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Strasbourg : Les hôtesses de cœur

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Devant le supermarché, une file indienne s’organise avec la rigueur militaire d’un camp de vacances. Un mètre entre chaque chariot et un vigile équipé d’un masque et de gants régule les mouvements comme un policier  gère la sortie d’une école primaire devant un passage piéton. Il transpire sous son costume noir et s’étire occasionnellement le dos qui le fait atrocement souffrir à force de rester debout comme un épouvantail qui parle.

Certains clients plaisantent avec lui mais d’autres soupirent parce qu’il ne va pas assez vite ou qu’il est trop strict. Lui c’est Moussa, un géant de plus d’un mètre quatre-vingt-dix à la carrure impressionnante et aux yeux bruns tellement grands qu’on dirait des planètes en velours. Le garde-fou d’une folie qui prend de l’ampleur. Le crâne rasé, il vérifie discrètement que tout se passe bien entre deux rayons, que certains n’abusent pas de paquets de farine, de papiers-toilette ou de pâtes. Hier, deux hommes en sont presque venus aux mains pour une boite d’œufs qui trônait innocemment au fond d’une tête de gondole.

Les gens perdent la boule parce qu’ils ont peur dit-il à une vieille dame venue faire le plein pour la semaine. Son sourire la rassure, elle qui craint d’être hospitalisée et de ne plus jamais revenir pour s’occuper de son chien comme ce fût le cas pour Thérèse, sa voisine de 79 ans, qui tutoya les anges trop tôt, après cinq jours de soins intensifs au service de réanimation  du Nouvel Hôpital Civil de Strasbourg.

La fréquentation ne désemplit pas. Les marchandises affluent sur les tapis-roulants et avancent hypnotisées jusqu’à Maria, Loubia et Anne-Marie, elles-aussi équipées comme si elles allaient faire une opération à cœur ouvert entre deux paquets de Pépito. En face d’elles, un drap blanc les sépare des clients pressés afin d’éviter un postillon arrogant qui viendrait se déposer sur une lèvre  vulnérable. De droite à gauche, elles saisissent les produits pour les scanner, puis les déposent sur un toboggan métallique pour qu’ils glissent jusqu’à des mains hésitantes qui les déposent dans des sacs pleins à craquer.

Désormais, le gel hydroalcoolique coule à flot comme le champagne jadis.

Elle aimerait faire du toboggan avec ses enfants Loubia. Profiter d’eux un peu plus. Les voir grandir et leurs donner les moyens de réussir, de faire un métier différent de celui de leur mère, pas parce qu’elle en a honte, au contraire, mais parce qu’avec le smic, les fins de mois sont difficiles et les articulations deviennent de plus en plus douloureuses au fil des années. C’est un métier dévalorisé au point que les professeurs ne cessent de répéter aux enfants qu’il faut bien travailler à l’école pour ne pas terminer caissière ou caissier. Comme si c’était une malédiction ou un crève-cœur.

Sourire – Bonjour – Au revoir – Merci.

Huit heures par jours tout de même. Samedi compris. Cela mérite plus qu’une prime de mille euros mais une revalorisation significative des salaires.

Parfois, elle a l’impression d’être un robot sur une chaîne de production à force de faire le même geste encore et encore. Elle se sent invisible, comme si elle n’était qu’un maillon entre une carte bancaire et un chef de rayon, lorsque les clients passent devant elle sans la saluer, sans la considérer, sans la respecter. D’autres fois au contraire, elle aimerait être une petite souris et disparaître sous un lit trop grand, lorsqu’elle se fait insulter, draguer ou chahuter parce qu’elle a passé deux fois le même article ou qu’elle a rendu une pièce de dix centimes au lieu de vingt.

Tout ça est usant aussi bien pour la tête que pour le corps, sur une chaise inadaptée entre un coup de lave-vitre sur le lecteur optique crasseux et un morceau de brocolis coincé entre deux prospectus. Pourtant, sans ces grandes dames qui bravent l’épidémie, nous ne serions que de petites choses fragiles. Des brindilles cassantes sous-alimentées. Des loups affamés à la recherche d’une brebis égarée à se mettre sous la dent pour survivre. Qui sait jusqu’où nous serions prêts à aller si la faim s’invitait dans nos estomacs.

Et dire qu’ils veulent vous remplacer par des caisses automatiques.

Nous vous devons beaucoup. Ne l’oublions pas maintenant, ni lorsque le chaos sera dernière nous. À nous de vous rendre l’appareil par un sourire, un compliment, des félicitations. À nous d’être à vos côtés lorsque vous ferez grève pour améliorer vos conditions de travail. Merci pour ce sacrifice.

Vous n’êtes pas des hôtesses de caisse mais nos hôtesses de cœur.

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