Parce que novembre est un mois qui n’est pas toujours tendre et que le confinement ça peut vite être pesant, on s’est dit que chaque matin, on allait vous emmener un peu la tête ailleurs. Curiosité, bonne surprise, avancée scientifique, film, musique ou série… Un à un, les membres de l’équipe Pokaa vont vous partager ce qui, confinés comme vous, nous offre des capsules d’évasion dans un monde en pleine contamination. Bonne découverte et à demain !
Je me souviens avec émotion et bienveillance de ma rencontre avec Arno, il y a deux ans, alors que je voyageais sac sur le dos à travers l’Asie du Sud-Est. J’avais eu un coup de cœur pour Pai, petite vallée au creux des montagnes du nord de la Thaïlande, enveloppée par la douceur de vivre. Là-bas, tout invitait à la détente : les soirées autour des feux de camp, le son des guitares et djembés à l’unisson, les gens allongés sur les coussins et les hamacs en bord de rivière.
Un soir alors que je m’apprêtais à retourner à ma guesthouse, j’ai été attirée par la musique qui me parvenait d’un bar ouvert sur l’extérieur. Une foule joyeuse et dansante s’était créée autour de deux garçons qui jouaient. C’est la première fois que je voyais Arno et son ami Quentin. Arno est nantais mais vit depuis 4 ans à Paï, dans la “Black House”, une maison merveilleuse dont la terrasse à 360 degrés offre une vue imprenable sur les plantations de mangues, les rizières et les montagnes environnantes. Un lieu de vie et de partage bouillonnant de créativité, un atelier d’artistes, où j’ai été accueillie quelques jours et qui a vu passer, au fil des années, des personnes de tout horizons.
A l’intérieur de cette Black House, impossible de ne pas être transcendé par les immenses toiles accrochées aux murs, exceptionnelles de technique et de beauté. Au-delà d’être un photographe et musicien de talent, Arno Lafontaine est avant tout un peintre dont les œuvres nous emmènent en voyage dans le temps et dans l’espace. Aujourd’hui à l’heure où la situation nous isole, j’ai envie de partager avec vous toute l’émotion et le sentiment d’évasion que me procurent ses œuvres.
J’ai toujours été sensible à l’art, à la manière dont il traduit et transmet des émotions. Être doué en une chose n’est pas forcément donné à tout le monde et les talents d’Arno, qui apparaissent sous tant de formes artistiques différentes, forcent mon admiration. Quand d’autres rêvaient enfant de devenir pilote, ou footballeur, Arno, lui, aspirait à devenir peintre.
Enfant unique et solitaire, le dessin, la création, l’imagination ont fait partie intégrante de la vie d’Arno. Lors de ses années universitaires, il a intégré une école de design, mais s’est rapidement rendu compte que ce qu’il prenait pour un métier artistique répondait en fait à un cahier des charges, ne laissant pas grande place au style pur. Arno s’est ainsi mis à peindre à côté de son métier de designer industriel, afin de combler sa frustration. Il a fini par ne se consacrer plus qu’à sa passion lorsqu’il est devenu artiste permanent dans plusieurs galeries. Une période difficile financièrement mais épanouissante qui lui a permis de vouer tout son temps à ses toiles.
Il y a 4 ans, Arno débutait sa série de toiles “Saylor !”, dans laquelle il mêle décors floraux et géométriques, feuilles d’or, pigments naturels, oiseaux et femmes au corps lascif, et à la beauté sensuelle assumée. Toutes ses séries avant celle-ci étaient purement décoratives. Créer du beau était alors un but en soi. Mais après avoir passé des années à peaufiner sa technique de façon empirique, presque obsessionnelle et acharnée, Arno a eu la sensation de peindre toujours les mêmes choses. Lorsqu’il fermait les yeux et laissait libre court à sa créativité, il lui apparaissait pourtant des images de fonds luxuriants compliqués et très géométriques entre l’Art nouveau, l’Art Déco et les enchevêtrements élaborés de l’époque empire ou de l’art byzantin. Mais ce fantasme flou lui sembla de prime abord beaucoup trop complexe à réaliser.
C’est dans un hôtel en Thaïlande dans lequel il devait peindre un mur de bibliothèque à la manière d’une porte de temple ancienne, que lui vint l’idée de sa nouvelle série “Saylor!”, fruit de nombreuses recherches. Il me raconte :
“Alors que j’effectuais de rapides recherches pour réaliser cette œuvre, j’ai été époustouflé par la richesse du graphisme traditionnel thaï et par sa similarité avec l’Art Deco. J’avais quasiment terminé la peinture du mur de la bibliothèque, ma copine de l’époque se tenait juste devant, avec en fond les motifs floraux géométriques que je venais de peindre. C’est à cet instant que tout m’est apparu clairement : voilà ce que je voulais faire. J ai commencé à peindre sur une immense toile de 2M20/1M80, ma copine et ses tatouages avec en fond le même motif que pour l’hôtel. J’avais la certitude de commencer quelque chose de nouveau et pour la première fois d’intime. L’idée d’une série complète qui évoluerait avec moi et dans laquelle je m’incluais et représentais tout ce qu’il se passe dans ma tête.”
Une sorte d eurêka donc, pour Arno dont les recherches ont porté leurs fruits et se sont matérialisées visuellement.
Rien que notre rencontre peut en témoigner, Arno est quelqu’un qui donne d’emblée envie d’aller vers lui. Son sourire permanent, sa bonne humeur contagieuse, son ouverture d’esprit, le rendent accessible. On sent qu’il crée pour partager, et se nourrit des hasards, des croisements, des moments inattendus et aussi des autres.
“Chaque toile s’inspire d’une personne rencontrée, d’un moment de ma vie, que je représente de manière stylisée. Mes œuvres mixent tous les codes de mes voyages, de mes rencontres…“
Une fois que l’idée de la série “Saylor !” est née, il se lance dans une recherche permanente et rencontre notamment des personnes qui lui font visiter les plus beaux temples d’Asie. Mis en contact avec des moines et des artistes, il reçoit régulièrement des exemples de fonds aux motifs floraux ou ornés d’animaux, qu’il s’approprie et stylise à sa manière. Ses œuvres mixant des codes de culture, des représentations et des époques, il évite soigneusement l’aspect ou la représentation religieuse qui n’a pas sa place dans sa peinture.
Depuis plusieurs mois, suite à l’épidémie du Covid, Arno se trouve coincé à Nantes, et ne peut rejoindre sa maison à Pai pour le moment. Comme beaucoup d’artistes, il subit cette crise de plein fouet avec l’annulation de tous les événements, dont ses expos . Il en faudrait plus pour décourager l’artiste touche à tout, qui profite de cette période pour s’isoler, faire de la musique, peindre de nouvelles toiles somptueuses et nous offrir encore matière à rêver et à nous évader.