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Strasbourg : la flèche amère de Cupidon

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Brian, c’est le prénom que m’ont donné mes parents suite à l’obsession de mon père pour le film des Monty Python « La vie de Brian » sorti en 1979.

J’en arrive parfois à me demander ce qu’il se serait passé s’il avait été fan de Rambo ou de La Guerre des étoiles. Imaginez la scène, le jour de mon mariage. Ça aurait eu de la gueule quand même. Vêtu d’un costume noir, d’une chemise blanche et d’un nœud-papillon, tremblant à l’idée de passer le reste de ma vie avec une Italienne rencontrée sur Tinder, un soir de février 2019, alors qu’elle finalisait son master en archéologie à Strasbourg dans le cadre du programme Erasmus.

Je me serais avancé d’un pas hésitant vers l’autel de l’église, sous le regard compatissant de ma mère et les menaces à peine voilées d’un beau-père napolitain qui aurait préféré que sa fille s’engage avec le sosie d’Al Pacino ou de Joe Pesci, un ténébreux charismatique qui dézingue du narcotrafiquant à coups de marteau, plutôt qu’avec un géant maigrichon à l’identité douteuse.

« Monsieur John, Anakin, Chewbacca, voulez-vous épouser Madame Francesca, Emilia, Maria ». J’en rigole, mais cette discussion sur le mariage, tout comme le fait de ne pas avoir d’enfant à presque trente ans, revient à chaque repas dominical chez mes parents. Et aujourd’hui encore, en cette Saint-Valentin, je n’y échapperai pas.

Mon père débouchonne déjà une bouteille de Saint-Émilion alors que ma mère s’active en cuisine sur un gratin dauphinois à faire pâlir la Fédération française de cardiologie. Vu sa consistance crémeuse plus proche d’un kouign-amann que d’un plat à base de pommes de terre, j’annonce un AVC en dessert. Le vin coule dans une carafe en cristal afin de décanter et de se mettre à température. Sur la vieille platine Thorens, un disque de Pink Floyd tourne comme un frisbee traverse le ciel nuageux au ralenti. David Gilmour fredonne Wish you were here entre deux grésillements discrets. 

Dehors, le vent secoue une mer de neige dont les vagues cristallines se posent sur les branches des marronniers endoloris qui surveillent la Krutenau, pendant qu’un fil doré impertinent transperce la salle à manger pour se poser sur le pelage noir du chien qui rêve en boule sur le canapé.

«  À table ! »

Dès la première bouchée, mon père lance les hostilités sans s’en rendre compte. « C’est quand que tu nous ramènes une copine ? Faut te bouger un peu. Je n’ai pas envie de devenir grand-père quand je mangerai les pissenlits par la racine. »

Ces pressions familiales sont aussi inutiles que La manif pour tous, un discours de Frigide Barjot, de l’ananas sur une pizza ou le dernier épisode de Game of Thrones. Personnellement, je me suis libéré des préceptes qui dictent le calendrier de la vie amoureuse d’un presque trentenaire en 2021 : un premier baiser à 14 ans, une première relation sexuelle à 16 ans, les études et les flirts jusqu’à 25 ans, un mariage entre 26 et 28 ans, un premier bébé à 30 ans. Les années passent et la date limite est presque dépassée, comme si j’étais un yaourt qu’on benne alors qu’il n’est pas encore périmé. Nous ne sommes plus en 1974 où l’on devenait parents à 24 ans en moyenne, Giscard ne gouverne plus la France et Björn Borg ne règne plus sur le tennis mondial depuis bien longtemps.

Jusqu’à il y a quelques mois encore, je faisais ce rêve où j’étais systématiquement en retard sur tout. J’étais en panique et je courais désespérément après le temps, que ce soit pour un entretien d’embauche, un rendez-vous amoureux ou la prise d’un train pour partir en vacances. Inconsciemment, j’ai toujours voulu être à l’heure de mon existence, voir en avance, pour ne pas me sentir dépassé, pour ne pas me tromper, pour ne pas souffrir et surtout pour ne pas perdre de temps.

Mais je crois que dans la vie, chaque chose arrive à la bonne période, souvent à l’improviste, comme une lettre qui tombe dans la mauvaise boîte aux lettres, et que certains ont le sentiment d’être heureux  plus vite parce qu’ils ont compris que rien ne se passe jamais comme prévu. Mon timing a toujours été décalé. Je voulais rattraper les choses au lieu de les laisser venir. Je l’accepte maintenant et je profite au maximum des moments de bonheur qui se présentent à moi, sans calcul, sans stratégie.

Se forcer à se conformer aux dictats sociaux était devenu un jeu trop dangereux, une espèce de schizophrénie où la voix de la société prenait trop de place dans ma tête et où ma conscience se perdait trop souvent dans une flaque de gin tonic. Se mettre en couple juste pour ne pas être seul ne fera pas avancer le problème. Je vois certains de mes amis passer d’une conquête à une autre pour combler quelque chose, un vide, comme si être seul face à soi-même était une torture, une souffrance. 

Bien entendu que je souhaite rencontrer l’âme sœur, lui gratter le dos et me réveiller avec son haleine de koala en plein visage, mais je ne vois plus l’intérêt de cogiter sur un modèle qui n’est peut-être tout simplement pas le mien et je suis fier d’être celui que je suis devenu.

Un mec banal à la vie banale. Je mens quand on me demande mon âge. Je chausse du 44. J’ai le vertige. Je chante du Céline Dion sous la douche. J’aime la polenta et les yeux d’Anya Taylor-Joy . Je suis célibataire. Je n’ai pas d’enfants. Ma vie ressemble davantage à un épisode des Tuche sous-titré en alsacien qu’à un dessin-animé de Miyasaki et ça me va très bien comme ça.

Et puis je crois que je n’ai pas le désir d’élever quelqu’un tout simplement, tout comme certaines femmes n’ont pas la fibre maternelle. Avoir des enfants ne fera pas plus de moi un père, qu’avoir un piano ne fera de moi un pianiste. Et quand je vois mes amis(es) parents en PLS, des cernes jusqu’au tibia et du vomi sur l’épaule à cause d’un rototo qui a mal tourné me dire « Ça change la vie mais franchement c’est la plus belle chose qui me soit arrivé », permettez-moi d’en douter.

Peut-être tout simplement aussi que je n’en veux pas parce que je tiens à préserver ma santé mentale et physique. J’ai déjà du mal à être sociable avec des adultes alors avec un enfant qui couine à cinq heures, un dimanche matin, parce qu’il exige un bol de Chocopops dont il mettra la moitié sur le carrelage ou sur son t-shirt Snoopy fraîchement lavé, très peu pour moi. L’enfant roi, hors de question. La seule personne qui obtient le titre de roi chez moi, c’est celle qui trouve la fève dans la galette et qui a les mêmes dents que Stéphane Bern.  J’ajoute que le ministère des Solidarités et de la Santé, estime à 9.000 euros en moyenne le coût annuel d’un enfant soit une perte sèche pour les bars strasbourgeois (et pour mon foie) de 1 636 pintes de Picon.

Avoir des enfants c’est une calamité pour certains. Ne pas en avoir, c’est une malédiction pour d’autres. Il n y a pas de bons ou de mauvais choix de vie. Il y a un entre-deux jonché d’orties sur lequel nous essayons de nous frayer un chemin pieds-nus.

Tout ça pour dire : ces pressions commencent à me gonfler. J’ai l’impression que si le jour de mes trente ans, je ne suis ni casé, ni marié, ni parent, une guillotine invisible s’abattra instantanément sur moi pour me trancher la tête et m’envoyer rejoindre David Bowie et toute une compagnie de mecs bizarres au paradis. Mon seul but dans la vie, d’après les experts en réussite sociale de BFMTV et Christine Boutin, serait d’avoir une descendance, d’acheter un monospace, un pavillon avec un jardin et un labrador trop mignon qui ramène la balle une fois sur deux.

 J’ai déjà un chat. J’ai réussi la moitié du chemin non ?

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Commentaires (8)

    • Merci à toi! Même périmé, un yaourt est consommable (date limite de consommation optimale!)

  1. Ah, ce que j’aurais apprécié avoir le talent pour écrire cet article qui me ressemble un peu! La seule manière de montrer mon appréciation est de partager fièrement sur mon mur Facebook comme une femme qui prône son indépendance et son recul sur sa vie 😁

  2. Ton texte est bien tourné et oui la pression est pesante….par contre le raccourci femme = fibre maternelle, bif bof. C’est une construction sociale, l’instinct dit maternel. Une femme n’est pas défini par sa biologie, ni par ce qu’elle en fait.

  3. Mais ouiiiiiiii. Vis la vie comme elle se présente.
    C’est une femme mariée à 25 ans, maman à 30 ans, et divorcée à 38 ans qui te le dis.
    On en parle de ceux là ? 😉
    Continue seulement à écrire tes humeurs, pour le plaisir de tous !

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