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Strasbourg, mon amour

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Strasbourg, ma ville. Cette soirée du 11 décembre 2018 restera à jamais gravée dans ma tête. Comme un père sorti brusquement de son sommeil par un coup de fil du commissariat, j’ai tout de suite compris que quelque chose de grave était arrivé. Le tonnerre a grondé plusieurs fois sans aucun nuage à l’horizon. Des gouttes de larmes innocentes. Les verres de vin chaud qui tombent au sol pour se vider entre les pavés. Les gyrophares bleus s’installant dans un chaos d’un autre temps. Un silence lourd et pesant face à l’impensable.

J’avais mal en te voyant saigner sur les écrans de télévision, impuissant face à la souffrance de mes frères et mes sœurs meurtris. J’ai fini, après plusieurs heures à scruter mon portable, par m’endormir, fiévreux, en position fœtale, mouvementé, te cherchant dans mes cauchemars. Tu étais là, à appeler à l’aide, un drapeau européen étoilé en guise de couverture de survie. J’ai tenté de te rejoindre mais je courais au ralenti comme dans ces mauvais rêves où j’essaie d’hurler et de bouger les membres sans y parvenir, Le Cri silencieux d’Edvard Munch en tête.

Au lendemain de ce songe fantomatique, tu t’es réveillée dans le brouillard gris et incertain des rues quasi désertes du centre-ville. Une gueule de bois invisible.

Nous, strasbourgeois(es), avons ouvert nos portes et regardé à travers nos fenêtres pour t’entendre respirer avec difficulté pendant qu’un hélicoptère te survolait. Tu as de l’asthme à la liberté, la gorge nouée. Un premier pas hésitant comme pour vérifier que tout ça est bien arrivé, que tu n’es pas un mirage, un torrent de lave encore chaud sur lequel nous risquions de nous brûler.

Nous étions, un, puis deux, puis dix, puis des milliers à venir à ton chevet pour te faire du bouche à bouche avec notre cœur. Timidement d’abord, du coin de l’œil, les regards de compassion se croisèrent. Dans les trams. Sur les trottoirs glacés. Dans les bus. Nous nous cherchions des yeux pour sentir cette union sacrée propre aux situations les plus dramatiques. Les bouches s’ouvrirent avec hésitation. L’absence d’explication. L’incompréhension. Des questions sans réponses. Une grande famille multiculturelle qui vit une épreuve douloureuse. Une rééducation lente et progressive après un choc frontal.

Nous remarcherons ensemble en nous tenant les uns aux autres.

Nous serons nos propres kinés pour honorer celles et ceux tombés sur le champ de la cruauté.

Trois jours après, malgré la souffrance qui habite nos corps et nos esprits, le soleil s’est mis à briller timidement sur tes bâtiments, tes rues et sur notre quotidien. Un gamin emmitouflé dans une cagoule orange, lèche la barre d’un des wagons du tram A allant à Rive Étoile comme une glace à la vanille. Les passagers se mettent à sourire naturellement et à plaisanter comme pour mettre une gifle virtuelle à la barbarie. Un couple d’adolescents collés à la Superglue se roule des pelles avec gourmandise. De l’amour, pour mettre du rose sur une journée noire. Certains fêtent la vie, une bière à la main, le regard embué, sous les lampes chauffantes des terrasses. D’autres parcourent tes rues en te tenant la main. Les odeurs de falafels, de choucroutes, de pizzas ou de patates douces. Les reflets de la diversité qui brillent dans les cours d’école, les collèges, les lycées, à l’Université. Peu importe la couleur de nos gilets, nos origines, nos croyances, nos langues, nous nous souhaitons un avenir meilleur silencieusement en reprenant Brel de l’intérieur, Place Kléber, en hommage à nos disparus.

Quand on n’a que l’amour,
Pour parler aux canons,
Et rien qu’une chanson,
Pour convaincre un tambour,
Alors sans avoir rien,
Que la force d’aimer,
Nous aurons dans nos mains,
Amis le monde entier.

Strasbourg, ma ville. Nous reprendrons possession de ton âme, à travers les cafés, les fleuristes, les taxis, les boulangeries, les écoles, les musées et les bibliothèques. Nous reprendrons possession de ton art et de ta culture à travers les rêveries animées projetées au Star, au Saint-Exupéry, au Vox ou à l’UGC. Nous applaudirons les comédiens vêtus de masques et de costumes au TNS ou au TAPS. Nous rirons à en avoir mal au ventre au Palais de la Musique et des Congrès, à l’Illiade ou au Kafteur. Nous écouterons les sages nous conter leurs expériences et nous enseigner leurs savoirs à la Librairie Kleber. La Laiterie et le Molodoï raisonneront encore plus fort que les 29 320 supporters du stade de la Meinau ou les 6 200 combattants de la SIG Army, parce que nous sommes une armée pacifique et qu’ensemble, nous n’avons peur de rien.

De là-haut, Charb, Wolinski, Cabu et Tignous, veillent sur nous. D’ici, ceux qui hier soir sont tombés, seront debout à travers nos voix, nos yeux, notre liberté, notre égalité et notre fraternité. Nous leurs devons cela et nous devons montrer l’exemple aux générations futures en les armant de fusils en forme de livres et de balles en forme de mots. Nous devons transmettre nos connaissances et montrer le chemin de la résistance.

Nous sommes le passé, le présent et le futur.

C’est dans tes rues colorées que je suis tombé amoureux pour la première fois, que j’ai pris des râteaux aussi, que j’ai vu mon premier concert de Ludwig von 88 en 1996, que j’ai pris ma première cuite aux Frères Berthom, que j’ai débuté mon premier job en contrat d’intérim, que j’ai visité ma première exposition au MAMS. C’est dans cet univers cosmopolite que j’ai rencontré des personnes exceptionnelles qui m’ont ouvert les bras et l’esprit en valorisant les différences. Nico, Ahmed, Jenny, Palma, Jamel, Karl, Djibi, Katarina. J’ai voyagé en Afrique à travers le poisson grillé sauce masa de Little Africa, en Italie par l’accent délicieux de Noémi à la Dispensa et sur une autre planète en trempant mes lèvres dans un cocktail improvisé par Clémence au Botaniste. C’est ici que j’ai scandé mes premiers Jetzt geht’s los, le visage peint en bleu et blanc et c’est pour toi que nous partions en convoi de Sélestat, pour dévaliser l’occase de l’Oncle Tom en vinyles et bandes dessinées. C’est sur tes poignets que j’ai commencé à écrire mes états d’âme sur un banc le long des quais, un soir d’été. J’ai tant de souvenirs et d’images quand je pense à toi. Des rires, des pleurs, des doutes aussi mais j’ai toujours pu compter sur toi, tes citoyens, tes policiers, tes militaires, tes pompiers, tes infirmiers, tes enseignants, tes bénévoles, tes associations, tes structures d’insertion, tes travailleurs sociaux . Tu es une ville engagée, citoyenne, responsable et nous ferons en sorte que cela ne s’arrête jamais.

Strasbourg, ma ville, nous te ferons vivre, la tête haute et le poing levé parce que la violence ne nous fera pas renoncer aux droits les plus élémentaires pour lesquels nos parents et grands-parents se sont battus dans des temps obscurs de l’Histoire. Strasbourg bombardée en 1943 mais debout en 2018. Nous sommes vivants, unis et ne nous tairons jamais. Strasbourg capitale de l’Europe. Strasbourg capitale de Noël pour toujours.

Strasbourg capitale de mon coeur, ce soir les bougies brillent à nos fenêtres comme des lucioles fraternelles et universelles. Nous n’oublierons jamais. Tu ne seras plus jamais pareille mais tu restes libre et généreuse. Tu continues de briller en Alsace et dans le monde entier.

Strasbourg ma ville, je te souris en pleurant, fier d’être un de tes enfants.

>> MR ZAG <<

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Commentaires (5)

  1. Merci MR ZAG… c’est avec émotion que je parcours ce texte magnifique, qui témoigne merveilleusement de ce que Strasbourg inspire à ses enfants… plus que jamais, nos liens fraternels sont resserrés autour de notre Ville.

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