h de travail soit 5,70 € de l’heure ! Ouais, on ne reste pas vraiment dans ce métier pour s’enrichir. J’entends vos commentaires dans vos têtes ou derrière vos écrans : « Ouais, mais le Président a dit qu’on leur allongeait leur intermittence, alors de quoi elles se plaignent ? » Hypothétiquement parlant, les droits intermittents ont été prolongés jusqu’au 31 août 2021. Or l’activité est au point mort au moins jusqu’à mars/avril 2021, ce qui veut dire que nous n’aurions que de mai à août 2021 pour effectuer les 43 cachets nécessaires à l’obtention du renouvellement de notre intermittence.
De plus, il parait improbable que notre activité revienne à la normale en vue des différents protocoles sanitaires variables mis en place. Il va donc de soit que bon nombre d’intermittents du spectacle ne pourront pas renouveler leur statut et se retrouveront donc simplement au RSA à partir d’août 2021. La seule solution serait de mettre en place une « vraie » année blanche et ce jusqu’à août 2022. Voilà. Clair, simple, efficace.
Nous n’avons pas envie de « chevaucher le tigre de la reconversion », c’est un métier qui nous plaît et dans lequel nous avons investi plus de dix ans de notre vie, il en va de l’avenir du divertissement et de la culture française qui tend à devenir amateur dans ce genre de contexte. Nous nous battrons avec notre vaillance habituelle, car nous croyons sincèrement à l’importance de nos métiers dans cette société. Bon nombre d’artistes et techniciens seront tentés par des embauches au rabais voire illégales dans cette période trouble, voilà pourquoi nous devons coûte que coûte défendre notre système de rémunération.
Nous sommes conscients du flou général engendré par cette situation d’urgence et inédite, que nous ne sommes pas la seule branche affectée comme le sont aussi de nombreux indépendants et entreprises, mais nous avons besoin de lignes directrices claires afin de pouvoir avancer sur l’évolution de notre métier qui ne sera plus jamais le même.
La vie d’après a repris comme avant pour presque tout le monde… Cependant, il reste quelques secteurs sur la touche. Le spectacle en fait partie. Nous sommes tiraillées entre d’un côté une lenteur politique très très réglementée qui nous empêche de nous projeter ou même de créer (parce qu’on ne sait pas si on peut concrétiser nos projets) et une solidarité des spectateurs, qui, on le sent bien aimeraient nous aider et revenir nous voir en spectacle. La réalité, c’est qu’à notre échelle (c’est-à-dire une troupe sans gros moyens qui autofinance le moindre projet), la mise en place d’évènements est devenu quasi-impossible à cause des règles (qui changent tous les jeudis), des frais supplémentaires et pour couronner le tout d’une jauge de spectateurs réduite.
Nous sommes épuisées moralement de créer, d’annuler, de déplacer, de nous adapter, de ne pas savoir où nous allons, de réfléchir à se reconvertir, ou pas, puis finalement si quand même, ah non peut-être pas… On aime notre métier (et c’est une chance) on veut juste travailler, on ne veut pas de pitié ou de solidarité, on ne veut pas que les gens, qui ont eux-mêmes subi tout ça, aient encore à payer pour nous sortir de la merde… On veut juste TRAVAILLER.
Vive la Culture, vive les intermittents.