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Histoire d’arbre : assez papoté, voyons ce que le Platane de la Petite France a à raconter

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A force de les voir, on en oublie qu’ils sont là. Mais vous êtes vous déjà demandé ce que pouvait penser un arbre ? Strasbourg recèle de secrets et de trésors, parmi eux, des arbres souverains, vieux de plusieurs siècles. Le premier qui a retenu notre attention : ce bon vieux Platane du Quai de la Bruche qui en avait gros. On l’a interviewé – en quelque sorte – pour vous délivrer un bout de sa longue histoire. Souriez, vous êtes observés.

Aujourd’hui, j’ai 352 ans, je ne suis ni sénile, ni incontinent. Toutes mes feuilles sont en place, pas l’ombre d’une calvitie à l’horizon. Oui oui, j’ai bien toute ma tête en étant plus âgé que cette vieille branche de Dumbledore. AHAH j’adore l’humour. Branche – arbre. Parce que je suis un Platane ? Haaaaahhhhhh. Trêve de plaisanteries, revenons à nos feuillages.

En ces trois siècles et demi d’existence j’ai vu, entendu, appris un nombre incalculable de choses sur vous, les humains. J’ai acquis la sagesse des vieux arbres à travers la jeunesse de vos années. Je vous ai vu rire et danser, je vous ai vu vous aimer, si fort. Puis je vous ai vu vous déchirer. Je vous ai observé vous meurtrir, vous bombarder. J’ai été témoin de vos folies les plus belles, les plus sombres. J’ai scruté vos faits et gestes avec la plus grande attention – de l’ADN d’espion dans la sève. Assis près de mon escalier, j’ai offert un coin paisible et ombragé à bon nombre de déjeuners. J’ai aussi servi de lieu de troc, de deal, subi la pluie, le vent et le tonnerre. Mon histoire commence en 1667.

Ah, la Petite France et ses pavés irréguliers, le berceau romantique de la ville de Strasbourg.  Figurez-vous mes chers amis, que ce ne fut pas toujours le cas. La misère nous a frappé, et la maladie aussi. Quand les ruelles n’étaient encore que boue et sillons de charrettes, je vous voyais vous débattre pour survivre. Et comme vous avez survécu. Vous avez mis le coin à feu et à sac pour vos idées, et vos batailles de religion que je ne comprends pas toujours.

Puis le calme est réapparu, la vie a repris ses droits, les tanneurs ont recommencé à marteler du toit de leur maison à colombages. Mais ce calme que l’on voudrait souverain n’a su demeurer, rompu sans cesse par  maintes querelles, des victoires pour les uns au goût cuisant pour les autres. Des chars qui ont défoncé le sol non loin de l’endroit duquel je m’adresse à vous. J’ai consolé une dernière fois les « dormeurs » du Quai de la Bruche, ceux que les balles n’ont pas épargné. 

Copyright : Mathieu Piranda, Série Instants Mélés.
Site Web : http://www.matphotograph.fr/albums/instantsmeles/
Instagram : @matpir

Allemagne – France, France – Allemagne (ramenez l’Alsace à la maiiisoooon, allez les bleus allez, pardon je m’emporte), tant de fois que si vous demandez à un Américain, vous êtes sans doute des casques à pointes.

Malgré tout, j’ai connu tant de joie. De célébrations en célébrations, des festivals de noeuds virevoltants, assis fièrement sur le crâne de vos jolies danseuses. Plus tard dans vos redingotes et vos robes à plumes, venus vous trémousser à bord de vos voitures ronflantes. 1945, la libération. Les années folles. Comme vous êtes beaux quand vous souriez, comme vos rires sont doux. Comme le mélange de culture vous va bien. 

Ich verstehe Deutsch. And I understand English. Entiendo mucho de español, pero no todo. En étant ici j’ai été aux quatre coins du monde. Le défilé continu des touristes, brassé à tour de rôle entre l’odeur du vin chaud et celle du soleil, m’a fait voyager sur place, puis m’a emporté chez eux, en photo Instagram et autres likes. C’est fou. Vous avez tellement évolué, et vite. Peut-être trop vite ?

Aujourd’hui je contemple toujours la vie qui trotte autour de moi, en témoin discret. Et j’abrite toujours des déjeuners, des histoires d’amour, des mélancolies et parfois un écureuil un peu relou qui me doit 3 mois de loyer. Je suis lieu d’histoire, je suis nature, je suis vieux (“I am old not obsolete” – merci Schwartzi).

En plus d’attirer les touristes (et leur argent), je vous dédie ma respiration, je vous préserve, de ma hauteur. Goutte d’eau dans une mer de feuilles. Alors maintenant, à vous d’être gouttes d’eau dans un océan de possibles. Enjoignez-moi les racines. Préservez-moi. Une décennie de plus. Deux. Un siècle. Que sais-je, un milliard d’année.

J’ai toujours été ambitieux. Ou devrais-je dire, vous m’avez rendu ambitieux, à défiler en famille, d’arrière grand-père en arrière arrière arrière petits fils. En couple fraichement marié à duo ridé, dont les corps frêles portent les marques d’une vie entière. Des générations qui se suivent mais ne se ressemblent pas. J’étais là avant vous, j’espère encore l’être après (Rien que pour voir les robots, ça a l’air fun.)

-Claire Arbogast

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