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Strasbourg : Le balcon aux papillons amers

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Un jour sans fin pourrait être le titre du film qui résume le mieux ma vie de confiné. Une routine organisée malgré moi, faite de passe-temps dont l’intérêt s’effrite au fil des jours. Gavage de séries sur Netflix – Freud, Messiah, I am not okay with this – Écoute massive de musique sur Spotify – Radiohead, Gorillaz, Ellioth Smith, Lucio Bukowski – Lecture à demi-concentré des Raisins de la colère en alternance avec quelques pages froissées des Inrockuptibles. Un article sur le dernier album des Strokes. Un autre sur les meilleurs duos féminins du cinéma. Susan Sarandon et Geena Davis Vs Kirsten Dunst et Charlotte Gainsbourg.

Thelma et Louise Vs Melancholia.

Un résumé poétique de cette période étrange. Dédramatiser ou sombrer dans la folie. Tout est permis.

Quelques pots de Danette à la vanille gémissent sur la table basse avant de périr dans un dernier soupir sucré. Une flaque crémeuse sur la moquette en guise de cérémonie funèbre. Une cigarette roulée en cône en guise d’encens. Un slam d’Abd al Malik en guise de testament. Du frigo au paradis. De Strasbourg à Gibraltar. Un verre de Martini à la main, à écouter le prêche d’un cafard en costume sur BFMTV qui comptabilisent les morts comme des pots de yaourts périmés.

« Alors on se réveille chaque lendemain de ce qu’est notre existence
en ayant la conviction, chaque jour un peu plus profonde, qu’on ne mérite pas de reconnaissance.
Comment veux-tu qu’on pense autrement si personne nous calcule ;
Le temps presse, on est des êtres, pas juste une addition, une soustraction ou une division dans un de leurs calculs. ».

Bill Muray prend possession de mon corps, de mes jours mais aussi de mes nuits, au point de parler au plafond afin de lui demander quand nous pourrons redescendre dans la rue pour fouler l’herbe des parcs pieds-nus. À force de ne pas dormir, je finis par me poser contre la rambarde rouillée de mon balcon alors que les autres dorment paisiblement, balançant les mégots dans le vide, par ennui et pour voir si un mégot ça a des ailes et si ça monte directement au ciel. Mais rien. Un mégot, ça se crache au sol comme un mollard, une goutte de pluie, un pétale de géranium ou un migrant avec un coussin d’épines de roses fanées en guise d’oreiller dans l’anonymat d’un trottoir.

Le monde est bien silencieux à quatre heures du matin mais pourtant je distingue l’appel d’une luciole sur le balcon d’en face. Un SOS de nicotine. Du morse dans l’incandescence d’une cigarette. Je ne suis pas seul. L’ombre tire sur une tige qui m’indique le chemin d’un jardin comme un phare guide les chalutiers paumés. Cette présence anonyme me fait du bien. Je lui réponds par une succession de taffes fumeuses qui se perdent comme des songes dans le ciel étoilé. Et puis son mégot termine comme le mien, éclaté entre deux pavés somnolents ou dans le caniveau, là où vivent les parasites et les rats.

Le fantôme en t-shirt blanc passe d’une pièce à l’autre puis le silence revient me prendre la main.

Au petit matin, je me retrouve en boule sur le béton froid du balcon, mon chat s’étirant impassiblement à mes côtés. Plusieurs canettes de bière se vident au bord du précipice. Une dizaine de bretzels décuvent pendant qu’une mouche verdâtre tente de s’emparer d’un grain de sel orphelin. Mon ordinateur témoigne de mes activités nocturnes. Un historique douteux. Des clips d’Oxmo Puccino. Un paiement Paypal pour l’achat d’un vinyle de Joy Division sur Ebay. Un mail tendre envoyé à ma sœur. Un poème s’affiche encore sur l’écran.

À une passante. Baudelaire visiblement à cran est passé avec un pack de Heineken pour fêter l’aurore. Rimbaud, Verlaine et Mallarmé ne devaient pas être bien loin. Peut-être même que Brel et Gainsbourg se sont invités. Je ne me souviens de rien, si ce n’est de quelques vers intemporels.

« Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité
?

Ailleurs, bien loin d’ici ! Trop tard ! Jamais peut-être !
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !
»

Un toussotement gêné me sort de ma rêverie. C’est la luciole de cette nuit qui s’est transformée en colibri. Un débardeur bleu pastel recouvrant à peine un shorty blanc. Les ongles des pieds vernis d’un rouge intense. Des cerises pétillantes accrochées à une paire de tongs au bord de la syncope. Je ne peux pas discerner la couleur de ses yeux, cachés derrière une paire de lunette de soleil au design des années soixante. Mais je découvre la gourmandise de ses lèvres comme des quartiers de pamplemousse juteux cachant une langue impatiente.

Suis-je encore en train de rêver ? Est-ce bien à moi que ce sourire aux fossettes d’un autre monde s’adresse vraiment ? Qui tient ce fil d’or invisible entre son immeuble et le mien où glisse un sortilège que seul les palpitants peuvent déchiffrer ? Où étais-tu toutes ces années ?

Pourquoi maintenant alors que je ne peux pas t’approcher ?

Elle se couche sur un transat en plastique blanc relevant ses lunettes sur la tête. Le soleil, voyeur bien placé, se jette sur ses jumelles, devinant des yeux bleus, mais de si loin, il n’est plus certain de rien sauf d’une chose, nos regards se cherchent par intermittence entre les barreaux timides, témoins d’une harmonie exceptionnelle, de la naissance d’une nouvelle planète. L’alchimiste a frappé. Un truc chelou se passe à l’intérieur. Un volcan proche de l’éruption. La danse des lèvres qui se mordent inconsciemment et d’une main nerveuse qui joue avec le lobe d’une oreille déboussolée.

Elle est pourtant si proche et si loin de moi. Des fourmis remontent le long de mes mollets pour un pique-nique improvisé sur ma poitrine en PLS. Je ne suis plus qu’un chien fougueux qu’on tient en laisse.

Amers papillons qui tournoient dans mon estomac brûlant, les ailes en feu, fous de ne pouvoir s’élancer de ma bouche pâteuse pour se poser sur la chevelure dorée qui se languit sur le balcon d’en face.

Les cendres de la passion se glissent dans chacun de mes membres fébriles comme une bière ambrée coule dans mes veines un soir d’été, lorsque nous n’étions pas encore séparés, collés aux tables en formica d’un bistrot bruyant, à refaire le monde jusqu’à ce que Morphée nous prenne dans ses bras infinis. Des flocons poussiéreux se mettent à tomber dans mes yeux éblouis, boules de neige artificielle que de là-haut, un être sadique s’emploie à secouer en continu. J’ai mal comme un toxicomane en sevrage cloîtré dans un tunnel sans fin à la recherche d’une seringue charnelle. Une dose d’elle. Une overdose même. Un lion qui se meurt dans ma cage thoracique, rugissant son désir au plus profond de mes entrailles, prêt à être apprivoisé par la douceur de son cou, par la courbe de son corps, sculpté par l’ange de Rodin ou de Camille Claudel. Seul un être mystique a le talent nécessaire pour créer une âme aussi envoûtante. Je comprends maintenant pourquoi des marins se jettent dans la mer déchaînée sans la moindre hésitation à l’appel de sirènes hypnotisantes.

Il y a cette cicatrice sur son genoux gauche que je découvrirai dans quelques semaines et ce grain de beauté discret sur sa cuisse qui n’aura plus le moindre secret.

Il y a ce téton fier qui pointe les nuages pour me montrer le chemin de la Voie lactée. Il y a le parfum de sa peau sur la taie d’oreiller en soie. Il y a son rire au petit matin et cette façon si particulière de bouder. Il y a sa pudeur et ses doutes, des larmes pour un mot blessant que je n’aurais pas dû prononcer. Il y aura des hauts et des bas, des assiettes cassées et des orgasmes fracassants pour les recoller.

Il y a cette tombe d’un amour passionné que nous commençons déjà à creuser mais j’ai envie de croire que les mégots savent voler.

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