Jeanne Barseghian prendra officiellement ses fonctions ce samedi 4 juillet. La nouvelle maire de Strasbourg présidera son premier conseil municipal et donnera le ton pour l’ensemble de son mandat. Et pour l’écologiste, il s’agira évidemment de placer l’environnement au cœur des priorités de la Ville, notamment en commençant par déclarer Strasbourg en “état d’urgence climatique”. Mais qu’est-ce que ça signifie réellement et quels sont les enjeux d’une telle décision ?
Dans une interview accordée aux DNA le 29 juin dernier, Jeanne Barseghian précise qu’elle déclarera dès ce samedi [nldr. lors du conseil municipal] Strasbourg en “état d’urgence climatique”. Un acte phare, qui marquera le début de son mandat. Et la ville de Strasbourg ne sera pas la première à déclarer l’état d’urgence climatique. D’autres villes comme Paris, Montpellier, Madrid, Cologne, New-York ou encore le Parlement européen, français, canadien ou irlandais, et même des universités, ont déjà sauté le pas. Mais si de plus en plus d’institutions mettent en avant et revendiquent publiquement cette prise de position, difficile de saisir les conséquences concrètes que cela peut avoir à l’échelle d’un pays ou bien d’une ville.
Régime d’État d’urgence ≠ état d’urgence climatique
Après ces mois de crise sanitaire, la notion d’état d’urgence fait, pour beaucoup, écho aux mesures exceptionnelles adoptées pour lutter efficacement et rapidement contre le Covid-19. Le 23 mars dernier, c’est un état d’urgence sanitaire qui a ainsi été déclaré. Entré en vigueur dès le lendemain et prolongé jusqu’au 10 juillet 2020, il a permis de mettre en place, par décret, la réglementation des déplacements de la population, la limitation des rassemblements, les régimes de quarantaine et d’isolement ou encore la fermeture de certains établissements. Par le passé, d’autres événements, d’une tout autre nature ont justifié le placement du pays en état d’urgence comme les attentats de Paris du 13 novembre 2015. À l’époque, l’état d’urgence avait été prolongé jusqu’en novembre 2017 et avait notamment permis d’assouplir les motifs de perquisition dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
L’état d’urgence est donc une mesure exceptionnelle encadrée par la loi n°55-385 du 3 avril 1955, qui peut être déclaré par décret en Conseil des ministres. Plus précisément : “L’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, des départements d’outre-mer, des collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.” (Article 1 modifié par LOI n°2011-525 du 17 mai 2011 – art. 176). Une fois déclaré, l’état d’urgence permet de confier temporairement davantage de pouvoir au préfet ou au ministre de l’Intérieur et de restreindre certaines libertés publiques ou individuelles comme la réquisition de personnes ou de moyen privés, l’autorisation des perquisitions administratives, la fermeture de certains lieux, l’interdiction de certains déplacements ou rassemblements, etc.
L’État d’urgence que nous avons connu (et vivons encore actuellement) et l’état d’urgence climatique cité par de nombreuses institutions n’ont donc pas de rapport. Si la formulation est la même, les réalités sont différentes. La première est un régime juridique concret tandis que la seconde est une déclaration symbolique, même si elle peut, par la suite être à l’origine de plusieurs mesures concrètes. “L’État d’urgence (notamment pour lutter contre le terrorisme) est prévu par la loi du 3 avril 1955, comme l’État d’urgence sanitaire a été introduit récemment dans notre ordre juridique par le législateur (avec une codification de certaines règles au sein du Code de la santé publique)… Pour cet “état d’urgence climatique », il n’existe pas de régime juridique spécifique en tant que tel… On reste vraiment sur du déclaratif au niveau d’une collectivité territoriale qui prend acte d’un problème et devra lutter contre celui-ci par des mesures dans le cadre des compétences que le Code général des collectivités territoriales encadre.” confirme Vincent Doebelin, doctorant en droit public et chargé d’enseignement à l’Université de Haute-Alsace.
Une expression populaire, mais sans véritables conséquences juridiques
Si “l’état d’urgence climatique” n’a pas les mêmes conséquences juridiques que celles associées à la loi du 3 avril 1955, alors à quoi sert-il et pourquoi le déclarer ?
Et bien s’il ne constitue aucune obligation juridique, sa portée est en fait hautement symbolique. Darebin, en Australie a été la première ville à déclarer l’état d’urgence climatique en décembre 2016. Le conseil municipal a adopté une motion précisant que la ville était : “en état d’urgence climatique qui requiert une action urgente à tous les niveaux du gouvernement, y compris dans les conseils locaux.” (disponible à la page 46 du compte-rendu.) Une décision qui fait suite aux mobilisations de groupes écologistes.
Depuis, d’autres institutions ont suivi le mouvement comme le Parlement européen en juin 2019, le parlement britannique, canadien ou argentin, mais aussi des villes comme Barcelone, Milan, Naples, Karlsruhe, Cologne, New-York ou encore Paris en juillet 2019. Dans le Grand Est, Mulhouse a également adopté le 9 mai 2019 en conseil municipal une motion pour la proclamation de l’état d’urgence climatique : “Le changement climatique se fera également sentir en Alsace, par exemple, l’agriculture et le tourisme d’hiver seront directement et durablement affectés. Le changement climatique n’est donc pas simplement un problème de climat : c’est un problème d’économie, de sécurité, de santé, de bien-être des animaux et de paix. C’est pourquoi le Conseil municipal de la Ville de Mulhouse : déclare que l’état d’urgence climatique, reconnaissant que l’atténuation des effets du changement climatique et ses graves conséquences, est une tâche de la plus haute priorité, […]” motion disponible page 57 du compte-rendu.
Mais dans les faits, ces décisions n’impliquent pas forcément de conséquences concrètes, comme l’explique Vincent Doebelin : “En réalité, au niveau des collectivités territoriales, cela se traduit par l’adoption d’une motion par le conseil municipal (les élus votent ou non en faveur de celle-ci)… Les conséquences juridiques directes sont assez faibles… Disons que la collectivité acte ainsi une déclaration, une protestation sur un sujet et sa volonté d’intervenir en la matière. Les collectivités le font pour diverses raisons : lutte contre les violences à l’encontre des pompiers, fermeture d’industrie ou de bureaux de poste etc… Pour l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique, cette motion devra être suivie d’interventions municipales dans le cadre des compétences de la ville de Strasbourg et de l’Eurométropole (par exemple : végétalisation des espaces verts, zone à faibles émissions, tri sélectif etc…). […] Il faudra aussi, pour certains projets notamment en matière de transports en commun, travailler avec d’autres partenaires institutionnels (Région, sncf etc…) qui sont compétents, ce qui n’est pas toujours simple.”
Une alarme symbolique
L’expression a été popularisée par plusieurs groupes écologistes qui invitent les collectivités à s’en emparer et à suivre le mouvement. L’objectif, c’est finalement surtout de prendre la mesure de l’urgence, de placer symboliquement cette préoccupation avant les autres. Il s’agit là, de reconnaître publiquement une menace (ici la dégradation de l’environnement) afin de pouvoir lutter efficacement contre. Pour Juliette, membre du groupe Extinction Rebellion à Strasbourg, déclarer l’état d’urgence climatique c’est : “Mettre le climat et donc la conservation du vivant au premier rang des priorités pour chaque décision qui est prise. Donc le maintien de conditions vivables sur terre et que ce soit la priorité avant tout autre considération. Notamment dans le choix de projets sur le territoire de la ville, c’est réfléchir à l’impact que peuvent avoir de gros projet et exiger, lorsqu’il y a des installations, des assurances au niveau des intentions par rapport à l’environnement. C’est se poser la question à chaque projet qui se présente et savoir refuser des projets climaticides et ne pas accepter tout ce qui se présente.”
Cette déclaration, elle permet donc de fixer la préservation de l’environnement en tant que priorité n°1 et peut servir d’écrin à plusieurs mesures en lien avec cette préoccupation : “Ça peut désigner des mesures concrètes à mettre en place rapidement, et cette déclaration permet de prendre ces mesures immédiatement et de ne pas les remettre à plus tard.” ajoute Juliette. En somme, elle fait office d’engagement symbolique pour l’institution qui l’a émise et peut annoncer la prise de futures mesures.
Reste à savoir quelles seront les mesures prises à Strasbourg dans le cadre de cet état d’urgence climatique. Réponse ce samedi, lors du premier conseil municipal présidé par Jeanne Barseghian.
Photo de couverture : Laurent Khrâm Longvixay