Ce weekend, Strasbourg verra la vie en vert. À l’occasion des 48h de l’agriculture urbaine, bourses aux plantes, ateliers de jardinage et constructions de potagers pulluleront en ville, invitant les citadins à mettre la main à la terre.
Dégradation de la qualité de l’air, création d’îlots de chaleur et érosion de la biodiversité : face aux grands défis environnementaux du XXIème siècle, et alors que les consommateurs sont de plus en plus nombreux à privilégier une alimentation locale et durable, le développement de l’agriculture en ville s’impose doucement mais sûrement comme une solution viable. Rencontre avec cinq acteurs du circuit strasbourgeois.
S’Y METTRE :
L’Arrosoir, pépinière de quartier au Neudorf
Rue Saint-Erhard, à quelques enjambées de l’arrêt de tram Schluthfeld, un groupe de personnes s’active sous la terrasse couverte de l’Arrosoir. Samedi, à l’occasion des 48h de l’agriculture urbaine, le jardin partagé nouvelle génération accueillera pléthore d’urbains dans sa prairie. Sont prévus une grande braderie de plantes produites sur place, une exposition de photographies faisant la part belle à la nature alsacienne mais aussi trois concerts le cul dans l’herbe. Le tout entrecoupé de tartes flambées faites par l’AMAP voisine du Ruisseau Bleu et de bières bio de la brasserie locale Bendorf. Une leçon en matière de circuit court.
Pour représenter ce jardin urbain sorti de terre il y a moins d’un an, se dévoue Martin Guillaumé. Fondateur du collectif « Permis de planter », qui promeut l’agriculture en ville, ce neudorfois a porté le projet de l’Arrosoir avec l’association AKPÉ, notamment impliquée dans l’élaboration de la rue du Jeu-des-enfants. « Habitant dans la rue je passais tous les jours devant cette friche, et je me disais, il ne faut pas qu’il y ait un projet immobilier de plus dessus. » Un crowdfunding réussi et plusieurs chantiers participatifs plus tard, germait la première mouturede l’Arrosoir, sur ce terrain mis à disposition par la Ville « tant qu’aucun projet foncier n’a été formulé ».
À l’appellation jardin partagé, Martin Guillaumé préfère celle de pépinière de quartier. « On n’avait pas envie d’un énième jardin partagé. Il y en a déjà beaucoup, et le fonctionnement pose question. C’est une privatisation d’un espace public pour quelques jardiniers pouvant s’engager sur la durée. Pour nous, ça devrait profiter à tout le monde, même à ceux qui n’ont pas la main verte ou qui ne sont de passage en ville que quelques mois. » Le site, composé d’une serre, d’un jardin partagé de pleine terre comptant potagers, compost et houblonnière, et d’un espace « pour chiller », est ainsi librement fréquenté par 350 adhérents « qu’on ne ressent pas en raison d’un turnover important », et accueille toute personne en quête d’un coin de verdure : « On n’est pas très regardants sur les inscriptions, qui sont à prix libre. » Acquis grâce à des actions « plus larges » comme des concerts et des expositions, ce public varié, quoique plutôt jeune, participe pleinement à l’objectif de l’Arrosoir, de produire pour et avec les habitants du quartier. Quoique la production n’est pas la vocation première du lieu : « On est davantage sur le volet social et pédagogique de l’agriculture urbaine. On sensibilise beaucoup à la saisonnalité des produits, c’est complémentaire des producteurs locaux. » Un bon premier pas, accessible à tous.
Le petit mot de l’Arrosoir : « La base c’est de consommer le plus localement possible, avec des produits de saison ; privilégier le petit producteur local, ou à défaut, favoriser le saisonnier dans les grandes surfaces. Si vous voulez développer un peu plus l’agriculture urbaine mais que vous n’avez pas la fibre verte, venez nous voir, on vous la donnera. Ou on trouvera autre chose ! Une personne bricoleuse peut nous aider à construire des nichoirs, une personne matheuse peut nous aider à faire la comptabilité. L’essentiel, c’est d’agir. La Ville suit, ce qui nous manque, ce sont des porteurs de projets décidés. »
La prairie de l’Arrosoir
Samedi 4 mai de 16:00 à 20:00 (REPORTÉ AU SAMEDI 11 MAI)
Braderie de plantes écolos, concerts, exposition photo et atelier de peinture
Petite restauration et buvette urbaine
Festival du jardinage urbain et de la nature en Ville
Dimanche 5 mai de 10h30 à 20h au Parc du Heyritz
L’Arrosoir sera présent pour un troc de plantes et de graines.
SOUTENIR :
L’Îlot de la Meinau, maraîcher raisonné du quartier sud
Plus au sud, au cœur d’une zone plutôt industrielle, se trouve l’Îlot de la Meinau. Sur un terrain de onze hectares loué par la congrégation des sœurs de la Croix et la communauté urbaine de Strasbourg, cette exploitation maraichère cultive depuis 2014 des fruits et des légumes pour fournir les habitants en produits locaux. « À l’origine, l’installation était un projet de la Ville de Strasbourg », explique Claire Andna, qui gère la boutique attenante aux exploitations dont s’occupe son binôme Geoffroy Andna. « Dans le cadre d’une politique commune à la Chambre de l’agriculture, elle souhaitait renforcer le lien des habitants du quartier à l’agriculture. Il y a un vrai soutien de la Ville, même s’il n’y ait pas d’investissement financier. »
En tout, le duo d’agriculteurs a dépensé 700.000€ dans l’aménagement de l’Îlot de la Meinau, et encore 10.000€ pour agrémenter les exploitations d’un espace de vente, une addition récente : « On ne pouvait pas tout faire d’un coup ! On voulait bien produire avant de vendre sur place, et puis ça nous a permis de savoir ce que le consommateur attendait grâce à notre présence à la Nouvelle Douane, notamment. » Aujourd’hui, cinq ans après son lancement, l’Îlot de la Meinau engage une douzaine de personnes à plein temps sur l’année – « l’activité est moindre en hiver, mais il a toujours du conditionnement à faire ». Y sont cultivés des légumes « adaptés aux sols alsaciens » (asperges, carottes, oignons) et des quelques fruits (fraises, rhubarbe).
Dans le commerce pensé comme « un lieu pour fournir mais surtout pour sensibiliser », les produits, affichés à des prix objectivement justes, sont indiqués comme issus d’une agriculture raisonnée et non biologique : « On utilise des produits biologiques, on désherbe à la main, on ne traite pas en préventif mais en cas de problème, il arrive qu’on traite. Et puis pour être bio, il faut déplacer les cultures régulièrement. Il nous faudrait plus d’espace. » Ou produire moins, un pari risqué au regard de l’investissement initial. « Consommer une poire bio d’Argentine, ce n’est pas meilleur pour la planète », souligne Claire Andna, qui se félicite de mettre à portée de tous une alimentation de première fraicheur.
Le petit mot de l’Îlot de la Meinau : « On essaie de sensibiliser nos clients à la production locale, aux circuits courts et à la consommation saisonnière. Encore cette année, des clients nous ont demandé des tomates au mois de mars. Moins que l’année dernière, ça commence à rentrer, mais encore trop quand même. Il faut réintégrer le rythme de la nature. »
L’Îlot de la Meinau
36 route de la Fédération, 67100 Strasbourg
https://www.facebook.com/LIlotdelaMeinau/
SOUTENIR :
Le jardin de Marthe, maraîcher bio à la Robertsau
À l’angle nord-est du parc de l’Orangerie, sitôt l’Ill enjambée, on découvre une vaste étendue de terres et de cultures. Traversée de longues serres tunnel, il s’agit de l’exploitation maraîchère de Laetitia et David Hornecker. Troisième génération de cette famille paysanne, les deux frère et sœur ont repris la ferme en 2015 ; ils l’ont rebaptisée le Jardin de Marthe en hommage à leur grand-mère. Ici, point de traitement : les cinq hectares de l’exploitation sont certifiés bio. « Ça demande d’opérer une rotation régulière des cultures, effectivement. On travaille quatre à cinq fois le sol avant de planter, les plants sont plus coûteux et on bâche plutôt qu’on pulvérise contre les nuisibles, ce qui demande de la main d’œuvre. » Pour autant, le duo n’envisage pas de faire les choses autrement : « Quand on a vu notre père, nos oncles et leurs amis agriculteurs tomber malades, on a fait le choix de la conversion sur quatre ou cinq ans. Ce n’était pas sain, on voulait savoir ce qu’on mange, ce qu’on vend aux gens et ce qu’on va laisser à nos enfants. »
Pêche, abricot, pomme et poire poussent ainsi naturellement sur un hectare de terrain, boostées par l’activité des ruches construites au fond du verger : « On a sollicité des apiculteurs. Depuis, on a beaucoup plus de fruits. C’est à la fois génial de voir leur pouvoir, et triste de se dire qu’on a dû en importer, en quelque sorte… » Les quatre hectares restants sont dévolus à la production de légumes, « principalement de saison mais on va essayer de faire du melon, de la pastèque et la patate douce cette année ». Pour assurer la production dans de bonnes conditions, Laetitia et David se sont endettés sur quinze ans. Ils emploient quatre personnes, deux saisonniers et un bon nombre de stagiaires. Pour autant, l’ensemble des terres ne leur appartient pas. « On les loue à la Ville, pour un montant qui a doublé en cinq ans. On a voulu racheter, mais la Ville a refusé… Si un promoteur immobilier s’intéresse à notre parcelle, au terme de notre contrat de 7 ans, c’est terminé. »
Dans la petite boutique en préfabriqué qui borde le corps de la ferme depuis deux ans – « On avait l’objectif de créer un magasin en dur cette année, mais il est plus prudent d’attendre encore un an avant de faire cet investissement » – les habitués se pressent. La plupart viennent du coin, de l’Orangerie et de la Robertsau. D’autres d’un peu plus loin, de l’Esplanade et du Neudorf. Entre les fraises qui sentent les fraises et des oignons de taille d’oignons, on détecte des retraités, mais aussi des jeunes actifs et des étudiants. Tous déclarent venir « par militantisme », « pour savoir ce qu’on mange » et « soutenir l’économie locale ». « Sans nos clients on ne serait déjà plus là », répète Laetitia Hornecker. « Les promoteurs immobiliers ne se gêneraient pas de nous chasser si on ne faisait pas parti du tissu local. Alors on se bat pour faire connaître le poumon vert du quartier. » Desservie par une piste cyclable, la boutique offre un choix important, y compris de viandes, à des prix alignés avec l’offre bio.
Le petit mot du Jardin de Marthe : Achetez bio, préférentiellement du bio local, sinon du bio français. Surtout, évitez les produits originaires d’Espagne, d’Italie, de Nouvelle-Zélande. Pour faire sa part quand on n’a pas la main verte, consommer bio, local et de saison surtout, c’est un excellent début. Ce sont des habitudes alimentaires à changer, c’est sûr. On s’est habitués à manger des tomates toute l’année… Mais une bonne tomate, c’est quand même autre chose. Ça vaut le coup d’attendre pour le goût, la santé et la planète.
Le jardin de Marthe
9 chemin Geob, 67000 Strasbourg
https://www.facebook.com/lejardindemarthe
S’Y METTRE :
Horizome, le collectif qui végétalise l’Eurométropole
Créé en 2009 à Hautepierre, le collectif Horizome tente, à travers différentes actions artistiques pérennes, de révéler les dynamiques à l’œuvreau sein du quartier. La spécificité de l’association réside dans son mode d’action, qui privilégie une démarche transdisciplinaire associant les arts, les sciences sociales, l’architecture et l’urbanisme pour développer l’appropriation de la ville par ses habitants. Cette année, elle co-organise les « 48h de l’agriculture urbaine » ; une position qui félicite dix ans de projets d’aménagements participatifs réussis dans ce quartier populaire, pour et avec ses locaux : « On y a aménagé des places, décoré des halls, créé une radio. C’est notre quartier d’attache, notre terrain favori », situe Zaï Mo, artiste-jardinier et référent de projet depuis trois ans au sein de l’association.
Lors d’une récente résidence de trois mois financée par contrat de ville, le collectif a également créé des jardins partagés à Hautepierre. Un projet vieux de plusieurs années : « On fait tout à partir des gens, et avec eux. Soit ils nous sollicitent, soit on les active, mais on se place comme des facilitateurs. Forcément ça prend du temps de rassembler des partenaires, parfois même des acteurs ! » Tout en continuant sa réflexion sur ce terrain privilégié (Horizome œuvre notamment à la création d’une ferme urbaine qui réponde à l’urgence socio-économique de la population), l’association souhaite aujourd’hui conquérir de nouveaux territoires. À l’occasion des « 48h de l’agriculture urbaine », elle a accepté le défi de végétaliser la rue Sainte-Madeleine en un temps record : « Heureusement, la rue a une dynamique très forte, les acteurs nous aident beaucoup ! »
Loin de faire dans l’événementiel, le collectif a travaillé au contact de ces acteurs à la nécessaire pérennisation de l’action. Ainsi, chaque jardinière a été adoptée par un commerçant de la rue, l’impliquant durablement dans la végétalisation de l’artère. Ce vendredi, tous ont participé à la décoration des bacs aux couleurs de leurs boutiques.
« La vérité, c’est qu’on n’invente rien : on met en valeur des leviers d’action qui existent déjà. À Strasbourg, tous les outils sont là : il y a une grande dynamique autour des jardins partagés, des jardins familiaux, on a des stations de compost… Mais la mise en réseau est timide. Il manque quelque chose pour nous fédérer et cet événement représente un bon moyen de le faire. »
Madeleine voit la vie en vert
Samedi 4 mai de 14:00 à 18:00 rue Sainte-Madeleine
Ateliers d’horticulture et d’impressions végétales
Le soir, inauguration festive et nocturne commerciale
Les jardins partagés de Hautepierre ouvrent leurs portes
Samedi 4 mai de 14h à 18h
Les jardiniers proposent une visite animée de quatre jardins du quartier.
Les 48h de l’agriculture urbaine à Strasbourg
Les 4 et 5 mai ; tout le programme ici