A chaque moi de mai, la famille Bronner, à la tête de la ferme auberge du Grand Ballon, se livre à la même tradition. Les animaux, qui passent l’hiver un peu plus bas dans la montagne, là où les conditions climatiques sont plus douces, remontent sur la route des crêtes, guidés par toute la famille. Mais la transhumance, c’est aussi et surtout un jour de fête.
À 1 110 mètres d’altitude, tandis que les serveurs s’activent à l’intérieur, les randonneurs commencent à se réunir à l’entrée de l’auberge du Grand Ballon. Après s’être retrouvés pour déjeuner ou simplement après avoir stationné leur voiture le long de la route des crêtes, tous se tiennent prêts pour accompagner la famille Bronner, maîtresse des lieux, en ce jour particulier. En effet, ce 21 mai est jour de transhumance.
C’est, en effet, le jour choisi par la famille pour faire remonter ses animaux dans les pâturages en hauteur, à proximité de l’auberge. “D’octobre à mi-mai on passe l’hiver sur le village de Goldbach-Altenbach, explique Jérémy Bronner, le fils. Après la saison d’été, de mi mai à fin octobre on passe sur les crêtes en alpage, à la ferme auberge du grand ballon. C’est traditionnel, à mi mai toutes les fermes auberges pratiquent la transhumance. Ça fait deux semaines que quasiment sur toutes les crêtes les vaches sont remontées.”
“Un moment important”
Toute la famille fait alors le chemin avec ses vaches (mais aussi ses chèvres) deux fois par an. En montant au printemps et en descendant à l’automne. Et si la transhumance de l’automne se fait toujours dans l’intimité – “L’hiver on n’a pas de date fixe pour descendre, on le fait quand il n’y a plus de pâturage et quand le temps ne permet plus de rester en haut”, explique Jérémy-, celle du printemps est prévue longtemps à l’avance. C’est une date symbolique pour l’entreprise familiale. “C’est un moment important, témoigne Jérémy. Ça marque le début de la saison.” C’est à partir de ce moment-là que la famille réinvestit pleinement sa ferme auberge, ouverte aux clients jusqu’à l’automne.
Ce sont Didier et Annick Bronner, les parents de Jérémy, qui ont repris la ferme auberge en 1993, avec d’abord un troupeau de chèvres. Ils ont effectué leur première transhumance en 2007, descendant pour la première fois leurs animaux à Altenbach. Depuis, ils perpétuent cette tradition aux côtés de toute leur famille et notamment leurs deux fils, Benjamin et Jérémy avec qui ils travaillent désormais . “Pour rien au monde on arrêterait ça”, sourit Jérémy.
Si de certains aubergistes effectuent leur transhumance en famille, les Bronner ont souhaité en faire un moment festif et ouvert à tous. Ce sont ainsi une centaine de personnes qui entament ce samedi après-midi la descente jusqu’à Altenbach. “On connaît tout le monde, se réjouit Jérémy. Ce sont des amis, de la famille et des habitués qui reviennent tous les ans. Ils avaient hâte de revenir car on n’avait pas pu faire ça avec tout le monde ces deux dernières années, à cause du Covid. La marche est ouverte à tous mais le repas de ce soir est sur réservation, c’est rempli depuis le mois de janvier.”
Au son des cors des Alpes et des cloches
Une fois arrivée dans le pâturage, la famille des Bronner coiffe l’une des 25 vaches qui s’apprêtent à rejoindre l’auberge du Gros Ballon, d’une branche de sapin décorée. “Normalement c’est celle qui va marcher devant”, sourit Jérémy même si, aujourd’hui, cette dernière en décidera autrement. “Ce sont de supers temps forts. Les vaches sont préparées. On les habille, on leur met les plus belles cloches, elles sont tondues. Pour nous c’est une grande fierté de monter avec nos bêtes. ”
Après quelques photos, les membres de la famille Bronner, tous vêtus de costumes traditionnels, entament la montée vers le Grand Ballon. Ce sont deux heures de marche qui les attendent. A l’arrière du troupeau, la centaine de marcheurs leur emboîtent le pas. “Ça me rappelle des souvenirs de mon enfance, se réjouit l’une d’entre elles. Dans le village d’où je viens, il y avait des paysans et souvent, on les aidait à monter les vaches au pré et à les rentrer le soir”, tandis qu’un peu plus loin c’est le match du racing de ce samedi soir qui anime les discussions.
La chaleur est écrasante mais Jérémy le sait, c’est aussi en partie le soleil qui a attiré les nombreux marcheurs. “On a de la chance avec le temps, les gens sont heureux.” En tête de file, Mathias, élève en CM2, le front coulant de sueur, a retiré le bonnet traditionnel qu’il arborait au départ. Lui et son petit frère marchent en tête du cortège, avalant les kilomètres sourire aux lèvres. “On est habitués, on fait ça tous les ans. Il y a bientôt un raccourci qu’on pourra prendre!”, annonce-t-il l’œil malicieux. Après près d’une heure de montée, le cortège s’accorde une pause, au son des cors des Alpes et des sonneurs de cloches, autres traditions de la montagne.
Une soirée dans la grange
Un petit rafraîchissement apporté par les membres de la famille qui ont rejoint le point de rendez-vous en voiture et ça repart ! Le cortège reprend le rythme, Didier, ses deux fils et les autres membres de la famille toujours en tête. Kilomètre après kilomètre, les paysages montagneux se dévoilent. Le bleu du ciel contraste avec le vert des reliefs recouverts de végétation.
Quelques randonneurs s’écartent pour laisser tout ce petit monde, en profitant pour filmer le spectacle et enregistrer l’impressionnant chant des cloches qui résonne jusque dans la vallée. “ Les premières années, on passait par la route. Du village à la ferme, par le macadam. Mais c’est trop compliqué à cause de la circulation. On a alors décidé de faire le tracé par la forêt, ça ne dérange personne et c’est moins de stress.” La route n’est, en effet, empruntée que sur quelques centaines de mètres, au départ et à l’arrivée du troupeau. Suffisamment pour ralentir un motard qui décide malgré tout de passer au milieu des animaux.
Quelques minutes plus tard, les vaches, arrivées à bon port, sont prêtes pour la première traite de la saison sur les hauteurs du Grand Ballon, sous le regard de quelques marcheurs ayant glissé leur tête par la porte en bois. La mission de Jérémy et de toute sa famille est accomplie mais la journée n’est pas terminée. Dans l’ancienne grange, à l’arrière de l’auberge, 300 couverts ont été dressés. Ce soir-là, ils fêteront comme il se doit le début de cette nouvelle transhumance, entouré d’amis et d’habitués toujours fidèles au rendez-vous.
La saison est désormais lancée. A l’automne, la famille reprendra la route dans le sens inverse. “Au printemps on a hâte de remonter, de retrouver nos clients et à la fin de la saison on est contents de redescendre pour souffler un peu. Monter et descendre, on ne s’en lasse pas”, conclut Jérémy.