Parce que Strasbourg regorge de sportives et de sportifs, parce que certains sports ne bénéficient pas d’une médiatisation suffisante et tout simplement parce que raconter des histoires sur le sport me passionne, Pokaa lance une nouvelle série de portraits sur les sportives et sportifs à Strasbourg. Aujourd’hui : entretien avec Julien, entraîneur de kung-fu, agent de la fonction publique et fervent amateur de licornes.
Note de l’auteur : Si vous voulez en apprendre davantage sur Tassia, premier portrait de la série, et le kayak-polo, cliquez ici. Pour Ismaël et le taekwondo, cliquez là. Pour Albano et le tennis, l’article est ici. Pour l’Ultimate avec Gael et Gwen, c’est ici. Les cheerleaders, c’est là que ça se passe. Maïté et le judo, c’est par là. Et pour finir, Stéphanie Ducastel et la boxe.
Note de l’auteur 2 : Merci à Julien Cayla pour les photos.
Qui es-tu Julien Cayla ?
Commençons simplement par les présentations. Dis-nous qui tu es Julien : « J’ai 27 ans, je travaille au cabinet du Préfet du Bas-Rhin comme chef du cabinet et de la représentation de l’État. Parallèlement, j’ai pas mal d’activités associatives : j’enseigne le kung-fu à l’association Kung Fu Contact et je fais partie des membres fondateurs de l’association TDO Crew, qui est une association de spectacle et de développement des arts martiaux acrobatiques et artistiques. »
Julien n’a pas passé son enfance en France, mais il a vite trouvé en Strasbourg une deuxième maison : « Je suis né et j’ai grandi à Abidjan, puis ensuite au Burkina Faso, j’ai commencé les arts martiaux là-bas. J’ai passé mon bac au Burkina Faso aussi et j’ai décidé en 2009 de rejoindre l’Université de Strasbourg et je suis tombé amoureux de cette ville. J’ai fait toutes mes études ici, de la sociologie, du droit, j’ai passé un concours : une année à l’IRA de Metz – Institut régional d’administration, ndlr – pour devenir attaché d’administration de l’Etat, et en sortie de concours j’ai eu l’occasion de reprendre un poste à Strasbourg au cabinet du Préfet de la région Alsace, d’abord en tant qu’adjoint, puis ensuite en temps que chef de cabinet. »
Pour le kung-fu, les débuts furent à l’adolescence : « J’ai commencé le kung-fu à 13 ans. Ça fait 15 ans maintenant que je fais des arts martiaux et du kung-fu. J’ai commencé avec un professeur qui était togolais, au Burkina Faso. J’ai pratiqué du Shaolin Quan – Kung-fu shaolin en langue de Molière, ndlr. » Il a désormais bien progressé, et est ceinture noire deuxième duan – grade de niveau aux arts martiaux chinois, après la ceinture noire, ndlr – et prépare actuellement le passage du troisième duan.
Dis-nous Julien, c’est quoi le kung-fu ?
Laissons donc à Julien, le professeur, l’explication de son sport.
« Si ton cœur est bon, ton kung-fu l’est aussi » : Le kung-fu, un sport de valeurs
Cette citation qui clôture l’explication est significative des valeurs qui règnent dans le kung-fu. Mais en parlant de kung-fu, ce n’est parfois pas évident de s’y retrouver puisque c’est un terme très large : « Au kung-fu, il y a des centaines et des centaines de styles. Le Shaolin est un style très populaire, tout le monde connaît un petit peu, en tous les cas ça évoque quelque chose. Ce n’est pas forcément la plus connue, mais disons que comme on a beaucoup vu dans les films, c’est celle qui parle le plus aux gens, c’est celle qui les attire le plus. C’est très visuel, y a des mouvements qui ne sont pas toujours axés combats, mais plutôt axés très esthétique. Donc du coup ça attire pas mal, c’est assez explosif. »
Comme beaucoup de monde à son époque, Julien a été attiré par le kung-fu grâce au cinéma : « Quand j’étais petit, comme tout le monde, j’avais vu des films de Bruce Lee et je me disais « tiens, j’ai envie », et je suis tombé dans une école avec un maître qui était tout ce que je pouvais rechercher. » Mais s‘il est venu pour le cinéma, il est resté pour les valeurs, qui l’accompagnent désormais : « Il y avait un cadre, de la discipline, un côté familial aussi, un côté cohésion qui était très très fort, un côté valeur et puis finalement, dans ma pratique, ça a orienté ma vie sur un chemin très particulier : tout ce que j’ai fait par la suite, je l’ai fait avec ces principes-là, de discipline, de respect, d’humilité. Ce sont des valeurs qui après cadrent vachement et du coup j’ai jamais arrêté. »
Mais du coup, qu’est-ce qui fait un bon pratiquant de kung-fu ? « « Hao Xin, Hao Kung Fu ». Ce qui veut dire : « Si ton cœur est bon, ton kung-fu l’est aussi ». Dans cet art martial, ce qui compte c’est l’engagement du cœur, c’est ce qu’on met dans sa pratique. Il faut être bon techniquement bien sûr, il faut être fort, il faut être souple, bon au combat, en technique, tout ça c’est important. Mais le plus important c’est l’engagement, la sincérité avec laquelle on pratique. Si on n’a pas ça, on passe à côté de quelque chose. »
« Tiens, et si pendant mon maniement du nunchaku, du sabre ou du bâton je mettais des acrobaties, des saltos » : un cheminement de compétition
Si l’on s’intéressera plus en détail au côté entraîneur de Julien, ce n’est pas le dernier à faire des compétitions, bien au contraire : « Très rapidement, j’ai adoré la pratique des armes et j’ai été tout de suite attiré par le nunchaku comme tous les gamins. J’en ai fait beaucoup beaucoup, au Burkina puis ensuite à Strasbourg et j’ai fait des compétitions en ligne. Ça a été plutôt pas mal et quand je suis arrivé ici, j’ai rencontré des gens que je voyais sur des forums et on a décidé d’aller en compétition. La première fois en 2011, j’ai terminé vice-Champion d’Europe en nunchaku. Je me suis dit « bon bah c’est plutôt pas mal, je peux peut-être développer ça ». »
Désormais, Julien était lancé, avec une idée bien précise en tête : « Après j’ai enchaîné pas mal de compétitions : une nationale en 2012, plusieurs championnats du monde dans des fédérations différentes où à chaque fois je finissais dans le top 5. Et je suis davantage allé vers ces arts martiaux artistiques en me disant « tiens, et si pendant mon maniement du nunchaku, du sabre ou du bâton je mettais des acrobaties, des saltos ». Puis j’ai découvert le Tricking et on était avec un groupe d’amis et c’est là qu’est né le TDO Crew. On a commencé à faire des compétitions d’arts martiaux ensemble : se faire un kimono, un visuel et puis faire des spectacles. Le tout pour faire vivre l’association, acheter du matériel, avoir des salles etc. Ça s’est développé et on a fait beaucoup de scènes, jusqu’au Festival des arts martiaux à Paris Bercy. A Strasbourg on a fait deux fois le Palais des Congrès, on a travaillé avec des institutionnels, des privés. »
Entraîner ou pratiquer, telle est la question
Mais s’il a encore le temps pour quelques compétitions çà et là, Julien est aussi un entraîneur. Dès lors, entraîner ou pratiquer ? « C’est le dilemme. Après, lorsqu’on fait du sport et qu’en plus on travaille, est-ce que l’on a le temps pour s’entraîner soi-même ou les autres ? Pour moi, dans les arts martiaux, la voie c’est ça : on va enseigner. Parce que ce qu’on a appris en fait, on va se rendre compte que, lorsqu’on enseigne, y a des petits détails techniques qu’on peut transmettre différemment. C’est une vraie satisfaction. Après bien sûr j’aime continuer à m’entraîner, mais je pense que je m’entraîne aussi quand j’enseigne. L’enseignement, c’est vraiment formidable. »
De la même façon qu’il a progressé dans le kung-fu, Julien peut encore progresser côté professorat : « J’ai un diplôme d’instructeur fédéral, j’envisage de passer le Certificat de qualification professionnelle, parce que l’avantage de ce diplôme-là, c’est qu’on peut enseigner, quel que soit la fédération dans laquelle on est, c’est plutôt pas mal. J’ai pris beaucoup de plaisir à enseigner parce que du coup c’est toujours dans le partage, la transmission, l’apprentissage et il y a une vraie cohésion. »
Mais cette passion de transmettre ne se limite pas à l’enseignement, puisque Julien est aussi arbitre : « Je suis référent d’arbitrage pour le Grand Est : j’organise les sélectifs aux championnats de France, j’organise les formations d’arbitrage. Pour le nunchaku je fais partie de la commission nationale à la fédé de Karaté : on organise la Coupe de France, on essaye de travailler sur le grade etc. J’essaye de m’inscrire dans une dynamique où j’aide à développer les arts martiaux, et donc ma passion. »
Entraîner change ton regard sur ta pratique
Cette passion habite désormais Julien dans son enseignement. Et est-ce que ça change des choses maintenant qu’il est passé « de l’autre côté de la barrière » ? « Je pense déjà dans la pratique, on voit des éléments techniques que l’on ne voyait pas avant. Ensuite, sur la responsabilité qu’on prend : on devient vraiment le référent. On est placé, qu’on le veuille ou non, sur une espèce de positionnement iconique où on est le professeur, on a une ceinture noire, on a des valeurs. Et ce qu’on fait peut être scruté et analysé. »
Dès lors, la notion de responsabilité prend une toute autre forme : « Y a une responsabilité morale et surtout une responsabilité vis-à-vis du pratiquant : quand sur un exercice quelqu’un se fait mal, je me dis « c’est moi qui ai pas dit ce qu’il fallait faire comme il fallait ». Puis dans la progression aussi : quand on a des élèves depuis un an, deux ans, trois ans… par exemple, c’est la première fois que j’emmène une élève jusqu’à la ceinture noire. Je me sens très responsable par rapport à ça : si elle réussit c’est que j’aurais été un bon professeur, si elle réussit pas, ce n’est pas que elle, j’aurais moi aussi des choses à revoir. »
« Travailler en ayant le sentiment d’apporter quelque chose à un ensemble plus grand » : Julien, agent de la fonction publique
Cette philosophie d’enseignement ne le quitte pas, même dans son travail : « En gros, quand j’ai fait mes études, je me suis rendu compte que je voulais rentrer dans la fonction publique. Alors c’est des grands mots mais ça revient à l’intérêt général. En tout cas, travailler en ayant le sentiment d’apporter quelque chose à un ensemble plus grand, et qui ne cherche pas qu’à ramener de l’argent. C’était un peu bateau au début, puis finalement j’ai pris beaucoup de plaisir en passant le concours et en étant à l’école en travaillant parce que je me suis dit que c’était ça que je voulais faire. »
Dans son travail, il rencontre également la notion de la responsabilité. A croire qu’agent de la fonction publique et professeur de kung-fu sont des activités assez similaires : « Mon boulot c’est d’être pour le directeur du cabinet capable d’intervenir sur tout ce qui relève de son champ de compétence. Plus spécifiquement, j’ai beaucoup un travail de rédaction, discours, éléments de langage, synthèse. De la coordination de projets, de gros projets, et j’encadre douze personnes, qui sont sur les volets politiques, de décorations et distinctions honorifiques, d’interventions et l’organisation des déplacements officiels des ministres ou autres dans le département. C’est très riche, ça bouge tout le temps et y a tout le temps des projets à mener. C’est très épanouissant. »
Peu de place pour les loisirs… mais une passion pour les licornes
Si c’est épanouissant, c’est surtout très prenant, laissant peu de place aux loisirs. Lecture et séries arrivent néanmoins à se faire une petite place dans la vie de Julien. « Très honnêtement, je navigue entre mon boulot et l’enseignement, les deux étant très prenants. Bien souvent, les soirées que je passe c’est avec les amis du kung-fu ou du TDO Crew ; après, quand j’ai du temps pour moi, je veux juste décompresser, je lis un livre ou je me mets sur Netflix (rires). »
« En ce moment, je termine le 15ème tome de l’Epée de vérité de Terry Goodkind. J’arrive pas à le finir mais comme il a annoncé reprendre la série, je me suis dit qu’il fallait que je le finisse. Après j’avoue qu’en ce moment on est sur des gros projets au boulot, les élections européennes qui prennent énormément de temps ; je crois qu’en mai j’ai travaillé tous les jours fériés. Du coup j’ai pas énormément de temps et quand j’en ai-je donne deux/trois cours par semaine, ça me permet de souffler un peu et je suis très content comme ça. »
Niveau séries, on s’est tout de suite bien compris Julien et moi : « En ce moment, je suis sur la saison 4 de Lucifer (rires). Voilà, j’essaye de pas la finir trop vite, après j’ai un peu regardé tout ce qui se regarde sur Netflix. Ah et puis un truc un peu honteux, en ce moment je regarde Trailer Park Boys, ça déconnecte totalement le cerveau et c’est rigolo. »
Dans la vie extrêmement remplie de Julien existe néanmoins un (vrai) grain de folie. En effet, selon une source proche du dossier, il est fan de licorne. Grand fan. Quand je l’ai interrogé à ce sujet, il est de suite passée aux aveux : « C’est vrai pour les licornes, mais d’abord c’était les canards. Le changement c’est Strasbourg je crois, qui m’a donné cette passion pour les licornes. J’avais trop de canards à la maison, j’en avais même eu un vrai, je l’avais appelé Orange, c’était rigolo. Maintenant j’ai pas mal de licornes à la maison, et j’ai même une tenue de licorne dans mon bureau. Bon, je la mets pas trop parce que ça fait un peu mauvais genre (rires), mais je l’ai. »
Quel regard porte-t-il sur les scènes d’action que l’on peut voir au cinéma ?
Puisque l’on parlait de séries, juste avant les licornes, j’en ai profité pour en venir aux séries et films Marvel, pour leurs scènes d’action. « Pour les scènes de combat, y en a qui sont vraiment très réussies. En faisant cette pratique d’arts martiaux acrobatiques on voit ce qui intéresse dans les films : on a fait venir dans le cadre du TDO Crew Maurice Chan, qui est un cascadeur, fondateur de l’entreprise CASCADE – qui travaille pour des films, ndlr. Il a travaillé sur Nicky Larson, sur Spectre – et même sur Rio ne répond plus, ndlr. Donc on voit ce qui intéresse ou pas dans les films. »
Il est même souvent impressionné : « Y a des films qui sont super bien faits : clairement, quand on voir les Marvel et qu’on voit certaines figures comme un cork, un coup de pied sauté avec une vrille en retombant sur les pieds et une frappe en l’air, on se dit okay c’est correct. Mais moi ce que j’apprécie dans les scènes de combat, c’est quand il n’y a pas de caméras embarquées, qu’on ne voit pas l’action de tout près : faut qu’on voie de loin ce qui se passe, l’action, l’enchaînement, le rythme. »
« On a l’impression de faire partie d’un tout » : quelques raisons de se lancer dans le kung-fu
Pour terminer, j’ai demandé à Julien quelques conseils pour ceux qui cherchent à commencer le kung-fu : « Trouver un club où vous pouvez voir l’ensemble des élèves. Comme ça vous pouvez avoir une idée en termes du niveau ce que ça va devenir, où il y a une base technique intéressante. Ne pas hésiter à regarder plusieurs clubs. »
« Et surtout trouver un club où il y a un esprit : où vous êtes accueillis, où les gens sourient, où c’est sympathique. Parce que finalement, ce qui va faire beaucoup dans votre pratique, c’est la cohésion qu’il y aura au sein du club, ce sera super important. On a l’impression que c’est individuel, alors que dans le kung-fu, quand on pratique, on est quinze à faire le même mouvement, la même emphase, le même cri, le même déplacement. On a l’impression de faire partie d’un tout. Donc il ne faut pas hésiter, parce que le kung-fu c’est une discipline magnifique et on a tout le temps à apprendre. » Le Maître a parlé.
Pour ceux qui veulent essayer le kung-fu, voici le lien pour le club de Julien, le Kung Fu Contact.
Et pour son asso, le TDO Crew.