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La dépression masculine : deux Strasbourgeois témoignent de cette maladie invisible

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Décembre est arrivé tandis que Novembre s’est écoulé. Novembre avait cette particularité pour les hommes de changer son N en M pour devenir Movember. Un mouvement lancé par des Australiens en 2003 pour parler des maladies masculines. La santé mentale des hommes est un point central de leurs actions. Pourquoi ?

Le principe de Movember ? Créer une discussion pour que les hommes se sentent libre de parler de leurs maladies et prendre à contre pied la masculinité toxique qui peut avoir de terribles conséquences. Décembre vient d’ouvrir sa porte, Noël s’est installé, et la bienveillance est la bienvenue alors que les nuits se font longues.

movember.com

Si la dépression n’est pas une maladie masculine, l’absence de dialogue est propre à l’homme. Parce que l’homme a peur de dévoiler sa sensibilité et sa vulnérabilité, les conséquences de la dépression sont trop souvent fatales. 3 suicides sur 4 sont masculins. Selon un rapport de l’ONS (Observatoire National du Suicide), c’est la deuxième cause de décès chez les garçons de 15-24 ans (16% des décès, derrière les accidents de la route). Ces chiffres font froid dans le dos ? Alors essayons de contribuer au dialogue en lisant le témoignage de deux jeunes hommes ayant souffert, ou souffrant encore, de dépression.

Anthony : Chronologie d’une dépression

L’un des grands dangers de la dépression est que ce soit une maladie invisible, facilement cachée par un sourire forcé, par un “ne t’inquiète pas, ça va”. Anthony, 22 ans, en est la preuve. Rédacteur chez Pokaa, ceux qui le connaissent peuvent l’affirmer haut et fort : Anthony semble rempli d’optimisme, le sourire aux lèvres, prêt à dégainer une blague, puis deux, puis trois. Mais si d’apparence il avait l’air si joyeux, dans sa tête, c’était bien plus sombre qu’on aurait pu le croire.

Depuis 2016, il a jonglé avec la dépression, en faisant face à des idées des noires, la solitude parfois, la prise de poids, des beaux moments, et des rechutes.

De la vie de famille à la solitude

En septembre 2016, une nouvelle vie commençait pour Anthony. Il est entré à la fac pour un double cursus, licence de droit / prépa ENS, et vivait seul pour la première fois. Cela faisait déjà quelques années que son quotidien était compliqué. Sa mère était seule, à devoir élever lui et sa petite sœur, supportant le poids des problèmes d’argent. Autant dire que les années lycée ont fait grandir Anthony bien trop rapidement. “Je rentrais du lycée et j’avais des problèmes à régler. Je voulais aider ma mère autant que je pouvais, aider ma petite sœur pour ses cours et son brevet. Au final, je n’ai pas pu faire ma crise d’ado, ou penser à moi-même jusqu’à la fac. Mais aider ma famille allait de soi et je l’ai fait avec plaisir”. Il n’a pas pu faire sa crise d’ado, et alors ? Selon sa psychologue, qu’il a vue plus tard, cette crise est déterminante pour la construction d’un homme ou d’une femme.

Ces années lycée l’ayant isolé, arrivé à la fac, il se retrouvait seul face à lui-même, ses pensées, son identité. “Je ne savais plus qui j’étais et je me suis retrouvé à avoir 2 à 3 boulots en même temps”. Le moral en berne, son estime de soi était au plus bas, Anthony a pris 8kg à la fin de sa première année de fac. Passé en deuxième année, il explique qu’il pleurait tout le temps. “Je me levais sans réel but, j’étais toujours fatigué, toujours triste”. Malgré un quotidien bien sombre, il décide de garder tout cela pour lui. “En 2ème année je me suis fais de très bons amis, mais je ne parlais pas de mes problèmes car j’avais peur de déranger. Et puis je n’avais pas envie de me suicider, donc je me disais que ce n’était pas une dépression.”

Un bol d’air frais avant la rechute

Puis sa deuxième année se termine, ses problèmes familiaux s’améliorent, il part en vacances avec ses amis et vit ses meilleurs moments depuis bien longtemps. Un séjour dans un chalet des Vosges, des voyages à Bruxelles et Amsterdam. Tout va bien, il commence même à écrire pour Pokaa, connaît sa première relation amoureuse en novembre 2018, et trouve enfin le temps de penser à lui et faire son coming out pour dévoiler son homosexualité. “Avoir fait ce coming out a bien amélioré l’estime que j’avais de moi-même” explique-t-il. 

Illustration par Olivier Tallec pour “La depression, en savoir plus en sortir

Fin 2018, alors que tout allait bien, sans le moindre événement déclencheur, ses idées noires reviennent, plus intenses que jamais. Cette fois-ci, chaque jour est un calvaire, plus sombre que le précédent. “Je dormais mal, je faisais beaucoup de cauchemars, j’étais susceptible et irritable, et je m’isolais beaucoup, je prenais des somnifères pour dormir la nuit, et des vitamines pour rester éveillé la journée”. Début 2019, alors que cela faisait trois ans qu’il faisait de la danse hip-hop, il ne voulait plus y aller. Il manquait beaucoup de cours, a perdu un boulot car pas assez performant. “Je m’en voulais parce que je me disais qu’il y avait pire dans le monde.”

Mais Anthony était au plus mal, et cela ne pouvait plus durer.

Essayer d’aller mieux

Vers Noël 2018, Anthony décida de parler de sa tristesse à son entourage, pour enfin accepter le fait qu’il s’agissait peut-être d’une dépression. Il reprend la danse, commence à courir, et entame ses recherches. Il trouve alors réconfort dans l’oreille attentive des inconnus : Numéros verts (listés à la fin de l’article), les forums en ligne, puis des groupes de discussion à Strasbourg.

En février, il se tourne vers une psychologue. “Je me disais que les psys étaient là pour ceux qui avaient des envies de suicide ou des gros problèmes personnels, mais ils sont utiles pour tout le monde, il ne faut pas hésiter à aller en voir” conseille-t-il. “Ma psychologue m’a permis de me rendre compte des causes de ma dépression et qu’il ne fallait pas que je m’en veuille. Je commençais enfin à comprendre pourquoi j’allais pas bien”.

Tomber pour mieux se relever

Le vrai déclencheur de son rétablissement, étonnamment, était une envie de suicide. Il appelle ça une crise, car c’était soudain, inattendu, et inquiétant. Anthony se souvient même du jour, un samedi matin, sur le ponton du pont du corbeau. Quoiqu’elles soient bien sombres, ses idées étaient claires et il décida d’appeler immédiatement sa psychologue qui lui a conseillé d’aller à l’hôpital en urgence. Au service psychiatrique du Nouvel Hôpital Civil, où il a été pris en charge rapidement, il a pu parler à un psychiatre et rester en observation pour une nuit. S’est ensuivi une autre hospitalisation de quelques jours suite à des problèmes de santé, son corps était tout simplement épuisé de toute cette dépression.

Mais Anthony qualifie cette crise et cette hospitalisation comme un “reboot”. Suite à tout cela, il a commencé à réellement tourner la page, progressivement, avec l’aide de sa psychologue qu’il voyait toujours. Aujourd’hui, Anthony va beaucoup mieux, c’est “la première fois qu’il se sent aussi détaché de la dépression”. Il a maintenant le sentiment que c’est derrière lui et qu’il peut enfin avancer, et prévoir sa vie sur du long terme.

Emilien, un cœur brisé qui se reconstruit

La peur du jugement, l’incompréhension de l’entourage face à la dépression, Emilien, jeune homme de 22 ans, connaît bien. Comme toutes personnes souffrant d’une dépression, il a dû affronter le regard des autres, qui n’est pourtant pas si malveillant comme il l’aurait pensé au début.

Une rupture, un cœur brisé, ont été les déclencheurs d’une période très sombre pour Emilien. Dépression aux conséquences multiples qui le ronge encore aujourd’hui. Cette rupture a eu lieu en février 2019. Un hiver rude donc, puisqu’il s’est enfermé dans sa chambre, a perdu une dizaine de kilos en deux semaines et a perdu goût à la vie. Mais comme pour Anthony, cette dépression prend racine dans le passé alors qu’Emilien était encore si joyeux… d’apparence.

Cette maladie invisible

Selon le psychologue d’Emilien, sa dépression trouverait sa source en primaire. S’il n’avait pas les idées noires, s’il était toujours joyeux, certains signes laissaient tout de même apparaître des problèmes naissants.

Une jeunesse heureuse?

Je montrais toujours que j’étais heureux car je pensais que c’était ce qu’il fallait faire, que c’était normal d’avoir l’air heureux”. Malgré cela, en CE2, en plein cours, Emilien a détaché la lame de son taille-crayon, et s’est coupé l’avant-bras, tentant de s’ouvrir les veines. Sa cicatrice est toujours visible aujourd’hui. “A ce moment-là, je pensais avoir fait ça sans raison, juste pour voir. Mais aujourd’hui je vois bien que c’était bien plus grave que ça. Je me rends compte que j’essayais d’extérioriser mon mal-être” se confie-t-il.

Alexithymie ou l’incomprehension de ses propres émotions

Aujourd’hui la dépression le prend de plein fouet. C’est donc à la fin d’une relation qu’il pensait intouchable, un cœur brisé par une fille avec qui il pensait rester fort longtemps, qu’Émilien a sombré. Suite à cela, il a été diagnostiqué alexithymique. C’est-à-dire que s’il ressent ses émotions physiquement, il n’en a pas conscience et n’arrive pas à les exprimer. Cette maladie est directement liée à sa dépression puisqu’elle peut se manifester à la suite d’un grand choc émotionnel, pouvant ainsi être temporaire.

Cette année, alors qu’il était déjà au plus bas, Emilien a perdu son grand-père. A l’enterrement, à cause de l’alexithymie, il a été incapable de pleurer ou même d’exprimer sa tristesse. Ce manque de tristesse apparent était incompris par son entourage et en proie au jugement.

Vivre avec le regard des autres

“Tu seras viril mon kid, je ne veux voir aucune larme glisser sur cette gueule héroïque” dit Eddy de Pretto dans sa chanson Kid lorsqu’il critique une masculinité toxique.

Effectivement, Emilien a dû subir certains préjugés, certains propos minimisant la dépression, certaines réactions qui n’avaient pas lieu d’être. “Tu bois une boisson énergisante et ce sera reparti” lui avait dit son patron. Il est difficile de s’ouvrir après avoir entendu ce genre de paroles. “Je pense que c’est difficile de comprendre la dépression quand on ne l’a pas vécu. Donc j’avais peur d’en parler car j’avais peur d’être jugé”.

Les hommes ont une image à maintenir. Ils pensent que c’est dégradant, que déprimer c’est perdre sa virilité” explique Emilien avant d’ajouter “On a cette image de l’homme Alpha qui n’a peur de rien, qui ne montre pas ses émotions et qui doit protéger tout le monde. Alors peut-être que par peur du jugement des autres, certains préfèrent laisser leur dépression prendre le dessus, et même se suicider.”

Maintenant Emilien va mieux mais se bat toujours avec ses démons. Il a toujours des épisodes de dépression, mais essaie de bien s’entourer, car “être tout seul chez soi est le vrai danger” explique-t’il.

“Parler aux autres pour aller mieux”

Anthony et Emilien font le même constat : si on s’enferme dans sa dépression, on ne peut pas aller mieux. “Je voyais bien que les mecs étaient moins prêts à parler de dépression que les femmes, puis je ne trouvais jamais de témoignages masculins en ligne” explique Anthony. Il précise pourtant que “dans les groupes de discussion, il y avait une majorité d’hommes, car ils étaient surement plus à l’aise de parler à des inconnus”.

La solution? En parler. A un médecin, oui. A un psy, aussi. Mais Anthony et Emilien vantent tous les deux les mérites d’en parler à sa famille et à ses amis. “J’avais peur de parler à mes amis, mais dès que je me suis ouvert, ils ont tout fait pour m’aider à m’en sortir. Sans eux, je n’aurais jamais tenu” affirme Emilien. “Puis j’ai une nouvelle copine à qui j’ai tout expliqué, et elle est très compréhensive” ajoute-t’il. Même son de cloche pour Anthony. “Il faut parler aux autres pour aller mieux. Le soutien de ses proches est primordial pour avancer. Grâce à eux je me sentais soutenu, et j’étais moins seul.” Il avoue qu’il sentait que sa dépression n’était pas toujours comprise, mais qu’il n’a jamais été jugé négativement par sa famille et ses amis.

Emilien estime que “parfois, il nous manque simplement un rappel qu’il y a toujours des gens qui tiennent à nous.”

A qui demander de l’aide?

Vous pouvez retrouver toutes les informations sur le site du gouvernement.

Voici un résumé :

Les numéros pour une oreille attentive :
SOS Amitié : 09 72 39 40 50 (Ouvert 24h/24, 7j/7)
Suicide Ecoute : 01 45 39 40 00 (Ouvert 24h/24, 7j/7)

En cas d’urgence :
Appeler le 15 ou le 112.

Services médicaux :
Ne pas hésiter à aller voir son médecin traitant qui pourra vous aiguiller. Puis se rapprocher d’un psychologue ou d’un psychiatre.

Mais surtout, ne restez pas isolés. Parler à vos proches est la première chose à faire. Que ce soit votre famille, des anonymes aux numéros de soutien, ou des médecins, ils peuvent vous aider. La solitude est la première cause de souffrance évoquée au cours des appels à SOS Amitié abordant le suicide en 2014.

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Commentaires (1)

  1. Merci pour ces témoignages courageux… Et merci d’avoir mentionné SOS Amitié parmi les “ressources” utiles et bienveillantes, en cas de blues: les écoutants de cette association sont en effet présents au téléphone et sur internet, 24 h sur 24, 7 jour sur 7. Ecoute gratuite, anonyme, bienveillante, sans jugement…

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