Depuis le 25 septembre dernier, la municipalité s’est dotée d’un périmètre de sauvegarde et d’un droit de préemption sur l’installation des commerces à Strasbourg. Une nécessité alors que le centre-ville semble perdre chaque jour un peu plus de sa singularité. Mais ce sentiment est-il étayé par des données factuelles ? Petite plongée dans les stats, pour mieux comprendre un lieu stratégique de la consommation strasbourgeoise.
Un centre-ville strasbourgeois sans âme et à la merci des grands groupes ? L’installation récente du Foot Locker dans les 700 m2 de l’ancienne brasserie Schutzenberger est le dernier exemple d’une certaine prise de pouvoir des marques nationales sur les plus petites, davantage en souffrance.
C’est pourquoi l’adoption par le conseil municipal d’un moyen d’action pour protéger les commerces indépendants des grandes enseignes est une bonne nouvelle. À certains moments, la municipalité pourra donc agir dans la préservation d’une identité et singularité du centre-ville.
Car celui-ci représente un lieu symbolique de la consommation strasbourgeoise, sujet complexe et ouvert à toutes les hypothèses et interprétations. Un lieu stratégique donc, qu’on a essayé de mieux comprendre, en nous plongeant dans le dernier relevé commandé à AID Observatoire à l’été 2021 par la Ville, disponible ici à partir de la page 1054.
Taux de vacance, types de commerces et répartition indépendants/grandes marques… c’est parti pour les chiffres les plus chauds de ta ville !
Quels types de commerces trouve-t-on dans le centre-ville de Strasbourg ?
Dans ce centre-ville élargi, circulent quotidiennement des touristes, mais également 38.500 habitant(e)s, au profil sociologique particulier. D’un côté, 53% des résident(e)s ont moins de 30 ans, de l’autre, 43% de la population active du secteur a des revenus aisés. Une multitude de consommatrices et consommateurs à satisfaire pour les 2.462 commerces de la zone (hors Place des Halles).
Dans la répartition, on retrouve les équipements de la personne – soit les vêtements, ndlr – qui représentent 15% des commerces de la ville, ainsi que les services non commerciaux – les professions libérales notamment, ndlr – avec 12%. La culture et les loisirs arrivent à 6%, un chiffre en augmentation, et qui devrait encore croître dans les années à venir.
Néanmoins, pas de surprises : l’offre commerciale du centre-ville de Strasbourg est dominée par plus de 600 cafés, hôtels et restaurants (CHR), représentant 27% du total. Cette zone a même gagné 13 commerces supplémentaires par rapport à 2019. Si l’on s’intéresse plus en détail à la Grande-Île, les chiffres sont encore plus parlants : 31% des commerces sont des CHR, soit près d’un sur trois.
Parmi ces plus de 600 établissements, une grande majorité est composée de restaurants/brasseries dits « traditionnels » (52%), suivie de la restauration rapide avec 17%. Cette dernière voit sa part augmenter chaque année, composant notamment 53% (18/34) de l’offre du secteur gare.
Elle s’implante également de plus en plus en hyper centre-ville rue des Grandes-Arcades, avec aucune proposition de nourriture autre que de la restauration rapide. Un vrai point de vigilance que la municipalité se doit de garder en tête.
Dynamique ou exsangue : comment est votre centre-ville ?
Dans le même temps, le centre-ville est considéré comme dynamique, notamment grâce à un taux de commercialité élevé (42%) – comprenant les activités alimentaires, équipements de la personne, de la maison et culture/loisirs par rapport à l’ensemble des activités présentes, ndlr. Un pourcentage qui monte même à 51% pour la Grande-Île. Il n’est donc pas étonnant que l’on trouve 8,2 activités commerciales pour 1.000 habitants à Strasbourg.
Un centre-ville élargi qui obéit à ses propres logiques, que l’on pourrait résumer ainsi : niveau restauration, les abords de la gare, la Petite France et le quartier de la cathédrale sont un peu les spots où se poser pour tailler un bout de gras. Si l’on recherche davantage des services, il faut se diriger en partie vers le nord et la rue du Faubourg-de-Pierre et autour de la Place des Halles.
Enfin, pour s’habiller, l’offre est très concentrée au sein du cœur marchand, formé par les rues de la Haute-Montée, des Grandes-Arcades, du Dôme, des Hallebardes et la Place Kléber. Un secteur en pleine mutation avec le départ d’Adidas, les fermetures de Kohler-Rehm et du Printemps, le déménagement d’Hermès vers Broglie et les arrivées de Primark et plus récemment de Foot Locker. À coup sûr le coin à suivre dans les prochaines années.
Des chiffres qui semblent aller en contradiction avec des enseignes qui ferment ou des lieux inoccupés, érigés comme le signe d’une attractivité qui se meurt et des carences de l’exécutif. Néanmoins, si l’on en croit le dernier relevé commandé à AID, les locaux vides représentent 7,7% de l’ensemble, soit 189 emplacements. Un taux relativement faible, même s’il cache certaines clés d’analyse assez intéressantes.
Déjà, il est en augmentation par rapport à 2019, où il s’établissait à 5,6%, avec 49 nouveaux locaux vides. Ensuite, l’équipement à la personne a perdu 26 commerces entre 2019 et 2021, conséquence de l’essor de l’e-commerce. Enfin, 69 locaux vacants en 2019 le sont toujours deux ans plus tard, ce qui peut s’expliquer par le coût (exorbitant) des loyers pratiqués.
Mais surtout, et c’est là le point d’attention fondamental sur le sujet de la vacance, la dynamique des locaux inutilisés s’est reportée dans l’hypercentre strasbourgeois avec 44 locaux vacants, n’épargnant pas la place Kléber (alors qu’elle était auparavant concentrée sur le secteur gare). Un mouvement de fond qui risque de s’accentuer encore davantage dans les prochaines années.
Indépendants vs grandes enseignes : qui domine ?
Pour terminer, le droit de sauvegarde et de préemption est souvent mis en avant, et notamment dans nos colonnes, comme un moyen de protéger les indépendants – activités qui ne sont ni des enseignes nationales ni des franchisées, ndlr. Pourtant, et contrairement à ce qu’on pourrait penser au premier abord, la part des indépendants représente près de 75% du total des commerces du centre-ville.
Chez eux, on retrouve majoritairement des cafés, hôtels et restaurants (36%), alors que les marques nationales sont composées en partie d’équipements à la personne (31%), et ce malgré le fait qu’il y a 24 commerces en moins dans ce secteur entre 2019 et 2021. Par ailleurs, en 2021, on dénombre 16 affaires indépendantes de plus, et 16 grandes enseignes nationales en moins. 1 point pour les indépendants.
Néanmoins, comme toujours, ces chiffres et tendances en masquent d’autres. Dans ce cas précis, cela cache le fait que les grandes enseignes occupent en immense majorité les emplacements stratégiques au sein du coeur marchant de la Grande-Île évoqué plus haut, leur offrant d’importants flux de passage et ainsi une forte visibilité.
Les affaires indépendantes se retrouvent alors « reléguées » plus loin, au nord du centre-ville ou à la Krutenau. Bien plus nombreuses certes, mais également moins visibles.
Si tous ces chiffres peuvent donner quelque peu le tournis, ils dépeignent un centre-ville strasbourgeoise complexe, où le taux de vacance est encore bas, mais en augmentation et en mutation vers des endroits plus marqués. Où les indépendants sont largement plus présents que les grandes enseignes, mais moins visibles. Et où un risque fort existe de voir dans quelques années une surreprésentation des cafés, hôtels et restaurants, et particulièrement de la restauration rapide. À la Ville d’exercer son droit de préemption avec justesse, pour éviter un centre-ville réellement standardisé entre fast foods et locaux vides.
Est ce que FHB et Diabolo poivre comptent comme indépendants ? Il serait intéressant de connaître le pourcentage de CHR tenus par ces 2 groupes.
Bonjour,
C’est une bonne question. Sauf indication contraire, ils sont considérés comme des indépendants, puisqu’ils ne sont ni une enseigne nationale, ni des établissements franchisés. Après, il y a en tout 20 CHR appartenant aux deux groupes (11 FHB et 9 Diabolo Poivre si on se réfère à leurs informations) ce qui représente environ 3 % du total du secteur à Strasbourg.
Bonne journée 🙂
Nicolas
Excellent article, comme toujours avec ces études de chiffres (continuez, Kaspar !).
À propos des vacances, ces chiffres datent de 2021…
Depuis, en cette fin 2023, on pourrait rajouter de nombreux rectangles noirs, notamment dans la sinistrée rue de la Mésange… Ces vitrines borgnes, c’est d’un triste !
L’article est très intéressant. Je me permets juste un petit commentaire.
– Il est un peu dommage d’opposer grandes enseignes et indépendants. En effet les grandes enseignes sont aussi moteur pour faire venir une clientèle extérieure à la ville qui bénéficiera à tous les commerces.
– Depuis la période covid j’ai le sentiment qu’il y a beaucoup plus de monde dans les rues du centre ville. Je n’ai pas de preuves chiffrées pour l’affirmer c’est plutôt un ressenti.
Bonjour,
Merci de votre commentaire. Concernant l’opposition indépendant contre grandes enseignes, au-delà du titre qui obéit à d’autres logiques, le corps de texte avait pour objectif de montrer que finalement, il n’y avait “pas tant” de grandes enseignes que cela à Strasbourg, même si celles-ci se placent stratégiquement sur des lieux de passage, créant un effet de loupe qui font penser qu’il y en a bien plus. C’était également pour montrer que les indépendants ont encore toute leur place à Strasbourg, et heureusement.
Bonne journée à vous 🙂
Nicolas
Si on comptabilisait les RBNB dans la catégorie “Hotels” cela augmenterait encore fortement la part des CHR dans le centre-ville. Ce sont les RBNB qui contribuent à faire croître le nombre de cafés et restaurants car, une fois que vous avez le gîte, il vous manque le couvert.
une espace insécable après les chiffres et avant les pourcentages, pour ne pas avoir un
“24
commerces”
“13
grandes enseignes” ou le chiffre est coupé des mots qu’il désigne par le passage de ligne
Bonjour, merci pour ce retour ! Oui malheureusement l’interface du site ne prend pas en compte les insécables, mais pour la prochaine mise à jour on espère 😉
Il serait intéressant de savoir ce que signifie le titre “indépendant” car à Strasbourg une grande partie des bars que l’article qualifie d’indépendants font en réalité partie d’une chaîne ou d’un groupe