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Strasbourg : en 2021, je veux du soleil

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Le compte à rebours ne tarda pas à commencer. Jeudi 31 décembre 2020. Il était 23 h 59 et une poussière de secondes. Dans ma main droite, un shooter de vodka déjà vide s’écrasa au sol lorsque minuit raisonna au même moment un partout à Strasbourg et surtout dans ma tête imbibée de nuages éthyliques.

Quelle fût longue et brève à la fois cette année aliénante, comme si Iggy Pop pogotait avec James Blake ou que  Billie Eilish jouait au Monopoly avec Francky Vincent. Ce fût un cri long et sourd, la douleur de martyrs en blouses blanches pour qui  les cierges brûlaient aux fenêtres, chaque soir à vingt heures, pour mieux illuminer les cernes de la dévotion. Nous ne vous oublions pas, ainsi que tous les autres héros du quotidien dont on ne parle pas, ceux qui ne télétravaillent pas, qui ne travaillent pas tout court, les combattants intubés, les âmes isolées et ceux qui trinquent déjà avec Maradona à l’ombre d’un olivier céleste.

Il faut lui dire au revoir comme il se doit à cette année nauséeuse, avec un doigt d’honneur pointé vers les étoiles et en cassant du verre pour rompre le mauvais sort. Il est temps que des millions de Sergent Garcia aphones et confinés mettent une bonne branlée à cette parodie de Zorro masqué qui tue en galopant à cheval entre les alvéoles de poumons fatigués.

Si le vaccin est efficace, je me porte volontaire pour l’administrer moi-même à la fatalité à coup de suppositoire.

La nuit est tellement  belle ce soir et la Krutenau bien trop silencieuse. Les pétards n’explosent plus que dans les cœurs, parfois dans des mains hésitantes ou se fument dans une cage d’escalier délabré, à l’abri des regards, pendant que les dernières huîtres glissent dans les gosiers de pélicans assoiffés en smoking. Aux fenêtres des rêveurs, les petites lucioles apprêtées ne savent plus très bien où elles en sont. Faut-il rire ou pleurer ? Faut-il espérer ou complotiser ? Faut-il laisser faire le destin ou se faire vacciner ? Faut-il fermer la fenêtre pour aller baiser l’avenir au champagne ou sauter du dernier étage pour goûter la peau citronnée de la lune ?

Au milieu du salon, un homme danse un slow tout seul dans l’immeuble d’en face. Ses mains caressent des poignées d’amour invisibles auxquelles il se tient fermement, comme si de ces bourrelets sucrés dépendait la suite de son épopée. Un pied puis l’autre, en prenant soin de ne pas marcher sur les talons de son invitée imaginaire, pivotant sur lui-même, la faisant chavirer d’un geste assuré, sa robe qui tournoie entre un tabouret en PLS et un canapé délavé. Sa main glisse entre des cheveux longs et soyeux, comme un sculpteur caresse le marbre brut pour y déposer un baiser figé dans la pierre muette, comme un joueur de harpe effleure des fils de soie dorés. C’est le printemps qui s’installe l’espace d’un instant au milieu d’un hiver qui dure depuis trop longtemps. Bang Bang. Tarantino filme, la caméra à l’épaule et Nancy Sinatra annonce les prémices d’une nuit passionnée où les lèvres trop pressées jouent aux gendarmes et aux voleurs.

C’est sublime et triste à la fois. C’est l’histoire de l’humanité qui se joue dans cette danse de fin de soirée, lorsque les lumières s’éteignent et que les moins avantagés rentrent seuls pour se consoler avec une boite de Kleenex taciturne.

Il est temps d’ouvrir les portes de l’enfer, de célébrer le solstice du bonheur et de jouir à la face du  premier jour du reste de nos vies à visage découvert. Je veux du soleil maintenant. Je veux la vie d’un bourgeois après avoir vécu comme un mécréant qui fait la manche aux émotions par Skype, sur une moquette qui pète les genoux, un carton à la main où l’on pouvait lire « love actually », sans Hugh Grant, mais avec des vrais gens, des vrais battements, des gueules cassées, des mains aux vernis à ongles cerise qui sentent le tabac froid.

Il est temps de rouler des pelles au vent et de sourire bêtement à ceux et celles que je croiserai et dont je ne connais pas encore les prénoms. Au chauffeur de tram. À la boulangère dont les dents du bonheur portent si bien leur nom en cette période folle. À l’ombre qui rase les murs et à l’arrogance des matins où rien n’est écrit, où tout est possible.

Je peux entendre la musique d’ici. Je peux voir la foule qui se mélange, les yeux fermés.

Je veux danser dans la moiteur du Kalt, sentir la chair suave d’une inconnue, l’haleine volcanique de ce type là-bas près du bar qui ne sait plus si c’est encore la nuit ou déjà le matin. J’ai besoin d’une dose de contact, de ressentir, de toucher, de me tromper, de chercher un regard perdu dans la foule pour mieux me retrouver parmi ces silhouettes langoureuses qui transpirent la vie après des mois à mourir de l’intérieur ou à mourir tout court, à petit feu, dans la chambre d’un hôpital où une aide-soignante fait office de religieuse.

Après tout ça. Après tout ce que l’on a vécu ensemble, nous paierons des tournées pour tourner la page. Nous ferons vibrer les estrades des théâtres à coup de talon. Nous frissonnerons au cinéma  dans l’insouciance d’un Magnum au chocolat interminable, confortablement installés dans les bras d’un siège rouge de timidité. Nous traverserons le monde pour quitter les quatre murs de nos studios aseptisés, un sac sur l’épaule avec juste un pyjama à l’intérieur, pour découvrir des plats savoureux, authentiques, à des milliers de kilomètres  ou à quelques mètres, dans la winstub du coin qui vient de rouvrir. J’irai faire le dauphin à la piscine même si le chlore me nique les yeux et je resterai des heures sous l’eau brûlante de la douche pour me rappeler ce que ça fait d’avoir la peau  d’un canard. Ça sera beau comme une kermesse d’école ou une première fois. Ça sentira certainement le Picon, ton cou, et les coudes qui glissent sur les rebords des tables.

Après tout ça, je m’arrêterai chez Fredo à l’improviste pour boire un café qui durera jusqu’en 2027. Je marcherai à travers les champs de coquelicots sans vraiment savoir où je vais ni quelle heure il est. Je respirerai la liberté à pleins poumons puis je traverserai les routes du vin à vélo juste pour dire je t’aime à mon daron.

AU REVOIR À JAMAIS 2020.


Photo de couverture : Damien Maurin

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