Il y a presque un an, tout le pays s’arrêtait, plongé dans un confinement qui avait la saveur de l’inconnu et de la nouveauté, mais également de la prise de conscience de notre environnement. Ceux avec une maison avec jardin, souvent en-dehors des villes, ont pu profiter des beaux jours sans sortir de chez eux, alors que les citadins, souvent sans balcon, restaient cloîtrés chez eux à regarder le soleil de leurs fenêtres. De cette dichotomie, est née chez certains l’envie de se mettre davantage au vert, de sortir de la ville, pour se reconnecter à des choses simples. Cette mobilité rurale mise en lumière par la crise du Covid, n’est pourtant pas un phénomène nouveau. Mais elle représente peut-être le changement d’un paradigme qui favorisait jusqu’alors l’attractivité des villes. Après avoir essayé de comprendre ce qui motive aujourd’hui les gens à revenir dans les campagnes, plusieurs dizaines d’années après avoir fait le chemin inverse, on donne aujourd’hui la parole à cinq Alsaciens et Alsaciennes pour connaître les raisons de leur retour à la campagne, loin du fourmillement de la ville.
Jérôme et Anne Massek : revenir à la campagne pour donner l’exemple à leur fils
Jérôme et Anne Massek ont lancé l’Hôtel Bel Esprit, situé à Kalhausen dans le Pays de Bitche, qui n’est pas « un hôtel au sens classique, mais plutôt une plateforme de bonnes idées. » selon Jérôme Massek. Pour cet ancien juriste dans le domaine financier et sa femme, professeure de lycée, il était temps de revenir à la campagne, pour laisser libre cours à leur créativité : « On a constaté qu’à l’origine, nous étions des personnes très créatives et manuelles, mais qui se trouvaient dans des milieux très axés autour du travail intellectuel. On sentait qu’on faisait quelque chose surtout pour gagner de l’argent et notre vie, et pas pour développer nos propres idées. On voulait donc passer à autre chose. »
Il ne leur manquait plus qu’une motivation supplémentaire et celle-ci arriva en 2015, avec la naissance de leur fils, qui a poussé Jérôme à se remettre en question : « La naissance de notre fils en 2015 a été la goutte qui a fait déborder le vase. Je me suis dit en le regardant : comment tu veux être un modèle si tu apprends à ton fils que travailler c’est se lever tous les matins avec une boule en travers de la gorge pour une cause pour laquelle tu n’as aucune passion ? J’ai donc pris mon courage à deux mains (il claque ses mains) et je me suis lancé. En plus, avec ma femme on avait des économies, on avait déjà un site et on s’est dit que si on se lançait pas à la mi-trentaine, on n’allait jamais le faire et tenter de risquer quelque chose. »
L’Hôtel Bel Esprit a donc ouvert ses portes au 1er mars 2020. Malgré l’absence de clients liée à la pandémie, cet hôtel se veut comme une incarnation des bienfaits du retour à la nature, comme l’ont ressenti ses créateurs : « La philosophie qui le porte c’est l’idée d’une rupture avec la société de sur-consommation dans laquelle j’ai passé beaucoup de temps. Pour notre fils, c’est une opportunité de pouvoir lui enseigner et lui montrer les choses que la nature a à lui apprendre. Pour les clients, un lieu où l’on peut se ressourcer, qui met en valeur la nature. Encore plus dans un monde post-Covid où le numérique a encore pris plus d’ampleur. On peut donc fuir un peu son quotidien, tout éteindre et profiter de la nature, profiter de l’instant présent. »
Rodolphe Herbrich et Xavier Tsang : se rapprocher de sa famille et être ses propres patrons
Cette histoire de retour à la campagne est celle de deux hommes qui se rencontrent à Strasbourg en 2004. Rudolph y travaillait et Xavier était un étudiant hongkongais, qui étudiait aux États-Unis. Le coup de foudre arriva et ils partirent aux États-Unis pour vivre ensemble, Rudolph comme enseignant et Xavier en tant que cadre bancaire à HSBC à San Francisco. Et malgré cela, en juillet 2018, alors que la France soulevait sa deuxième Coupe du Monde, le couple a décidé de rentrer. La raison principale ? Se rapprocher de la famille de Rudolph, comme celui-ci me l’explique au téléphone : « On a décidé en juillet 2018 de déménager et on voulait se rapprocher de ma famille. Toutes les maisons que l’on a vues, on n’aimait pas, et on en a trouvé une qui nous plaisait à Schirmeck. En plus, on s’est rendu compte qu’il manquait une épicerie et avec mon mari on voulait ouvrir un magasin. » Ils ouvrent en novembre 2018 le Petit Organic Store.
Et qu’est-ce qui a motivé le choix d’une épicerie à Schirmeck, située dans le territoire de la Vallée de la Bruche ? « On voulait travailler ensemble et pas pour quelqu’un d’autre, on voulait être nos propres patrons. En plus, à Schirmeck, il n’y avait pas de boutiques comme la nôtre et on voulait travailler avec les producteurs locaux pour apporter de bons produits. » Un projet qui a du sens et qui motive les deux hommes à continuer sur leur lancée de toujours proposer plus de bons produits bio et locaux : « Pour moi cette expérience, c’est du tout nouveau et pour nous c’est intéressant et motivant. Après ces deux ans, on est très heureux parce qu’on tisse plein de relations avec les commerçants autour, on fait plein de rencontres et en plus l’entreprise fonctionne très bien. »
Laura Kuhl : accéder à la propriété et développer son activité
Comme cela arrive souvent avec celles et ceux revenant à la campagne, l’accès à la propriété est une des raisons principales d’un retour à la campagne. C’est celle de Laura Kuhn, une jeune femme qui se trouvait encore il y a quelques mois à La Wantzenau, dans le cake-design : « J’étais installée tout près de Strasbourg à la Wantzenau et j’avais créé ma société sur le secteur strasbourgeois où je faisais des gâteaux décorés sur-mesure. Avant, j’étais à Bruxelles toujours dans le cake design. »
À un moment donné, la jeune femme a voulu développer son activité et voulait revenir propriétaire. Comme il peut être compliqué d’avoir le budget suffisant pour devenir propriétaire sur Strasbourg, le choix s’est porté sur la campagne : « J’étais en location dans mon atelier, on a voulu avec mon compagnon devenir propriétaires et l’être sur Strasbourg c’était pas du tout dans notre budget. On a trouvé un corps de ferme sympa à la campagne début de l’année dernière, et ma venue à la campagne c’est début janvier. » C’est donc à Rumersheim, petit village de 500 habitants dans le Kochesberg près de Truchtersheim, que Laura a posé les pieds, et ses gâteaux.
Une arrivée très récente, mais qui n’empêche pas Laura de trouver déjà de nombreuses qualités à son nouveau cadre de vie : « Le calme, l’espace, le fait d’avoir un grand atelier où je pouvais donner libre cours à mon imagination. En plus, le centre-ville de Strasbourg est trop compliqué d’accès ; les gâteaux sont assez délicats à transporter donc il fallait les faire venir à pied. La campagne c’est moins connu, mais on y accède bien plus facilement. »
Carole Rousseau : une reconversion professionnelle à son image
Pour Caroline Rousseau, propriétaire de CoffitiVallée, une boutique de thés et de cafés se situant à Schirmeck, le retour à la campagne s’est fait en deux parties. Elle habitait encore à la campagne quand elle travaillait pour le Racing Club de Strasbourg. Mais avec la rétrogradation administrative du club en 2011, elle a fait le choix de venir travailler là où elle vivait, et de se lancer à la campagne. Commence alors une reconversion dans le domaine du thé et du café, motivée par ces nombreux voyages qui ont rythmé sa vie : « Je me suis reconvertie, j’ai fait un diplôme de barista et j’avais l’opportunité d’ouvrir une boutique. » À l’époque, on lui déconseille de lancer une boutique à la campagne, mais ça ne l’a pas arrêtée : « On m’a fortement déconseillé d’ouvrir à Schirmeck, en me disant que ça ne marcherait pas. Moi j’y croyais beaucoup, parce qu’on a beaucoup de citadins qui décident désormais de vivre mieux. Pour moi, ouvrir en zone rurale c’était une évidence. On n’est pas loin de Strasbourg, on a tous les moyens d’aller en ville. »
Presque dix ans plus tard, CoffitiVallée est désormais bien implantée dans la vie de Schirmeck. Une position donne à Carole un certain recul sur les gens qui commencent à revenir vers la campagne : « Depuis que je me suis installée sur Schirmeck, trois nouveaux magasins se sont installés, ce qui n’était pas le cas avant. Les gens veulent une maison, un jardin, en restant avec des commodités de citadins, en recherchant une qualité de vie, plus les boutiques, le tout sur place. »
Michaël Christmann : se lancer dans un pari un peu fou
Dernière personne à nous partager son histoire : Michaël Christmann, un agriculteur qui n’est pas revenu à la campagne, mais qui a décidé d’y lancer une idée pas banale : produire la seule et unique mozzarelle d’Alsace, au lait de bufflonne ! Son objectif : réaliser son rêve de pouvoir avoir une activité où il aurait tout le contrôle sur la filière : « J’étais exploitant agricole en double activité depuis toujours. Il y a quatre ans, on a eu l’opportunité d’acquérir quelques surfaces. J’avais toujours en tête de faire un projet où l’on maîtrisait toute la filière, de la fabrication à la vente. » Dès lors, quand il a pu acquérir quelques terrains, il n’a pas hésité :« J’avais déjà regardé quelques élevages de bufflonnes et là j’avais envie d’en faire quelque chose. Alors on a bidouillé un peu et quand on a pu acquérir les terrains, c’était une idée et j’en ai profité. »
Arrive alors le projet de faire sa propre mozzarella. Une histoire qui dure depuis trois ans. Avec sa bonne humeur contagieuse, Michaël développe les raisons qui l’ont poussé à se lancer dans cette drôle d’aventure : « Déjà, je me suis toujours senti proche des bufflonnes, c’est vraiment un animal particulier. Et ensuite, la mozzarella, ça m’a toujours intrigué, sur la façon dont on la faisait. C’est vraiment un fromage particulier à faire, on en apprend tous les jours. En plus j’ai toujours aimé ça, alors on s’est lancé. On est un peu les seuls dans l’est de la France à faire ça. Les gens ont vite adhéré, même si au début ce n’était pas parfait (rires). Mais les clients nous ont toujours soutenus. »
Ces quelques profils racontent tous une histoire différente. Envie d’accéder à la propriété, se lancer un défi un peu fou ou donner l’exemple à son enfant en vivant une vie en accord avec ses valeurs, les raisons ne manquent pas pour revenir à la campagne. Un phénomène qui a été mis en lumière avec la crise du Covid, mais qui montre surtout que, de plus en plus, l’envie d’avoir un vrai cadre de vie confortable prime sur les technologies et les services que l’on peut trouver en ville. Et il est très plaisant de voir autant de belles choses se lancer en-dehors de Strasbourg, avec des gens motivés et qui ont envie de transmettre leur savoir.
La mozzarella de Buflonnes, un régal……Merci Mr Michaël Christmann