Après vous avoir conté l’histoire de la Montagne Verte, Pokaa continue son passage en revue des différents quartiers de Strasbourg. Cap sur la Krutenau ! Le lien entre les deux quartiers n’est pas évident et pourtant il suffit de se laisser glisser au fil de l’eau, ou plus exactement au fil de l’Ill…
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Un quartier à part qui s’est développé au bord de l’eau
Cela peut paraître plus étonnant qu’à Montagne Verte, mais la Krutenau, avant d’être le célèbre quartier étudiant qu’on connaît aujourd’hui, s’est développée grâce et autour de l’eau. Pour se faire une idée, il faut remonter quelques siècles en arrière et imaginer un terrain marécageux parcouru de cours d’eau. Pour nous aider, pensons donc à quelques noms qui ne sont pas anodins : quais des Bateliers et des Pêcheurs, impasse de l’Ancre, place du pont-aux-Chats, cours du Brochet ou bien encore place Saint-Nicolas-aux-Ondes. Quais, ancre, pont, ondes : voilà des termes qui ne trompent pas (ondes vient du latin “in undis = au milieu des flots”; en plus de Saint-Nicolas-aux-Ondes qui était un couvent à l’origine situé à l’emplacement de l’actuelle HEAR, détruit en 1592, il existait aussi un couvent Saint-Jean-aux-Ondes à la place de l’actuelle place du Foin, démoli en 1475).
Il n’est alors pas étonnant de constater que le quartier resta jusqu’au XVe siècle en marge de la ville, extra muros, repoussé hors de l’enceinte et des fossés défensifs. Lorsque la cinquième extension de la ville l’engloba, on construisit notamment une porte défensive, appelée porte des Pécheurs, à l’entrée du quai, ainsi que la tour aux Florins (bâtie en 1476 et démolie en 1874) au niveau de l’actuelle pharmacie de l’Ange. Difficile de s’imaginer tout ça aujourd’hui!
Mais, comme souvent, l’humain a fini par avoir le dernier mot sur une nature trop récalcitrante. La clé ? Le développement des canaux, des ponts et des écluses, qui permirent de réguler les cours d’eau et d’assécher certaines zones afin, dans un premier temps de cultiver la terre, puis de construire petit à petit de l’habitat.
D’ailleurs, le nom même de Krutenau semble faire référence à cette époque où on se mit à cultiver ces prés jusqu’alors infertiles. “Aue” (comme dans Robertsau ou Meinau) désigne en général une prairie, généralement entourée d’eau et “krauten” le fameux chou à choucroute bien connu ! Krautenaue signifierait alors marais ou prairie aux choux. C’est une hypothèse probable mais les historiens se cassent encore la tête sur d’autres possibilités comme celle d’une dérivation plus ancienne de gerodete Aue, “l’île ou le pré défriché”.
Dès lors était venu le temps des maraîchers mais surtout des bateliers, des pêcheurs et autres métiers de l’eau oubliés aujourd’hui (nautoniers, calfats…). Leur regard était à la fois tourné vers la ville mais aussi vers le Rhin, notamment grâce au Rheingiessen, ce bras d’eau dont on a déjà parlé dans un article qui racontait l’arrivée en barque de nos alliés zurichois en 1576. Il faut bien comprendre que ce cours d’eau était très important puisqu’il reliait le Rhin au port de Strasbourg qui se trouvait alors sur l’Ill au niveau de l’ancienne douane. Toutes les marchandises d’Europe arrivant à Strasbourg transitaient donc par là ! Difficile d’imaginer pareilles scènes sur ce qui est devenu aujourd’hui la rue de Zurich, venue combler le canal en 1872, dans la foulée du fossé des Orphelins qui avait été comblé en 1822.
L’église protestante Saint-Guillaume, avec son fameux clocher de guingois, mais surtout l’ancre qui coiffe son sommet, rappelle une nouvelle fois qu’elle fut élevée pour des paroissiens avant tout composés de pêcheurs et de bateliers.
Un quartier au cœur des défenses militaires
Et puis il y eut un premier tournant dans l’histoire du quartier. Après l’annexion de Strasbourg au royaume de France en 1681, le Rhin devint soudainement une frontière. Au lieu de tourner les défenses vers l’ouest, il fallut désormais les tourner dans l’autre sens, vers l’est ! On construisit alors la Citadelle (dont il reste des vestiges au parc) mais aussi l’Esplanade, qui comme son nom l’indique, était un vaste espace, sorte de zone tampon entre la Citadelle fortifiée et la ville proprement dite. Cette zone, vous la connaissez bien puisqu’elle permettra à la ville de construire le campus dans les années 60. Le quartier fut donc aussi doté de nombreuses casernes aujourd’hui détruites (dont certaines furent élevées jusqu’à l’époque du Reichsland entre 1871 et 1918), d’un hôpital militaire (l’ancien hôpital militaire Gaujot devenu cité administrative), d’un arsenal (bâti en 1775 et détruit en 1979) et autres magasins militaires.
Tandis que cette activité militaire perdurait en bordure de la Krutenau, celle des gens de l’eau diminuait progressivement au cœur même du quartier historique. En effet, au XIXe siècle, le Rheingiessen fut petit à petit abandonné, ne correspondant plus au standard de taille de l’évolution fluviale. Comme on l’a dit précédemment, il fut même définitivement comblé en 1872 et remplacé par une nouvelle rue : la rue de Zurich.
Un quartier devenu industriel puis étudiant
Mais ce quartier très populaire et atypique n’avait pas pour autant dit son dernier mot. Grâce à… ? Allez, je vous donne un indice : certains d’entre vous ont pu y siroter des cocktails sur des transats lorsqu’elle fut transformée provisoirement en bar éphémère en 2018… la Manufacture bien sûr ! Cette grande usine de tabac (la seule à Strasbourg) construite au milieu du XIXe siècle allait complètement changer le visage du quartier en y faisant migrer toute une population ouvrière (elle employa plusieurs centaines d’ouvrières, principalement, qui souvent se sont installées avec leur famille). Ce grand complexe carré entourant une cour centrale imaginé par l’architecte Eugène Rolland devint par ailleurs un modèle pour de nombreuses autres villes en France. Notons que la Manufakture (avec un k) est en pleine réexploitation et que la ville a pour but d’en faire un lieu tourné vers la jeunesse, foisonnant, multiple, ouvert sur la ville, avec des lieux de formation, de recherche et d’expérimentation, des start-ups et de la vie de quartier.
Dans le sillage de la manufacture se sont installées d’autres usines, notamment les établissements Neunreiter qui vendaient de la verrerie et de la porcelaine. Le bâtiment a été construit en 1898-1899 mais depuis 1995, il abrite le CEAAC (Centre Européen d’Actions Artistiques Contemporaines) dont on ne saurait que trop vous conseiller de visiter, à la fois pour les expos d’art mais aussi pour les quelques vestiges art nouveau.
Disons un mot aussi de la Brasserie Schützenberger qui déménagea à Schiltigheim dans les années 1860s mais qui demeurait rue des balayeurs depuis plus d’un siècle et était même labellisée brasserie royale, fournisseur officiel de la cour, puis grande brasserie de la patrie à la suite de la Révolution. Le bâtiment fut détruit en 1972 et remplacé par la très moche résidence les Facultés.
Je vous laisse donc imaginer le mélange : bateliers, pécheurs, soldats, ouvriers, toute une population bigarrée de classe sociale plutôt modeste, à laquelle va bientôt s’adjoindre tout un cortège d’étudiants.
Car dès 1824, et jusque 1870, l’Université, sous le nom d’Académie, y prit ses quartiers. Elle y reviendra de façon plus démonstrative cent ans plus tard avec l’installation définitive sur le campus actuel, quartier Esplanade. Mais une autre école emblématique de Strasbourg s’installa aussi à la Krutenau en 1892 : l’École supérieure des arts décoratifs (aujourd’hui appelée HEAR, Haute École des Arts du Rhin). Elle fut construite à la place de l’ancien jardin botanique qui datait du XVIIe siècle. Sa façade très représentative de l’époque est aujourd’hui encore immanquable dans le paysage du quartier.
Après les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, le visage du quartier subit un sacré ravalement (comme d’autres par ailleurs à Strasbourg) dans les années 1960/70 (en gros jusque 1980) à cause de la spéculation immobilière croissante (et de quelques avides promoteurs), des démolitions pour insalubrité et des constructions d’immeubles qui n’ont pas toujours bien vieillis esthétiquement – et qui ont souvent dénaturé l’ambiance des lieux tout en y apportant une nouvelle douceur de vivre, faisant disparaître leur côté “craignos”. Le revers de la médaille: la population a baissé; les foyers les plus modestes devant plier bagage pour s’installer plus loin. On notera aussi que cette population a été très fortement renouvelée, notamment par une population plus jeune et moins ouvrière ou artisane, plus “bobo” comme certains aiment dire.
Pourtant, on peut dire qu’aujourd’hui encore la Krutenau a gardé son charme pittoresque, avec une ambiance très en phase avec son époque. D’autres lieux comme le TJP (Centre dramatique national Strasbourg Grand Est) qui y a installé sa grande scène en 1982 ou la maison MIMIR créée en 2010, sans parler des nombreux bars, restaurants, écoles et petites boutiques, sont venus donner une nouvelle vie à ce quartier toujours très vivant.
Terminons ce petit tour des lieux par une série de photographies des autres lieux emblématiques du quartier :
© Florian Crouvezier / Pokaa
© Florian Crouvezier / Pokaa
© Florian Crouvezier / Pokaa
© Florian Crouvezier / Pokaa
© Florian Crouvezier / Pokaa
© Florian Crouvezier / Pokaa
© Florian Crouvezier / Pokaa
© Marine Pade
© Florian Crouvezier / Pokaa
© Florian Crouvezier / Pokaa
© Florian Crouvezier / Pokaa
© Florian Crouvezier / Pokaa
© Florian Crouvezier / Pokaa
© Florian Crouvezier / Pokaa
© Florian Crouvezier / Pokaa
© Florian Crouvezier / Pokaa
© Florian Crouvezier / Pokaa
Et enfin en guise de bonus, je suis tombé sur ce CD dans le fonds de la médiathèque: “Krutenau, quartier libre”, une compilation qui regroupe une douzaine artistes réunis par Christian Mertz, alias Roudoudou, afin de célébrer le quartier comme source d’inspiration.
Super reportage sur un quartier que j’ai habité mes années d’étudiante. J’ai appris plein de choses. Merci et bravo pour cet article !
Certaines photos m’ont particulièrement ému… comme cette vue aérienne de 1955… où l’on voit bien les trois baraques de mon école maternelle mais aussi l’école primaire de l’académie…
La maison MIMIR ( ? ?) pour moi … entre 1953 et 1964 était un hôtel de passe. La propriétaire qui passait l’essentielle de son temps à la fenêtre, était accompagné en permanence par un singe vivant, qui trônait sur son épaule.
Le reportage est intéressant, mais il manque l’essentiel…, la vraie histoire des gens qui vivaient ici de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au début de la spéculation foncière des années 60…
Prostituées, crapules, et sympathisant du FLN… émigrants espagnols, Italiens, Portugais, maghrébins… harkis.
Slt coco je suis sur fb !!! Leix Jean-Pierre! 👍
Slt, je connais bien tous ces coins , je suis née rue prechter au dessus de la menuiserie de cercueils, j’allais à l’école primaire de l’académie! J’ai habité 16ans dans cette rue ! La maison mimir ,et le singe qui s’echappais sur le toit , les prostituées à qui ont faisait les courses pour un pourboire de quelques centimes! Signé leix Jean-Pierre! Je suis sûr fb !
Slt , j’ai bien connu tous ces coins, je suis née en 1955 rue prechter au dessus de la menuiserie de cercueil, et la famille llorca rue des bains !! Que de bon souvenirs! Faire les courses ou sortir le chien pour quelques centimes! L’école primaire de l’académie ect ! Signé leix Jean-Pierre je suis sur fb !
J’ai bien connu tous se beau quartier, j’y suis née en 1955 rue prechter au-dessus de la menuiserie de cercueil, j’étais à l’école primaire de l’académie, mimir et le singe qui s’échappait sur le toit ! Sortir le chien et faire les courses aux prostituées pour quelques centimes ! Et plein d’autre anecdotes!