L’Espace Django, situé dans le quartier du Neuhof, est un lieu unique du paysage culturel strasbourgeois depuis presque 10 ans. Cette plateforme pluridisciplinaire dynamique accueille une médiathèque gérée par la Ville, une école de musique gérée par le Centre Social et Culturel du Neuhof et une salle de spectacle animée depuis 2016 par l’association Becoze.
Si cette dernière déploie chaque trimestre une programmation musicale rafraichissante et qualitative, le projet de l’équipe en place ne s’arrête pas là. Dans un lien transversal entre la culture et l’action sociale, le challenge est le suivant : développer une vraie plateforme pluridisciplinaire qui touche aussi bien à la programmation qu’à l’action culturelle, s’imposant à la fois un comme lieu de proximité pour les habitants du quartier, que comme une scène qui rayonne sans frontières géographiques.
Pour comprendre son organisation et y voir plus clair sur l’étendue de son action, je suis allé à la rencontre de Pierre et Benoît, respectivement directeur et programmateur de l’Espace Django.
Pour commencer, pouvez me refaire l’historique du lieu en quelques mots ? Qu’on puisse se situer.
Lors de sa création en 2010, l’espace Django a tout de suite fonctionné avec ce concept de grande colloc, avec la salle de spectacle et la médiathèque qui fonctionnaient en régie, c’est à dire qu’elles étaient gérées par la Ville.
Les six premières années, la salle était un lieu principalement dédié à la diffusion de musiques du monde, avec une entrée musique traditionnelle. En janvier 2015, la Ville a décidé de rabattre un peu les cartes et d’ouvrir le projet plus largement à d’autres esthétiques musicales ainsi qu’à l’action culturelle pour en faire un lieu de proximité. En a découlé un changement du mode de gestion, pour passer sur un système de subvention accordée à une association qui a la gestion du projet.
En 2016, lorsqu’on a eu la chance de remporter l’appel à projet de la ville avec Becoze, présidé alors par Julien Lafarge, on s’est réparti les postes assez naturellement. Pierre à la direction, Mourad à l’action culturelle et moi-même à la programmation. A partir de là on a constitué une équipe qui compte aujourd’hui prés d’une quinzaine de personnes, chacune essentielle au bon développement du projet.
Quelles sont les grandes lignes de votre direction artistique ?
Benoît :
Bonne question, et en même temps vaste question. Quand on a repris, l’idée de base était de conserver l’ADN du lieu, à savoir la musique du monde, tout en ouvrant d’avantage aux musiques dites “actuelles”. L’idée était de faire un pont entre ses deux mondes. En terme d’esthétique on se met aucune barrière. A Django on peut retrouver du rock, du hip-hop, de l’électro, du jazz manouche ou même de la musique classique. On a décidé de faire une programmation au trimestre pour pouvoir être assez réactif sur les offres qu’on propose, et mon objectif en tant que programmateur c’est que tout le monde puisse s’y retrouver.
Après, on est une salle à taille humaine avec une jauge de 400 places, et donc des budgets adaptés à l’envergure de la structure. C’est sûr qu’on ne va pas booker des têtes d’affiches monumentales, il s’agit de trouver l’équilibre, d’avoir des noms rassurants que les gens connaissent, tout en essayant d’éveiller la curiosité du public et l’amener vers des choses plus émergentes.
Pierre :
Par ailleurs, on ne fait pas que de la musique, il y a plusieurs disciplines qui sont mises en avant, du cinéma, des expos. Puis il y a un lien fort qui s’opère entre le travail de Benoît à la programmation et celui de Mourad sur l’action culturelle. On essaie de créer des liens, de mélanger tout ces éléments qui s’imbriquent les uns les autres pour définir le cadre du projet.
Sur votre site, vous parlez d’une offre artistique nerveuse, vous entendez quoi par là ?
Pierre :
Qu’on est nerveux (rires) ! On parle d’une offre éclectique, dynamique, on prend des risques, on ne s’interdit rien, que ça soit dans les choix des artistes ou dans les formats, on ne se cloisonne pas.
Benoît :
Nerveux aussi dans le sens où tous les choix qu’on fait sont purement assumés et qu’on les défend corps et âmes. Chaque groupe que je programme, j’y crois à fond, même si il est inconnu au bataillon, on ne les fait pas venir pour rien !
Vous arrivez à toucher les habitants du quartier ?
Pierre :
C’est une question complexe, les habitants du quartier sont nombreux, on parle de 22 000 personnes. Ce qu’on ressent, c’est que de plus en plus d’habitants nous connaissent, nous font confiance et s’approprient ce qu’on fait. On travail dans ce sens au quotidien, c’est là toute l’âme du projet, continuer d’agir pour ancrer ce lieu au sein de ce quartier par des tas d’actions, et d’aller toujours plus vers les habitants.
Benoit :
C’est délicat aussi de répondre “oui” à cette question… ça voudrait dire qu’on a coché un de nos objectifs principaux, alors qu’en fait c’est du travail sur du très long terme.
Avec Espace Tiers, vous développez des actions culturelles au delà des murs de la structure, quels sont les objectifs du projet ?
Pierre :
C’est un aspect important pour nous. L’idée était de se dire que notre équipement ne s’arrête pas au lieu, mais de considérer plus largement le territoire sur lequel agit ce dernier. Les artistes sont tout le temps et partout les bienvenus, y compris dans des espaces qui n’ont pas pour fonction première l’art et la culture. Ça passe évidemment par l’espace public, mais ça peut aussi être un Leclerc, une salle d’attente, une cour de récréation. On imagine des formats de diffusion qui peuvent se déployer dans ces espaces là, comme les Récréations Artistiques ou les Concerts aux fenêtres par exemple. C’est une manière pour nous d’aller directement vers les gens.
Le message, c’est “on attend pas que vous vous appropriez ce qu’on fait ici pour venir à vous”. L’idée, c’est d’insérer l’art et la culture dans le quotidien des gens.
Benoît :
Ce qui est génial avec ce projet, c’est qu’on a aussi pu se greffer à de l’existant. Il se passe plein de choses dans le quartier et on se connait maintenant avec les différents partenaires du territoire. Si l’un d’eux organise une manifestation, on peut se greffer dessus, mettre en musique l’évènement pour apporter une touche culturelle ou festive. Ça a créé une émulsion avec les habitants, au lieu de faire chacun les choses dans notre coin, on se rassemble tous et on construit ensemble.