Parfois, on se dit que certaines mésaventures de notre quotidien feraient un super scénario de film ou de roman d’aventure. C’est un peu ce que fait Timothée Ostermann, un auteur strasbourgeois qui a à cœur de mettre en lumière le comique de certaines situations de tous les jours. À presque trente ans, il est à la fois scénariste et dessinateur de bandes dessinées. Il compte déjà trois albums publiés chez Fluide Glacial, et collabore de manière régulière avec le magazine So Foot. Nous sommes allés à la rencontre de cet artiste local, dans son atelier des anciens garages de la Coop. Nous avons parlé foot, mais surtout des aventures insoupçonnées que constitue notre quotidien.
Des débuts tardifs mais fructueux
Né dans le nord de l’Alsace, Timothée Ostermann a suivi une formation classique aux Beaux-Arts avant de se spécialiser dans la BD à la fin de son cursus. Enfant, il aimait dessiner, copiant ses BD préférées : “Je n’avais jamais fait de BD avant d’aller aux Beaux-Arts, mais je savais que je voulais en faire dans ma vie. Quand on est plus jeune on ne connaît pas les métiers du dessin, et moi, assez bêtement, je disais que j’allais faire de la BD parce que c’était ce qui me semblait le plus adapté à ma culture. J’aimais bien le côté populaire de ce format. Plus tard, j’ai fait l’école supérieure des Arts de Lorraine à Metz [ESAL]. J’ai fait un peu de tout : de la vidéo, du dessin… Et puis à partir de la quatrième ou cinquième année, j’ai commencé à me spécialiser dans la BD ; j’ai donc débuté relativement tard”.
Comme beaucoup d’artistes, c’est au fil de ses lectures et de ses rencontres que Timothée a découvert son style : “Je n’avais pas une grosse culture ; j’avais beaucoup lu les trucs franco-belges qui traînaient chez mes parents : Tintin, Astérix et Obélix… Je ne dis pas que ce n’est pas bien, mais c’est un champ bien précis de la BD. Et puis j’ai découvert des récits plus longs, des autobiographies… Je me suis dit que j’aimerais bien en faire moi aussi. Depuis, je n’arrête pas de raconter ma vie”.
Son diplôme en poche, Timothée revient s’installer dans la capitale alsacienne. Une ville qui lui est chère puisqu’il est fervent supporter du Racing, mais aussi car il y fait bon vivre : “J’adore Strasbourg ! Sauf quand il pleut. J’aime bien vivre ici, parce que ma famille n’est pas loin, et puis j’ai plein de potes ici ! C’est une ville riche en illustrateurs, notamment grâce aux Arts décos [la HEAR]. Il y a un vivier, une énergie qui est bonne. »
Et comme dans tous les domaines, l’effusion artistique n’a que du bon. Timothée occupe depuis 2019 un atelier dans les anciens garages Coop dans le quartier du Port du Rhin. Les locaux étaient plus ou moins à l’abandon avant d’être rénovés pour abriter différents ateliers. Le lieu est une vraie ruche de créativité où se rencontrent artistes, éditeurs et graphistes. Un lieu idéal pour stimuler son imagination et créer une dynamique de groupe : « Avant de venir ici [dans son atelier actuel], je bossais seul chez moi. C‘était un peu chiant. Et là, j’ai rencontré des illustrateurs, on a un atelier ensemble. Il y a une bonne dynamique.”
Raconter sa vie pour raconter les autres
Ce que Timothée Ostermann a surtout à cœur, c’est de raconter le quotidien et les “petites gens” comme on dit. Les personnes qui travaillent dur toute leur vie pour rentrer de l’argent et qui n’ont que trois objectifs : salaire, cotisation, retraite. Ceux qui se tuent à la tâche, se lèvent tôt, les déçus de la vie qui se retrouvent coincés dans un travail qui ne les épanouit pas. Mais aussi les petites choses qui les font vibrer et tenir debout, leurs habitudes, les dimanches au club house avec les copains pour décompresser et rire comme des baleines. Depuis toujours, Timothée est observateur du monde sans pour autant en être éloigné. Il réussit à la perfection l’exercice de l’autobiographie sans jamais dresser un portrait narcissique. Il nous parle de lui en parlant des autres : “Il y a plusieurs manières de raconter une histoire, et moi le moyen le plus simple que j’ai trouvé, c’est de me dessiner en situation. C’est autobiographique, mais je m’efface, je ne suis qu’un relais pour raconter des choses.”
Après un job d’été au Leclerc et des dizaines d’anecdotes accumulées, Timothée décide de prendre ses feutres, et d’accoucher de son premier ouvrage, Voyage en tête de gondole, en 2016. Le livre raconte sa descente dans les abîmes du système Leclerc. Le chemin pour accéder à la paye estivale ne sera pas de tout repos, mais dans sa quête du chèque du mois d’août, Timothée sera aidé de nombreuses figures, toutes plus attachantes les unes que les autres. La grande aventure façon Koh-Lanta ! Une épopée “dans laquelle il ne se passe finalement pas grand chose”, comme le dit lui-même Timothée, mais qui n’en est pas moins riche en humour et en satire sociale : “J’ai commencé avec Leclerc parce que j’étais en plein dedans. J’y bossais l’été, en job étudiant. J’y ai fait plusieurs années, et un jour je me suis dit qu’il fallait en faire quelque chose. Je n’avais pas envie de faire un récit d’aventure classique, et je me suis dis que j’allais faire un conte initiatique dans un supermarché. J’aime bien niveler vers le bas. Le lecteur attend quelque chose de fou alors que le but de mon job, c’est de compacter du carton. C’est super décevant ! Je crois que j’aime bien le côté décevant des histoires. J’ai fait la même chose dans Football District. Au final, on voit très peu de foot, parce qu’en fait, c’est ça le football amateur, c’est extraordinaire et très ordinaire à la fois. On s’attend à une grande histoire et en fait non, c‘est surtout des moments de partage”
Même s’ils sont autobiographiques, les récits sont avant tout tournés vers les autres. Timothée raconte ceux qu’il rencontre, dans leur authenticité. Il confie aimer représenter la classe populaire, car c’est un milieu qui lui parle, et dans lequel il a baigné : “ J’aime bien avoir ce regard d’observateur. Je me suis souvent senti décalé, dans à peu près tous les milieux ; dans les milieux trop populaires et dans les milieux artistiques. Je suis toujours entre les deux, et je crois que j’aime bien poser mon regard sur ces deux pendants. L’urgence c’est de raconter le quotidien, des choses qui parlent à beaucoup de gens. Je ferai de la science-fiction plus tard, une fois que j’aurais fait le tour de tout ce que j’ai sur le cœur. En fait, ce que j’aime, ce sont les récits un peu politiques, humanistes.”
Des sujets intimes et personnels
En 2018, dans Football District, Timothée narrait son expérience comme joueur dans le club de Marmoutier. Chez les Ostermann, le foot, c’est une histoire de famille : le grand-père de Timothée a participé à la création du club de Marmoutier et tous ses frères y ont joué. Entraîneur beurré une fois sur deux, joueurs full tatoués qui se prennent trop au sérieux, habitués aux veines débordantes de Picon et humour gras de vestiaire : le panel est complet pour qui a déjà côtoyé les pelouses des patelins alsaciens le dimanche matin.
Le foot amateur, c’est un sujet sur lequel Timothée a toujours voulu écrire, car c’est quelque chose qu’il vit depuis l’âge de cinq ans : “J’ai toujours su que j’allais faire quelque chose sur le foot, parce que j’en fais et j’ai accumulé tellement d’histoires, j’avais une mine d’or ! J’aurais même pu faire plusieurs tomes, une saga ! (rires)J’étais sur un créneau intéressant et j’avais envie de faire un truc très bête avec de l’humain derrière, un truc social, drôle et pas juste des blagues où on se tire le short. En fait, dans ce livre, je parle surtout de moments entre potes, de gens passionnés. Heureusement qu’ils sont là ces gens. J’aime bien jouer, mais la vie associative je la vis de loin. Heureusement qu’il y a des gens qui donnent toute leur âme pour leur club ! Moi, je suis un fumiste, s’il n’y avait que moi ça serait une catastrophe !” (rires)
Mais ce n’est pas que la société que Timothée veut dénuder au travers de son travail, c’est aussi lui-même. Dans son dernier ouvrage, Carpe Diem : Amour, Spleen et Tatouage, l’auteur se fait davantage sombre, c’est un ouvrage plus personnel. Des pages entières nous plongent dans son esprit, noirci et vidé par la rupture, traversé de remises en question, du malaise de la peur de l’après. Le choix du motif de son futur tatouage est un bon prétexte pour parler de tous les questionnements qui nous submergent après une rupture douloureuse. La peur de faire les mauvais choix dans un moment qui marquera une vie à jamais.
Timothée se raconte, raconte le monde du tatouage pour mieux panser ses plaies, et donner un côté comique à une situation de désespoir : “Ça m’a fait beaucoup de bien de me dessiner en train de pleurnicher. Il y a un côté cathartique dans la BD ! C’était aussi un prétexte parce que ça faisait longtemps que j’avais envie de faire ce truc sur le tatouage. J’ai ce pote qui est tatoueur, et qui me racontait des histoires qui me faisaient hurler de rire ! Quand je me suis fait larguer, je me suis dis que c’était un super début d’histoire, et j’ai profité de ma tristesse pour faire un truc un peu plus mélancolique. Comme une quête initiatique.”
Un travail en perpétuel évolution
En se racontant au travers de ses quêtes, l’auteur de 29 ans nous permet de le voir évoluer, prendre de la maturité dans son travail. Les différences graphiques sont notables entre le premier et le dernier album. Ses dessins s’affinent et son personnage évolue physiquement et mentalement ; on le sent prendre de l’assurance et le Timothée de papier grandit et s’affirme en même temps que son créateur : “J’ai commencé à écrire mon premier album vers 20 ans, mais je ne savais pas vraiment ce que je faisais. Dans Voyage en tête de gondole, on voit que je suis hésitant… Pour mon prochain album, j’ai changé deux trois choses, j’ai modifié la tête de mon personnage ; j’aimerais qu’il soit plus sympathique visuellement parlant. Même le ton change, car je n’ai plus 20 ans maintenant. J’aime bien avoir cette liberté de pouvoir changer le dessin en fonction de ce que j’ai envie de raconter”.
Actuellement, Timothée Ostermann prépare donc une nouvelle BD, un album pour septembre 2022. Dans celui-ci, il y relatera des anecdotes issues de son expérience en tant qu’assistant pédagogique dans un lycée bas-rhinois. Ce teaser nous promet un album plein d’ados en crise, de punchlines dignes de meilleurs rappeurs, mais aussi d’une bonne dose de tendresse. Nous ne pouvons que vous conseiller d’ouvrir les ouvrages de Timothée, d’aller à la rencontre d’une farandole de personnages attachants, qui vous sembleront sensiblement familiers.
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@timothee.ostermann
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