Notre Eurométropole bien aimée possède un péché mignon : les prix et récompenses. Strasbourg est une ville souvent primée pour à peu près tout et n’importe quoi. Excellente tactique de marketing territorial, ces prix donnent une image dynamique et positive de notre capitale alsacienne. Comme souvent néanmoins, certains de ces labels ressemblent davantage à de la poudre de perlimpinpin plutôt qu’à des choses concrètes. Tentons alors de démêler l’esbroufe du réel.
Les prix, ça fait joli, on les retient et c’est excellent pour la ville en termes d’image. Pas étonnant que Strasbourg soit si encline à célébrer ses différents succès. L’Eurométropole ne s’y est d’ailleurs pas trompée, en dédiant une page entière de son site aux récompenses et certifications reçues.
Comme chez Pokaa, on aime bien être taquins, on va donc revenir sur certains de ces prix, les plus sérieux, en essayant de voir ce que qu’ils disent de la ville. Avec souvent, derrière les lumières des projecteurs, une réalité moins glamour que celle que l’on nous fait miroiter. Pour cela, on choisira certains prix et récompenses indissociables de l’esprit strasbourgeois, on analysera d’où ils viennent et on verra si la réalité traduit ces faits ou bien les contredit.
Strasbourg capitale de Noël
Oui, on commence en beauté : Strasbourg et capitale de Noël vont aussi bien ensemble qu’une tarte flambée avec de l’ail des ours (si si je vous assure). Tout est naturel dans cette association de termes : le Marché de Noël est une joie pour les touristes, les annonceurs et les M2 Bullshit Communication de la ville. C’est difficilement envisageable d’imaginer Strasbourg autrement qu’en capitale de Noël.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard. En 1992, sous l’impulsion de Jean-Jacques Gsell alors adjoint de Catherine Trautmann, la ville s’autoproclame capitale de Noel et lance une importante campagne de communication destinée à ancrer ce titre dans la tête de tout le monde. Désormais, en 2019, l’événement a sa page dédiée sur le site de l’Eurométropole ! C’est donc un concept, créé ex nihilo. Sauf que par la suite, ce concept, il faut l’entretenir, pour donner le sentiment qu’il est mérité.
La petite bête n’est pourtant pas difficile à trouver, pour une simple et bonne raison : il existe d’autres marchés de Noël en Europe – ne le dîtes pas à la ville, ils pourraient défaillir! Le site European Best Destinations propose chaque année son classement des marchés de Noël ; ils demandent aux internautes de voter et établissent derrière le classement. Un classement intéressant à l’heure où les touristes s’informent de plus en plus par Internet. Cette année, Strasbourg a fini troisième, derrière Tallinn et Budapest. Camouflet extrême !
Vous avez dû remarquer que ce n’est pas dans le style de la ville de communiquer sur les places d’honneur. Et cela a même donné une situation quelque peu rocambolesque il y a deux ans. En 2017, Strasbourg avait fini cinquième de ce même classement… et notamment derrière Colmar. Inutile de vous dire que le seum a pu alimenter toutes les salières de la région. A tel point que Strasbourg a souhaité ne plus participer à ce classement, dans un des plus beaux rage quit de l’histoire.
Le plus drôle dans tout ça, c’est que dans le même temps, l’office du tourisme a demandé a concourir au classement des villes les plus romantiques d’Europe… publié par le même site ! Lorsque la communication manque de communication, c’est souvent le début du croquignolesque.
Strasbourg : capitale de l’amour
La transition est toute trouvée. Depuis sept ans maintenant, Strasbourg organise son événement Strasbourg mon amour, destiné à promouvoir le romantisme et les sentiments mielleux qui nous habitent lorsqu’on trouve quelqu’un pas franchement hideux.
Par cet événement, la ville entend installer une image de marque supplémentaire à son arc d’appellations. Et donner une image de la ville telle qu’on peut s’en faire dans une carte postale : les ponts, les maisons à colombage, les rues pittoresques… tout ce qui se trouve dans l’ellipse insulaire et l’hypercentre. C’est d’ailleurs peu ou prou ce que la ville met en avant sur la page de l’événement.
Sauf que pour celles et ceux qui connaissent un peu Strasbourg, elle est loin d’être le cliché de carte postale que la ville essaye pourtant de donner. Et c’est là que l’on arrive au plus important : ces labels, ces images de marque, c’est pour les touristes, les investisseurs, bref, pas en priorité les Strasbourgeois.
Après, il faut bien dire que les animations ne manquent pas de diversité sur le monde de l’Amour. Et les institutions, au-delà de sa communication institutionnelle parfois étouffante, sont impliquées pour rendre Strasbourg mon amour encore meilleur chaque année. Il reste néanmoins du travail à fournir, si on prend à nouveau le site European Best Cities. Dans la catégorie Best romantic destinations, Strasbourg n’est pas du tout mise en avant.
Strasbourg capitale européenne
Indissociable de Strasbourg, le côté capitale européenne est pourtant partagé avec Bruxelles et Luxembourg. Néanmoins il y a bien une raison pour que la ville se targue de se label.
Strasbourg abrite en effet plusieurs institutions de l’union européenne. Le Parlement européen est l’exemple le plus marquant, siégeant à Strasbourg pour toutes ses séances plénières. Mais vu que dans l’UE, rien n’est simple, son secrétariat est à Luxembourg et ses commissions à Bruxelles.
Strasbourg accueille aussi le médiateur européen, le Conseil de l’Europe et la Cour européenne des droits de l’homme. Donc à Strasbourg, on pèse plutôt pas mal niveau Europe, même si toutes ces institutions n’ont pas toutes à voir avec l’UE.
Strasbourg : capitale du vélo
Etre taquin ne signifie pas être de mauvaise foi, Strasbourg mérite son appellation, pas la peine de s’attarder trop là-dessus. La ville est extrêmement vélo-centrée et développe les mobilités alternatives d’une manière efficace et – surtout – d’une manière qui se ressente dans les chiffres.
Dès lors, à défaut de lutter efficacement contre les conflits d’usagers et le vol de vélos, Strasbourg n’a pas volé son appellation de capitale du vélo.
Strasbourg : capitale verte européenne/capitale de la biodiversité
Là encore, transition niveau qualité supérieure : vélo, mobilités alternatives, ville verte. Strasbourg est une ville très intéressante sur le sujet, puisqu’elle entretient une relation complexe et ambiguë avec l’écologie : précurseur de tendances, elle a néanmoins quelques défauts.
Strasbourg, green capital européenne ?
Strasbourg était en lice pour devenir green capital européenne – le pourquoi du comment de l’anglais mélangé au français m’échappe, ndlr. Le projet de la ville et de ses élus est d’ailleurs disponible ici.
Par la suite, si vous allez sur la page de l’Eurométropole dédiée au sujet, vous pouvez penser que les résultats ne sont pas encore tombés. Or, Strasbourg a fini deuxième, battue par la ville finlandaise de Lahti – qu’ils orthographient mal d’ailleurs.
Là, je vois le verre à moitié vide : deuxième, c’est quand même bien et ça montre tous les efforts qui sont faits par notre ville pour aller dans le sens d’une ville plus verte, plus respectueuse de l’environnement. Donc bien joué Strasbourg, vous aurez ces irréductibles Finlandais la prochaine fois !
Strasbourg : le Vert et la Pollution
Si en anglais le titre n’a pas été conquis, peut-être que dans la langue de Molière, la ville aura plus de succès. Toujours pas de première place, mais Strasbourg a été classée troisième en 2017 au palmarès des villes les plus vertes de France. A cela se rajoutent les labels EcoJardin pour certains de ses parcs ainsi que le label Ville trois fleurs, que vous pouvez voir à chaque panneau Strasbourg.
Strasbourg ville fleurie, Strasbourg et ses parcs mais il ne faut pas oublier Strasbourg et sa pollution. En effet, la ville entretient une relation complexe avec l’emblème vert : élue par Greepeace première ville pour ses transports, elle possède pourtant encore des problèmes pour rendre gratuits les transports en commun en période de pollution. Greenpeace alerte également les Strasbourgeois sur la qualité de leur air, pollué et sensible aux pics de chaleur, d’ozone et de pollution.
Strasbourg capitale de la biodiversité ?
Dans la catégorie « je joue sur les mots et personne n’y verra que du feu », l’Eurométropole met en avant le label « capitale de la biodiversité 2017 ». Sauf qu’en fait, la capitale de la biodiversité 2017 est Muttersholtz, dans le Bas-Rhin. Strasbourg a été élue « meilleure grande ville pour la biodiversité 2017 », ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Ils ont peut-être simplement eu la flemme de changer : après tout, notre ville avait été élue capitale en 2014. Le vrai titre cette fois.
Alors oui, la différence est ténue et ça peut faire penser à du pinaillage de ma part. Bien entendu, Strasbourg est une ville œuvrant pour la biodiversité, année après année, et on a la chance de vivre ici, par rapport à d’autres villes où la qualité de vie est moindre. N’empêche, cette propension à vouloir se couvrir de titres qui ne sont pas les siens donne un aspect flou à l’ensemble.
Conclusion
Si cette partie peut vous sembler un peu abrupte, c’est plus une réaction à la vantardise continuelle. Parce que, quoi que je puisse relever, je ne nie pas que Strasbourg a beaucoup de parcs, est une ville fleurie, bien que de moins en moins végétale, avec une politique de mobilités alternatives développée et agissant chaque année pour la biodiversité. On est très bien lotis par rapport à d’autres villes de France, et c’est important de la signaler.
Dans le même temps, la pollution ne fait qu’augmenter, les réponses sont souvent ponctuelles et repoussent le côté systémique du problème de la pollution. Plus, évidemment, ce petit truc nommé le GCO. Strasbourg, en matière de vert, est donc quelque peu schizophrène. Mais apparemment, ils vont mieux.
Strasbourg capitale des labels what the fuck
Terminons par un peu de légèreté dans ce monde pétri de cynisme : si la ville aime mettre en avant ses labels, certains d’entre eux sont tout de même assez loufoques dans leur genre.
Premier exemple : le label Smart Mobility City Awards. On est là en face d’un business English dans toute sa splendeur et sa décadence. Individuellement, je comprends tous les mots, mais on a l’impression que celles et ceux qui ont créé ce label les ont mis dans n’importe quel ordre. Cela a autant de sens que « Je m’introduis chez Dark Vador et je mets du munster dans son casque. » En tous les cas, Kamoulox !
Deuxième petit exemple : le label Handiplage. Alors qu’est-ce que c’est que quoi ? Si tu cliques sur le lien donné sur le site de l’Eurométropole, tu tombes sur ce label de niveau 2 qui a été accordé au Lac Achard par l’association Handiplage. Grosso modo, cela signifie que la ville se révèle conforme au niveau de ses aménagements et services sur les plages et plans d’eau. C’est plutôt cool, on ne va pas se mentir. Mais ça mérite que la ville aille plus loin, parce que le Lac Achard n’est pas le seul plan d’eau qui existe à Strasbourg. Et on est très loin d’une accessibilité des structures pour les personnes handicapées.
Alors : marketing territorial, bonne volonté des élus, ou les deux ? La ville, et c’est normal, aime bien mettre en avant ce qui fonctionne, même si parfois elle le fait avec un peu trop de zèle. Ces labels sont surtout là pour attirer les touristes et qu’on parle en bien de la ville. Pour les riverains, c’est surtout beaucoup de discours sur une ville qu’ils connaissent par cœur et qui sont bien différents de la réalité qu’ils vivent chaque jour. On a une belle ville, il faut l’apprécier à sa juste valeur. Et c’est justement ce concept de « juste » qui nous fait réagir.
Pointer du doigt les failles ne font pas de nous des pourris-gâtés. On aime Strasbourg, c’est pour cela qu’on est exigeant : notre belle capitale a énormément de qualités, mais il est possible de faire plus, de faire mieux. L’image de la ville est positive, et, logiquement, les institutions rarement remises en question. Ce statu quo maintient les acteurs publics dans leur fauteuil et dans un confort qui représente un frein à la créativité. Attention à ne pas se complaire dans cette passion de la récompense et de l’image. Car, après tout, comme le disait Voltaire : « Les récompenses ne sont faites que pour les gens qui font des choses utiles, et non pour ceux qui ne sont connus dans le monde que par l’envie de se faire connaître. »