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Strasbourg : l’incroyable Knackman

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Ce récit est une œuvre de pure fiction, toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

« Avec le recul, tout ça était tellement prévisible » se dit Lucas, un masque sur le visage, un bonnet et une capuche recouvrant sa tête. Le tram A tangue entre la Place de l’étoile et celle de l’Homme de fer où il descend en rasant les murs alors que le couvre-feu vient d’être annoncé à Strasbourg. La ville est déserte et seuls les lampadaires ambiancent les rues. Mieux vaut ne pas s’y aventurer après dix-huit heures sous peine de prendre une amende salée pour bien débuter cette nouvelle année.

Parlons-en d’ailleurs de cette nouvelle année.

Elle a plutôt bien commencé pour Lucas, convié par son cousin à une fête clandestine dans un entrepôt du Port du Rhin le soir de la Saint – Sylvestre. L’invitation circula discrètement par mail entre initiés. Vingt euros l’entrée avec l’obligation d’apporter de quoi boire et manger. Une bouteille de Jack, du taboulé et deux paquets de chips dans un sac à dos, il s’est dirigé vers le quartier industriel proche de Kehl, se préparant à un éventuel contrôle de police, mais rien. Sa carte d’identité resta bien au chaud dans la poche intérieure de sa doudoune Northface. Pas de bavure. Pas de tir dans le dos ou d’œil arraché par un flash-ball kamikaze. Au loin, les pétards plus discrets que les autres années annonçaient néanmoins la colère de ceux qui survivent durant cette période trouble où plus personne ne sait s’il faut être optimiste ou cramer des bagnoles. Il y eut bien le reflet d’un gyrophare bleu, mais uniquement pour annoncer une ambulance pressée à destination de la Clinique Rhéna. À l’intérieur : un AVC, une crise cardiaque, un bras déchiqueté, une femme battue, un truc grave dont on ne parlera malheureusement que quelques minutes lundi, autour de la machine à café.

Le briquet a balancé une étincelle discrète pour rivaliser avec une fusée arrogante qui gicla dans les entrailles du ciel. Sa roulée fuma avec difficulté, laissant une luciole de braise orpheline briser la nuit pendant qu’il crachait ses poumons sur le trottoir dans une succession de mollards. Un lama-teufeur-revanchard après deux mois de galère entre un confinement pesant et la rupture avec celle qui partageait son studio depuis presque deux ans. Il était temps de monter le son et de faire un doigt d’honneur à cette année de merde. Il ne validera pas sa licence d’histoire, il est en est conscient, alors autant cramer la vie comme une barrette de shit ce soir. D’ailleurs qu’est-ce qu’il en ferait de cette putain de licence, à part tenter d’enseigner à une classe surchargée de troisième qui s’en tape de De Gaulle et de la Shoah ou pointer à Pôle Emploi pour se reconvertir dans le bâtiment comme la moitié de ses potes en galère. Il a vu l’état des genoux de son père après quarante ans comme carreleur et il a senti la détresse dans la voix chargée d’anti-dépresseurs de son voisin professeur d’allemand. Il avisera comme il l’a toujours fait, malgré les craintes de sa mère qui se voyait déjà grand-mère, parce qu’elle l’adorait la petite Coralie et qu’elle ne comprend toujours pas pourquoi elle a laissé son fils prodigue sur le bord de la route des sentiments.

D’un pas rapide, il a traversé la voie ferrée, et a observé quelques ombres méfiantes allant dans la même direction que lui, à une centaine de mètres de là. Il fut rassuré lorsque l’une d’entre-elles lui proposa de tirer sur son joint dans un rire dégueulasse, presque satanique,  une imitation de Jim Carrey sans talent. Il inspira profondément puis expira de ces narines gelées un nuage résineux blanchâtre qui se perdit entre les étoiles. Vingt-deux heures. Il est temps de sortir de cette forêt de sapins artificiels et de s’activer. Une dernière gorgée de whisky et le voilà déjà devant l’entrée du bâtiment où des basses puissantes font trembler son torse de moineau qu’il s’obstine à faire gonfler à coup de poudre protéinée miraculeuse et de tutos sur YouTube. Un pseudo-videur encaisse son billet, fouille son sac et lui met un tampon Mickey sur l’avant-bras. A l’intérieur, c’est déjà le feu, comme s’il fallait rattraper le temps perdu, comme si au premier rayon de soleil les corps brûlants se transformaient en poussière. Pas le temps de tergiverser. Un verre suspect circule de bouche en bouche. Du soda et un alcool à faire reluire un sous-marin russe. L’ivresse s’empare des cœurs. La faim aussi. Entre deux mouvements de danse saccadés, un morceau de pain glisse dans son gosier, suivi d’une knack rosâtre en PLS dans un liquide à faire pâlir l’Institut Pasteur.

Il dansera jusqu’à l’épuisement, transcendé par la folie du moment, par le sourire de la fille aux boucles rousses aussi qui lui a envoyé des sms enflammés avec les yeux. À un moment, il est tombé sur quelqu’un ou quelque chose et s’est relevé, trempé, une odeur de bière imprégnant son t-shirt et puis se fut l’aube, déjà. Il a titubé jusqu’à la porte rouillée où le soleil déjà levé lui souhaita une bonne journée via des UV réconfortants. 1/1/2021. Six heures et deux minutes. Dans un effort surhumain, il se jeta sur l’un des fauteuils du tram et s’endormit avant d’être réveillé par un contrôleur de la CTS qui lui somma de présenter son titre de transport. Strasbourg se réveilla avec la gueule de bois, des carcasses de voitures en guise de petit-déjeuner.

Il a monté tant bien que mal les dernières marches de son immeuble et enfonça la clé dans la serrure de son appartement après une dizaine d’essais infructueux. Au pied de son lit, un jean crasseux, une paire de Stan Smith dans un état pitoyable, un caleçon en boule et son sac à dos où des miettes de chips partouzent dans un bain d’huile de tournesol. Lui est nu, à moitié recouvert d’un drap encore imprégné du parfum de Coralie.

 Il a ronflé jusqu’à 16 heures, sortit de son sommeil par une douleur lancinante à l’abdomen. « Certainement l’abus d’hier » pensa-t-il, mais après plusieurs heures, il constata que de minuscules points rouges apparurent sur l’ensemble de son corps. En les examinant, il se demanda si ce n’était pas une réaction allergique ou l’une des conséquences du coronavirus. Netflix lui permit de se changer les idées puis quelques parties endiablées de Mario Kart avec son filleul purent l’apaiser, mais les démangeaisons se firent de plus en plus oppressantes, au point d’avaler un Doliprane et de se coucher en début de soirée, en sueur, comme un toxico en manque. Son sommeil fut agité par des cauchemars où la vision barbare d’abattoirs et de chairs à saucisse fut prédominante. Il se réveilla en hurlant vers cinq heures du matin, fiévreux, à bout de souffle, dans l’obscurité de sa chambre. Avançant à tâtons, il se dirigea instinctivement vers la salle de bain, la vessie gonflée depuis plusieurs heures. Il s’assit, laissant l’urine tiède dissoudre une pastille à la lavande puis tira la chasse d’eau d’un coup sec.

La lumière s’alluma subitement afin qu’il puisse se laver les mains au lavabo où un rasoir usagé et un coton-tige se battaient à mort. Il leva la tête pour la contempler dans le miroir puis fit un bond en arrière, gémissant de stupéfaction.

« Bordel de merde. Mais c’est quoi ce truc ? ».

Il ne reconnaissait plus son propre reflet, la peau lisse presque rouge, suintant de graisse, quelque chose qu’il n’avait jamais vu, une saucisse avec un regard d’être humain, de la charcuterie qui parle, un lointain souvenir d’Elephant Man , ce film traumatisant qu’il visionna en douce avec son frère alors que leurs parents étaient partis en week-end.

« Je ne suis pas une saucisse. Je ne suis pas un animal. Je ne suis pas une bête de foire, une attraction ou le sujet d’un film de David Lynch. Je suis Lucas. »

Il se mit à pleurer d’un seul coup, à genoux sur le carrelage froid de la salle de bain, la tête entre les mains, sentant encore davantage cette odeur morbide de viande se dégageant de sa carcasse. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase de l’absurde.

« Que vais-je faire ? Où aller ? Je ne prendrai pas le risque d’aller voir un médecin si c’est pour finir comme un singe au centre de primatologie de Niederhausbergen, charcuté au nom de la recherche scientifique. Je ne peux faire confiance à personne, surtout pas à Coralie. »

Des larmes tombèrent sur ses cuisses, accompagnées d’un rayon de soleil qui s’infiltra entre les volets mal fermés. Là où le soleil se posa, son apparence devint habituelle. Il se releva, surpris, et leva la main pour qu’elle sente également la chaleur de l’astre. Là aussi, il ne put que constater que la difformité de ses doigts disparut en quelques secondes. Au bout de quelques heures au contact de la lumière, son être tout entier bénéficia de ce miracle. Comme un vampire cherche la nuit, lui cherche le jour, son antidote.

La journée passa. Il se mit à réfléchir, à élaborer un scénario dingue digne de Marvel sans vraiment y croire, pour enfin parvenir à une vérité qui se confirma jour après jour et surtout nuit après nuit. Le soir du 31 décembre, il était sans aucun doute porteur asymptomatique du coronavirus et cette saucisse visqueuse qu’il mangea d’un trait devait certainement être porteuse de la listériose. Le virus se servit de cette bactérie pour muter et se diffuser dans chacune de ses cellules, lui donnant cette apparence nocturne si particulière.

Les premières nuits vécues dans la claustration de son domicile furent pénibles, ses amis s’inquiétèrent de ne pas le voir en soirée. Il inventa toutes sortes d’excuses pour ne les rencontrer qu’en journée et à force de patience, d’attention, il apprit à faire de sa faiblesse une force, de se tirer de sa carapace de mutisme et de douleur morale. Lucas dévoilera dès lors des trésors d’intelligence, de sensibilité que lui-même niait, confronté au regard d’une société cruelle peuplée de gens « normaux ». Il se prit d’affection pour sa ville, pour les nantis de l’obscurité qu’ils jugeaient avant, ceux qui font ce qu’ils peuvent pour dormir à l’abri des regards, pour tenir jusqu’au petit matin, seuls, avachis sur des cartons, sur une bouche d’aération qui souffle un peu de chaleur. Derrière les murs de la rue, il tendit sa main, dissimulée sous une couche de vêtements afin de ne pas apeurer ses interlocuteurs. Il se fit des amis(es) sous la lune, au hasard des rencontres, piétinant la neige et escaladant la cathédrale jusqu’à son sommet avec un souffle nouveau et une confiance inédite en l’avenir.

De là-haut, il est quelqu’un d’autre. Le vent caresse son visage dans ce voyage immobile. Les gargouilles l’accompagnent et le soutiennent dans son projet de justice. Strasbourg prend des airs de Gotham City ou de Metropolis. Désormais, notre ville a un protecteur masqué qui fait saliver les chats et bander les charcutiers certes, certes, mais qui veille sur nous, prêt à sacrifier ses boyaux pour faire respecter l’ordre et la justice. 

Ceci n’est qu’une première étape dans l’histoire de la  Saucisse League. D’autres créatures verront le jour à force de jouer au petit chimiste avec notre écosystème. Dans les prochains mois, ne soyez pas étonnés de lire dans les journaux les interventions héroïques d’une chipolata moulée dans une tenue noire en latex ou d’un cervelas en collant survolant la Krutenau le poing levé.

Après V pour Vendetta, voici venu le temps de K pour Knackman.

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