Si tu es fasciné(e) par le métier de forgeron(ne), les flammes ou le métal, tu es au bon endroit. Direction Munster, à 1h15 de Strasbourg, où la Maison Luquet, dirigée par Simon et Soumia, a planté son atelier depuis maintenant 3 ans. On a passé la journée avec ces porteurs/ses d’un véritable savoir-faire, qui ne demandent qu’à le faire rayonner dans nos belles contrées alsaciennes. On vous raconte comment on a taillé notre propre couteau le nez dans le charbon, en découvrant un métier hors du commun. C’est parti !
Nichée au creux de Munster, la forge Maison Luquet, spécialisée dans la taillanderie (la taille d’outils), se fait discrète. Et pourtant, grâce à son savoir-faire, elle a travaillé avec les plus grands : le château du Haut-Koenigsbourg, la cathédrale Notre-Dame de Paris, et même… Ubisoft, pour fabriquer les goodies du jeu Assasin’s Creed !
L’établissement a survécu au Covid et aux différentes crises financières, tout en multipliant les projets ambitieux. Et pourtant, une autre menace plane sur la taillanderie aujourd’hui, à savoir la fin du bail de leur atelier.
Ce dernier prend fin le 31 juillet, date à partir de laquelle Soumia et Simon vont tout faire pour racheter les murs à hauteur de 200.000 euros. Les paris sont lancés, tout comme leur cagnotte participative (disponible en cliquant ici).
En attendant, pour mieux vous parler de leur travail et de leur passion, on a passé une journée à leurs côtés : on a découvert leur lieu de travail, on a taillé notre propre couteau de A à Z, et dégusté de délicieux produits locaux. On a adoré, et on vous raconte ces moments dans un lieu hors du temps.
Faire vivre un métier rare
La maison Luquet est née il y a 6 ans, au départ dans un local de 23 m² tenu par Simon. Progressivement, l’activité prend son envol : d’ailleurs, la première série d’outils a été vendue en Afrique du Sud… pour un Alsacien qui vivait là-bas !
Avec sa compagne Soumia, ils ont investi depuis 3 ans des grands locaux à Eschbach-au-Val, juste à côté de Munster. Et leur travail se définit aujourd’hui sur trois plans. Soumia nous raconte : « Il s’agit tout d’abord de fabriquer des outils, des les restaurer, de les recycler, le tout à la main et en visant une qualité d’exception. »
Par extension, les deux compères font tout pour sauvegarder un savoir-faire d’excellence… rare et orphelin ! « Il n’y a pas de formation pour taillandier. On apprend le métier directement auprès des gens qui le connaissent. On essaie d’y remédier en formant nous-même des gens, et surtout, des femmes ! On s’adapte à l’ergonomie de chacun, pour rendre le métier accessible. Et ça marche ! »
Enfin, l’objectif de Simon et Soumia est de réactualiser ce métier méconnu, souvent associé à l’image du Viking baraqué et rustre. « On essaie de sensibiliser le public en proposant des ateliers : on veut montrer que tout le monde peut le faire, professionnels ou non, et repartir avec son objet fait main. On veut changer l’image de cette profession niche, qui gagne à être connue ! » Et c’est ainsi qu’on s’est retrouvé à tailler notre couteau. On vous raconte.
Une journée, un couteau, une découverte
L’atelier propose des journées en immersion pour découvrir les métiers de forgeron, et plus spécifiquement de taillandier. En plus de repartir avec notre précieux outil forgé – un couteau ou une hache, par exemple -, on s’initie à chaque étape de fabrication de l’objet.
On démarre de bon matin, après un petit déjeuner partagé avec Simon, Soumia et les autres participant(e)s. On fait le point sur le vocabulaire spécifique du couteau (si vous voulez gagner au pendu, essayez donc le mot « Ricasso », c’est-à-dire la partie non affutée d’un couteau. Victoire assurée), avant de se faire prêter des équipements de sécurité et de bien écouter les règles.
Ensuite, c’est parti pour mettre le nez dans le charbon avec Simon : on se réchauffe au-dessus du feu, pendant que le carré d’acier qui va nous servir de lame prend une belle teinte jaune-orangée. Une fois chauffé à environ un millier de degrés, on vient lui asséner des coups de marteau sur l’enclume juste à côté de nous, pour l’allonger et l’affiner. Feu, marteau, feu, marteau, en boucle jusqu’à avoir la base de la lame.
On voit le métal se déformer de manière satisfaisante sous nos coups, et on se sent un peu comme ces personnages forts qu’on admire dans les films médiévaux. Simon rit : « Après cette journée, vous verrez à quel point on est caricaturé à la télévision ! »
On profite de la pause de midi pour déguster les magnifiques produits du terroir que Soumia est allée chercher. Saumon, saucissons, et évidemment munster sont de la partie, tous provenant de producteurs/rices locaux/ales. Pendant ce temps, l’acier est recuit puis refroidi lentement, pour être un peu plus tendre.
C’est l’estomac plein qu’on poursuit nos activités l’après-midi : on trace la forme définitive de la lame, on la détoure, on lime en faisant des étincelles, on perce, on affûte… Puis on s’attaque au manche en bois, qu’on va lui aussi tailler avec amour. On manipule des machines impressionnantes sous l’œil attentif de Simon, et on prend confiance : avec un peu d’huile de coude, on y arrive comme lui, et ça fait sacrément plaisir.
Une levée de fonds pour sauvegarder un savoir-faire
Au détour d’une pause et le front encore noirci du charbon, on papote avec Simon et Soumia. Les deux passionné(e)s, collègues mais aussi amoureux, ont à cœur de partager leur savoir-faire si rare. Et pourtant, il y a quelques nuages noirs qui se profilent au loin : en effet, le bail de leur atelier prend fin le 31 juillet.
Il faut compter 200.000 euros pour racheter les locaux et pouvoir continuer à en jouir. Les deux tourtereaux essaient donc de trouver du soutien auprès de leur communauté professionnelle, des passionné(e)s du coin ou de plus loin, mais aussi des curieux/ses qui voudraient continuer à faire vivre ce trésor local.
« Un monument, ce n’est pas juste des pierres : c’est un patrimoine vivant qu’il faut entretenir, et cela se fait en partie grâce au métier de taillandier, aussi essentiel que méconnu », nous explique Soumia. « On veut faire rayonner nos connaissances, l’excellence, mais aussi notre fierté alsacienne. Et on y parvient : nos outils sont vendus à travers le monde entier, notre travail trouve preneur sur tous les continents. »
Le modèle économique est donc largement viable, mais dépend de leur capacité à racheter les locaux. « On a lancé une levée de fonds, pour modestement appeler le public à nous aider, histoire d’avoir un apport conséquent. Aujourd’hui, le premier pallier est atteint, ce qui témoigne d’un énorme soutien. On est heureux, mais rien n’est joué ! » Pour aider la Maison Luquet à accomplir d’autres projets encore plus fous, chaque coup de pouce est le bienvenu.
De notre côté, on regarde le couteau qu’on tient entre nos doigts, après avoir passé une journée à le fabriquer de nos propres mains. On se dit que cette forge, derrière ses allures discrètes, est un lieu un peu magique, entre force créatrice et moments humains intenses. Et on y retournerait bien, si l’avenir le permet.