Révélée en 2007, dans “La Graine et le Mulet” du grand Abdellatif Kechiche, l’actrice Hafsia Herzi présentait le 11 septembre dernier “Tu mérites un amour”, son premier film en tant que réalisatrice. Un jour j’ai lu dans un article: “Lorsqu’Hafsia pleure, on a envie de pleurer, lorsqu’elle gueule on a envie de gueuler, lorsqu’elle mange on a faim, et lorsqu’elle danse on tape du pied.” Je ne saurais mieux résumer ce qu’Hafsia Herzi parvient à transmettre. L’actrice dégage une énergie lumineuse, elle vibre et on vibre avec elle. Dans “Tu mérites un amour”, la jeune réalisatrice raconte cette histoire que l’on a tous vécu un jour dans sa vie, la rupture, le chagrin, les instants de douleur, de déni, et de désespoir. C’est spontané et beau, c’est mélancolique, sensuel et vrai. Avec ce film, Hafsia Herzi nous percute en plein cœur. Nous l’avons rencontré.
Pourquoi avoir choisi le contexte de la rupture et du deuil amoureux pour ce premier film?
Hafsia Herzi : Ça avait déjà été traité au cinéma, mais pas profondément. En enquêtant un peu autour de moi, je me suis rendu compte que déjà l’amour est un sentiment universel, mais aussi qu’on parle peu de la rupture et de ce qu’elle peut engendrer sur le mental, sur le physique… J’avais envie de faire ce film pour que les gens qui vivent ça, n’en aient pas honte. C’est pour ça également que j’ai voulu aller très loin dans la tristesse, car on peut être amenés à passer par là, par de gros chagrins. C’était pour dire aux gens qu’ils ne sont pas seuls, et qu’ils ne faut pas avoir honte de ce qu’ils traversent ou de ce qu’ils vont traverser. On a fait quelques projections et je vois que ça touche le public parce que tout le monde est plus ou moins passé par là dans sa vie. Je pense que c’est par pudeur que ça n’a pas encore été traité de cette manière-là. J’ai voulu faire un film “sans pudeur” à ce niveau-là.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer de l’autre côté de la caméra ?
Hafsia Herzi : Depuis petite j’ai toujours rêvé de réaliser, d’écrire des histoires. J’ai fait un court-métrage il y a dix ans et j’avais adoré l’expérience. J’avais envie d’évoluer dans mon métier. Une très grosse envie de filmer et de raconter des histoires. Un désir fort de passer derrière la caméra.
Et là du coup c’est devant et derrière la caméra à la fois, ce n’est pas trop compliqué à gérer?
Hafsia Herzi : C’est vraiment parce que le projet est auto-produit, j’ai décidé de le faire du jour au lendemain. J’ai essayé de trouver quelqu’un, mais étant donné que j’ai fait le film en plusieurs parties, je me suis demandé sur qui je pourrais compter si le film s’éternisait. Je n’avais vraiment personne à ce moment-là. Je me suis dit : “Fais toi confiance”. Je l’avais déjà fait dans le court-métrage et je m’étais juré de ne plus le refaire parce que c’était vraiment très dur, même au montage. Mais là, je me suis lancée, et vu qu’il n’y avait pas d’enjeu financier, je n’ai pas réfléchi. Ça s’est très bien passé.
J’imagine que de jouer le rôle qu’on a écrit c’est aussi un peu le meilleur moyen d’arriver à ce qu’on avait imaginé.
Hafsia Herzi : Oui, parce qu’on sait ce qu’on veut. Puis vu qu’il n’y avait pas de production derrière, c’était moi la production, c’était un moyen d’apporter l’énergie au film. Quand on joue, c’est une responsabilité, on n’a pas le choix d’être dans le truc tout de suite, parce que sinon les autres ne nous suivent plus. Je me suis abandonnée, je me suis laissé aller.
Et les acteurs vous les aviez déjà en tête en écrivant les rôles?
Hafsia Herzi : Pas du tout. Ce film, je pensais que ça allait être mon deuxième long-métrage car j’en avais déjà écrit un autre auparavant qui avait été financé, mais pas suffisamment pour voir le jour. “Tu mérites un amour” c’était un scénario que j’avais dans mes archives, et c’est vraiment quand j’ai décidé de le tourner comme ça à l’arrache, que j’ai eu en tête des noms de gens que je connaissais, ou que j’avais rencontré dans l’année. Il y a beaucoup de jeunes dont c’est la première fois à l’écran. J’ai choisi les acteurs en même pas 48 h. Je me suis dit au pire si ça ne va pas, je change, il n’y a rien à perdre.
Et ça s’est bien passé finalement?
Très bien. De belles surprises. Même ceux dont c’était la première fois, je ne les ai pas castés, je les ai pris après un café ou autre, et je leur ai dit : “C’est bon allez, viens demain.”
La presse a beaucoup parlé de l’acteur qui joue le meilleur ami de Lila. C’est un petit nouveau aussi?
Hafsia Herzi : Il a déjà tourné, il a fait deux trois petits rôles. C’est un garçon que j’ai rencontré sur “le Chat du Rabbin”, un film d’animation en 2006. On a sympathisé, et on a gardé contact. J’ai toujours trouvé qu’il avait beaucoup de talent, mais qu’il n’était pas forcément exploité. Pour moi ça a été évident tout de suite.
Puis il est génial dans le rôle.
Hafsia Herzi : Il est formidable, oui. D’ailleurs au festival d’Angoulême il a reçu la mention spéciale du jury.
Vous ressortez satisfaite de ce premier long-métrage?
Hafsia Herzi : Je suis très satisfaite du film. Très fière du film, très fière des acteurs. Après, forcément, on se dit toujours : ” Et si j’avais plutôt fait ça ?”, mais il est ce qu’il est. Je pense que s’il avait été produit de façon normale, et fait dans les règles, ça n’aurait pas été le même film. Quand on n’a quelqu’un derrière, on a toujours un autre point de vue qui vient dire : “Non ça ce n’est pas bien…”. Et là, vu qu’il n’y avait personne, le film, je l’ai fait, je l’ai monté et ça a donné ça. Donc j’étais décisionnaire de chaque scène, chaque plan, tout… Je suis très fière du film et de ce qu’on a pu faire en si peu de temps. Et avec aucun moyen. Vraiment très heureuse.
Je pense que c’est bien que le film ai été fait avec peu de moyens, on sent qu’il y a quelque chose de très spontané.
Hafsia Herzi: Et qu’il y a une urgence aussi.
Exact et c’est ça aussi qui donne tout son charme au film, finalement. On sent que pour certains personnages c’est une première fois, mais on le ressent de manière positive. C’est très vrai et naturel.
Hafsia Herzi : Oui, j’avais envie aussi qu’on se demande si c’est de l’impro. Alors qu’on a tout écrit. Le système, c’était qu’ils apprennent tout par cœur, pour qu’après ça puisse être naturel dans leur bouche. Mais j’aime beaucoup quand on me demande si c’est de l’impro. Je voulais également un sentiment d’urgence, car Lila est dans cette urgence d’aller mieux.
Oui on le remarque quand son ami checke les sites de rencontres pour elle et qu’elle répète : “Oui je veux ! Je veux rencontrer quelqu’un !”.
Hafsia Herzi : Quand on est perdue, même l’histoire du marabout, c’est le désespoir. Et dans les histoires d’amour, on n’arrive pas à se contrôler. On ne veut plus, puis on y retourne quand même… Et ça je l’ai observé autour de moi. Il y a beaucoup de choses sur lesquelles on peut ne pas être d’accord, mais l’amour, c’est vraiment universel.
On vous a connu en tant qu’actrice pour Abdellatif Kechiche, on vous associe souvent à lui, est-ce que ce n’est pas ennuyeux au bout d’un moment?
Hafsia Herzi : Non pas du tout. Après, parfois, je vois des articles où ils exagèrent. Je lis que je suis “la relève”. Ça me fait plaisir, mais je suis quand même lucide. C’est un des meilleurs en France si ce n’est au monde, donc non, je suis loin derrière. Mais cela dit je préfère qu’on m’associe à Kechiche, qu’à quelqu’un d’autre (rires). Après bien sûr, je suis influencée par son cinéma parce que j’ai commencé avec lui et que c’est lui qui m’a encore plus donné envie de filmer . Il m’a toujours encouragé dans mes rêves et mes envies d’écriture. Parce que je n’ai pas fait d’école de cinéma. Et lui, il m’a dit : “Il n’y a pas de règles, dans le cinéma, c’est la règle du cœur. Il faut suivre son cœur.”
Il a vu le film?
Hafsia Herzi : Il a vu des extraits, il n’a pas eu le temps de le voir encore, mais il est content. Là on a eu un prix à Angoulême et il est trop content, il est fier.
J’imagine effectivement qu’en tournant avec quelqu’un, sans faire du copier-coller, on a des influences derrière.
Hafsia Herzi : Oui clairement, c’est quelqu’un que j’admire. On a tous des influences, c’est inconscient. Après j’aime bien aussi Andrea Arnold une réalisatrice britannique. Mais je n’ai pas cherché à copier, j’ai vraiment filmé comme moi j’avais envie de voir le film. C’est chacun sa méthode.
Il y a eu des difficultés pendant le tournage?
Hafsia Herzi : Vraiment aucune. Quoi qu’il arrive, on était préparés à des difficultés et franchement aucune. Les commerçants nous ont ouvert les portes de leur établissement. On a tourné sur trois mois et en été (juillet, août et septembre) donc on était tranquilles. Ce qui était plus compliqué, c’est la post-production parce que ça coûte cher. Le montage, le mixage, l’étalonnage. On est obligés de passer par là si on veut terminer le film. On a réussi à aller au bout.
Une petite anecdote un peu marrante ou marquante à nous raconter?
Hafsia Herzi : Il y en a eu beaucoup. On a vraiment beaucoup ri. Peut-être la scène, où je rencontre le mec Tinder, celui qui parle beaucoup. C’est le chef opérateur qui joue. Parce que ça me tenait à cœur aussi de prendre des techniciens. Et il est formidable. J’ai eu un vrai fou rire, je pense que ça se voit. Je n’arrivais plus à respirer, et j’essayais de tenir un maximum pour avoir assez d’images à monter, mais à un moment, j’ai dit: “Je ne peux plus.” C’est la première fois de ma vie que ça m’arrive. Même quand j’ai joué dans d’autres films, jamais je n’ai arrêté la scène. Là, c’était impossible. Dans le café qu’on nous avait prêté, il y avait de vrais clients et ils rigolaient. J’ai jamais ri autant de ma vie.
Vous vous trouvez des points en communs avec Lila, vous pensez que vous pourriez réagir de manière semblable à une rupture?
Hafsia Herzi : Je ne sais pas, et je pense que personne ne sait comment il peut réagir. C’est selon la personne, le moment de sa vie, ce qu’on a vécu ensemble. Je pense qu’on ne se connaît pas à 100 pourcent. C’est ça que je raconte aussi. Par exemple, dans la première scène avec l’ex, Lila s’humilie plus qu’autre chose, mais elle est dans le déni. Elle pose des questions qui ne feront pas avancer la situation, mais quand on est dans un moment comme ça, parfois ça peut nous rendre fous. On a l’impression qu’on ne peut pas vivre sans l’autre, on pleure comme si on avait perdu quelqu’un. Est-ce que ce n’est pas nous qui avons un autre souci ? Il y a des gens qui meurent de chagrin, d’amour. Il y en a qui n’arriveront jamais à réellement passer à autre chose. C’est très dur d’aimer. Mes points en commun avec Lila, ce serait la mélancolie, le romantisme.
Elle est très discrète Lila et en même temps très libérée. Dans les soirées, dans les moments en communauté, elle est toujours un peu en arrière-plan.
Hafsia Herzi :Oui, parce qu’elle est triste, elle a encore le cœur brisé. Quand on a le cœur brisé, il y a plusieurs types de réactions. On peut être effacée, on n’a pas envie. On peut être dans une super fête, mais on n’a pas la tête à ça. Parce que le cœur est lourd. C’est ce que j’ai voulu raconter avec les plans très isolés. J’ai voulu faire parler les plans, plus que les phrases. Elle est seule, même si elle est entourée, qu’elle a ses amis qui essayent de la faire rigoler, qui sont là. Elle a de l’amour, mais elle n’arrive pas en fait. Elle ne s’amuse pas. Même la scène d’amour avec le garçon de la fête, c’est un acte comme ça. Mais en vrai, elle n’en a pas forcément envie.
Elle essaye d’oublier.
Hafsia Herzi : Oui exactement. En fait, elle est libre, car je ne vais pas dire qu’elle a perdu la tête, mais c’est comme si son corps n’était plus là. Il est là, mais il n’est plus là, car le chagrin et la mélancolie ont pris le dessus. C’est ça que j’avais envie de raconter. Même quand elle rencontre le jeune homme du parc, elle va le voir, mais pour oublier le temps d’un moment, puis après elle s’enfuit. Parce qu’il y a la perte de confiance aussi, après une rupture.
Puis il y a aussi parfois le réflexe d’enchaîner pour ne plus rien ressentir. Selon vous l’amour a-t-il encore une chance quand la confiance est brisée?
Hafsia Herzi : Je ne pense pas. Je parle personnellement, je pense qu’on veut peut-être encore y croire quand la confiance est brisée, mais on n’oublie jamais. Il y aura toujours un doute. Après ça dépend ce qu’il s’est passé, mais quand il y a eu infidélité, c’est dur quand même. Pour moi quelqu’un qui a été infidèle une fois, le sera toujours. On ne change pas.
C’est comme Lila qui essaye encore de croire en Rémi, de lui faire confiance.
Hafsia Herzi : Parce qu’elle a envie d’y croire et elle lui trouve des excuses. Après elle finit par comprendre que non, ce n’est pas ça l’amour qu’elle mérite.
Au début du film, elle va jusqu’à aller voir la “nouvelle” copine de son ex pour la menacer et lui dire d’arrêter de le voir. C’est finalement presque forcer l’autre à ne pas l’abandonner.
Hafsia Herzi : Elle n’accepte pas la rupture.
Oui et finalement en refusant le fait que son ex soit avec une autre fille, en allant la menacer à son travail, c’est du déni complet. Elle veut le récupérer coûte que coûte sans même se soucier de son envie à lui.
Hafsia Herzi : Parce qu’il n’a pas été clair non plus. Il lui dit : “Ce n’est rien, t’inquiètes pas”. Il n’a pas le courage de lui dire qu’il veut terminer, en même temps on ne sait pas si il veut vraiment terminer.
Il joue clairement sur plusieurs tableaux.
Hafsia Herzi : Oui, et en même temps, on se demande s’il n’est pas juste perdu. Je n’ai pas voulu qu’on le juge de trop non plus. En faire le salopard de service. Dans ma direction d’acteur, je disais au comédien qu’il était perdu. Il y a des gens qui sont comme ça, ils essayent de combattre leurs démons, mais ils n’y arrivent pas.
L’impression qu’il donne dans le film c’est quand même d’être quelqu’un qui est incapable d’être seul.
Hafsia Herzi : Il a toujours besoin d’un appui. Il n’a pas été clair avec Lila, il ne lui a pas dit : ” Je ne t’aime plus”. Et elle, elle veut croire à cette histoire qui n’a été qu’une illusion finalement.
Elle est même prête à faire appel à un marabout pour forcer la chose.
Hafsia Herzi : C’est le désespoir. Le marabout, les voyants, il y a beaucoup de gens qui se font arnaquer, parce qu’ils ont besoin de croire que ça va aller.
Si vous pouviez organiser votre propre festival de cinéma. Vous le feriez où et avec qui ?
Hafsia Herzi : Dans les quartiers Nord de Marseille, où j’ai grandi. J’aimerais bien un jour. Avec des jeunes de quartier qui ont envie de faire du cinéma, de travailler dans le milieu artistique. Ça, c’est quelque chose que j’adorerai faire, car il y a vraiment de grands talents. À Marseille, dans les quartiers en plus, il y a des phénomènes.
Est-ce que vous avez un livre de chevet?
Hafsia Herzi : En ce moment, je n’ai pas vraiment le temps de lire, mais j’aime beaucoup un livre qui s’appelle “Yoga de la vie pratique”. Je ne sais pas si vous connaissez ?
Je ne l’ai pas lu personnellement mais c’est fort probable qu’il soit sur l’étagère de ma mère ( rires).
Hafsia Herzi : Franchement, c’est trop bien. C’est plein de choses positives, des conseils sur la vie.
Les projets pour la suite ?
Hafsia Herzi : Sortir le film, tranquillement. Voyager un peu à l’étranger et préparer pour janvier ma deuxième réalisation, qui a été financée, mais pas assez. J’espère que je vais trouver un peu plus d’argent grâce au film, pour que le second voit le jour.
Ça devrait aller, il y a eu de supers bons retours sur celui-ci.
Hafsia Herzi : J’ai hâte de faire le second franchement. Il se passera dans les quartiers nord de Marseille. C’est totalement une autre histoire. Il parle d’une mère de famille d’une cinquantaine d’années qui vit à Marseille dans les quartiers Nord, qui est femme de ménage dans les avions et qui s’occupe d’une mamie en parallèle. Elle a trois enfants, dont une fille avec un bébé, abandonnée par son copain. Un de ses fils est en prison, et voilà, c’est un peu son parcours, jusqu’au procès de son fils. Il parle d’amour, d’amitié, de solidarité…
Toujours de sincérité alors.
>> Propos recueillis par Emma Schneider <<
Merci à Hafsia Herzi pour sa gentillesse, à l’équipe des cinémas Star et à l’hôtel Hannong pour son accueil.
“Tu mérites un amour” est actuellement à l’affiche des cinémas Star et de l’UGC Ciné Cité.