Parce que novembre est un mois qui n’est pas toujours tendre et que le confinement ça peut vite être pesant, on s’est dit que chaque matin, on allait vous emmener un peu la tête ailleurs. Curiosité, bonne surprise, avancée scientifique, film, musique ou série… Un à un, les membres de l’équipe Pokaa vont vous partager ce qui, confinés comme vous, leur offre des capsules d’évasion dans un monde en pleine contamination. Bonne découverte et à demain !
J’aimerais trouver les mots justes pour exprimer le sentiment de bienveillance dont me remplissent les clichés capturés par Guillaume Blot, expliquer à quel point ses photos font écho en moi. Depuis deux ans, ce jeune photographe nantais d’origine, entre dans les PMU, les bistrots, les rades, croisés sur son chemin, il s’y immerge, s’y installe, discute avec les patrons, et les clients, en somme avec tout ceux qui font l’âme de ces endroits. Des lieux mythiques qui pourtant disparaissent peu à peu. À une époque où le virtuel et l’Instagrammable ont pris une place majeure, à une époque où les bars concept foisonnent et se ressemblent tous, Guillaume chine l’authenticité des bistrots de quartier, des rades sans chichis, et l’immortalise dans ses clichés. Une coupelle de cacahuètes partagée, une partie de belotte en cours sur une toile cirée usée, le juke boxe d’antan, les transmissions de matchs animées, l’expresso au petit matin lorsque la ville commence à s’éveiller, le journal déplié, une chips pour le chien, la même boisson commandée depuis des années … Le réconfort des habitudes.
Guillaume capture ces instants comme un hommage à la simplicité. Et lorsqu’on voit les sourires sur le visage de ceux qui viennent ici depuis si longtemps qu’ils font partie du décor, on comprend que ces lieux ne sont pas interchangeables, que les bistrots branchés qui les remplacent peu à peu pourront bien tout miser sur une pseudo déco “authentique”, comment pourrait-on trouver du vrai dans un lieu qui veut faire illusion ? Les rades, eux, ont une âme, ils sont un repère pour les habitués, une maison, un lieu réconfortant, un endroit de rencontres, de répit, de partage et de convivialité. À travers ses différents projets, Guillaume s’intéresse aux communautés du tous-les-jours, aux moments dits “populaires” sous forme d’immersions et de portraits bouleversants de sincérité. En 2015, ce dernier débutait avec sa série “Buvettes”, qui rendait hommage aux snacks, aux buvettes de stade, aux supporters qui se réunissent et aux pros de la frite. S’en est suivi, en 2018 deux autres séries. La première intitulée “Routiers” raconte sous forme de portraits et anecdotes les spots à stop que sont les relais routiers, “où se croisent à la fois ceux qui avalent les kilomètres et ceux qui les nourrissent”. On y rencontre des héros du quotidien, comme Bernard et Isabelle, qui lors du confinement ont dressé une tente devant l’entrée de leur relais avec café chaud à volonté pour les routiers tout en laissant une douche ouverte à l’étage. En ce qui concerne “Rades” dont je te parle précisément dans cet article. Guillaume m’explique :
“Je me suis penché sur ces Rades car j’aime ces lieux qui ont une vraie âme, ces espaces de transition dans une journée et surtout de vies au pluriel, avec des histoires à raconter. Et qui sont des bastions de résistance, car leur nombre chute depuis une cinquantaine d’années, et le confinement ne devrait pas les aider à aller mieux.”
Georgette, Thérèse, Odette et Anne, habituées du Café des Sports de Saint-Étienne. Albert, René et Kiki, joueurs de Rami Ouvrant dès 5h du matin, Le Zorba est (re)connu pour être l’une des adresses d’after de Belleville. En journée il accueille essentiellement des joueurs de tiercé. “Moi j’ai trouvé mon remède contre le Corona : un whisky et la Bible” indique Jean-Pierre, en passant le pas-de-porte du Milk Bar, à Alès
Les Dieux du Rade : un calendrier clin d’œil qui rend hommage aux habitués et patrons de bistrots
Aujourd’hui, Guillaume a visité pas moins de 111 rades, qu’il met à jour sur une map des bars photographiés. En parallèle de sa série, un Calendrier intitulé “Dieux du Rade” a été réalisé en collaboration avec Maxime Gourga (graphiste) et Martin Morales (gestion de projet) pour l’année 2020. Un clin d’œil au fameux calendrier des rugbymen, à la différence qu’on y trouve pour chaque mois un patron ou un habitué de rade, à Paris. Ces derniers se “mettent à nu” à travers quelques phrases dans lesquelles ils confient leur rapport intime à ces endroits comme des repères, où ils se sentent chez eux.
À travers sa série “Rades”, Guillaume Blot livre un merveilleux hommage aux lieux et aux gens, sans fard et sans filtres, dans toute la beauté de leur authenticité.
Christophe, devant le Café Chez Charlette “Je prends mon café à emporter pour pouvoir chiner en même temps au marché d’Aligre” Georges, habitué du Café des Sports de Thouaré-sur-Loire (France), posant avec des œufs qu’il vend pour dépanner Hamida, habitué du Bar Le Lamarck à Paris : “Il y a une faune incroyable qui gravite là” “Phoebe aime bien les chips, mais je ne lui donne pas pour la calmer. Elle est sage, et tu sais pourquoi ? Parce qu’elle est libre” déclare son maître Nour
Photo de couverture : Marc, accoudé au comptoir du Sully, à Paris, un matin de décembre 2019 : “Dans les rades à l’ancienne, bah tu te sens pas tout seul. C’est ce qui me fait venir tous les jours ici prendre mon demi. Voire deux.” livre-t-il. © Guillaume Blot.
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