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Strasbourg : Le monde à hauteur de mollets

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Le réveil, si je peux parler de réveil, puisque pour se réveiller il faut avoir dormi au préalable, se fait aux bruits des premiers passants qui claquent leurs chaussures sur le bitume mouillé. Ma vie se déroule à hauteur de mollets. Pour accéder à un peu d’humanité, je joue du torticolis, penchant la tête en arrière en fronçant les sourcils, le soleil me fracassant les yeux pour me remettre à ma place de grain de poussière dans l’infini de l’univers.

J’ai appris beaucoup de choses sur l’humanité, emmitouflé dans ce sac de couchage rouge.

L’étiquette indique qu’il protège du froid jusqu’à moins dix degrés. Sans vent, sans neige et sans pisse de chien peut-être, sinon j’invite l’ingénieur textile de Décathlon à revoir sa fiche technique et la phase de test de ce cocon made in china en polyester dans lequel je passe la plus grande partie de mon existence et où même un papillon ne voudrait pas crécher.

Ma grand-mère disait qu’on peut tout savoir d’une personne rien qu’en regardant l’état de ses pompes. Je confirme Mamie Thérèse. De la Louboutin soigneusement cirée à la paire d’Air Max crasseuse, il est rare, même si l’habit ne fait pas le moine comme le souligne ce proverbe à la con, que le bas soit totalement dissocié du haut. J’ai jamais vu un mec porter des chaussettes blanches jusqu’au mollet avec des claquettes en bas et une veste de costard en haut. Ah si. Dans les Inrocks.

À mon approche, le pas se fait plus pressant ou hésitant, il raconte ce que les yeux voient, là-haut, dans le monde des visages.

La pointe de l’espadrille me fixe avec dédain, pitié ou empathie mais personne ne s’arrête. On ne s’arrête pas devant un fantôme, on le traverse comme on traverse la vie en serrant les dents et en mettant de côté ce qui nous a fait mal. Au mieux, le son métallique d’une pièce jaunâtre termine dans mon bonnet au lieu de glisser dans la tirelire de Bernadette Chirac. La grille rouillée du Norma du quartier de la gare s’ouvre avec difficulté dans mon dos. Je roule grossièrement pour m’adosser au mur tagué par un amoureux éconduit la veille. « Jenny je t’aime ». Je souris cyniquement en lisant cette déclaration d’amour maladroite mais sincère.

Lentement le bout du trottoir s’anime. Deux paires de Doc Martens se font face à quelques centimètres l’une de l’autre. Elles semblent disproportionnées à côté de l’épaisseur cadavérique des cure-dents qui font office de jambes dans un slim bleu clair. Le concert d’hier à la Laiterie était visiblement « cool », « trop de l’a bombe », « tueur, dl’a balle sa mère ». Un dernier gloussement avant de décider de ne pas aller en cours aujourd’hui et les paires noires aux lacets rouges s’éloignent sur le macadam.

En face de moi, l’ENA. Les chaussures inconfortables qui caressent le parquet soigneusement ciré de ce bâtiment ne passent jamais devant moi. L’école nationale d’administration mais pas l’école de la vie.

Des pantalons de costume impeccablement repassés avec le pli au milieu pour faire plus que son âge. Du cuir noir qui brille. Noir, austère, pour contraster avec le col blanc, propre et brillant. Et dire que ce bâtiment était une prison avant. Hasard. Je ne crois pas.

Je plie méthodiquement mon pull pour le caler derrière ma nuque poilue. Il faudrait que j’aille chez le coiffeur. Il faudrait que je mange, que je trouve un appartement, que je me lave, que je dorme, que je parle à quelqu’un d’autre qu’à la voix qui chuchote dans ma tête. Les étudiants infirmiers arrivent à l’IFSI Saint- Vincent au compte-goutte, la tête dans leurs prises de notes, une belle journée de prise de tête.

Moment de science-fiction lorsque le nouveau tram glisse fièrement devant moi. Le conducteur klaxonne et me salue de la main. Blade Runner 2018. Une sirène rugit pour donner plus de crédibilité à la scène. La voiture banalisée de la BAC grille un feu rouge manquant d’écrabouiller un cycliste un peu trop rêveur. Les vélos se succèdent à un rythme effréné mais pas de caravanes du Tour de France à l’horizon. Au mieux, un vieux Peugeot customisé en fixie crachant une musique technoïde à travers le sac Herschel de son conducteur. Au pire, un vélo volé et un propriétaire dégoûté qui pestera lorsqu’il se rendra compte que de sa belle monture en carbone ne reste plus qu’une roue solidement cadenassée à un arbre.

Le vol de vélo est un sport national dans cette rue, peut-être que le faubourg du même nom à une centaine de mètres vient de là.

Déjà à l’époque, les piqueurs de deux roues devaient s’y réunir pour échanger sur la meilleure façon de détrousser un monocycle. « Un échange de pratiques professionnelles », le « réseau » comme dit le conseiller de l’agence d’intérim qui ne me propose plus aucune mission depuis belle lurette.

Bientôt les pantalons épais laisseront places aux jambes nues, aux mollets poilus, aux robes à fleurs, aux bermudas, aux doigts de pieds carrés, ronds, aux vernis à ongles violet et aux mycoses. Les verres remplis de bières brunes, noires, blondes, rousses trôneront sur des tables métissées et colorées jusqu’au bout de la nuit. Un sentiment de légèreté et d’insouciance propre au printemps s’installera discrètement. Les amoureux marcheront main dans la main le long du Musée d’art moderne entre deux joueurs de djembé, deux crottes de chien, un livreur de chez Deliveroo dépressif et un toxico qui dort sur un banc.

Bientôt ça sera le printemps. Tout ira mieux.

[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_zigzag][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column width=”2/3″][vc_column_text]Mr Zag

Mr Zag a une voisine, un chat, des collègues, un job, il aime Lynch, Radiohead et Winshluss. Mr Zag a un Pinocchio tatoué sur le bras, quelques gribouilles en islandais, il ouvre les yeux et décrit le monde avec une vision bien à lui.

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