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Témoignages : En matière de santé aussi, la femme n’est pas l’égale de l’homme

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Si les françaises ont une espérance de vie plus longue que celles des français, depuis 2000 elle progresse moins vite que celle des hommes, de même que les femmes restent en bonne santé moins longtemps. Face à une médecine qui s’est essentiellement intéressée à la santé des femmes à travers la gynécologie et l’obstétrique, négligeant d’autres pathologies dites typiquement masculines comme les maladies cardiovasculaires (l’infarctus et l’AVC sont pourtant les premières causes de mortalité chez les femmes), les femmes accusent souvent un retard diagnostique parfois critique… Sans surprise, dans une société malade, la santé ne se porte pas bien, et le poids des représentations sociales influence à la fois l’expression des symptômes côté soignées, et l’interprétation des signes cliniques côté soignants. Trois strasbourgeoises témoignent du traitement sexiste qu’elles ont subi.

La fille, femme en devenir, cible par anticipation ?

Mélusine a quinze ans lorsqu’elle reçoit, pour la première fois, une remarque sexiste de la part d’une autorité médicale. Cette année-là, elle doit se faire opérer des dents de sagesse ; décision est prise de lui enlever les quatre, en une fois, sous anesthésie générale. « C’est la première fois que j’allais être anesthésiée complètement, donc j’avais plein de questions sur ce qu’impliquait l’anesthésie : est-ce que j’allais rester dans les vapes, baver, vomir ? » Les parents de Mélusine lui conseillent de retenir ses questions pour les poser au médecin anesthésiste, qu’elle rencontre une semaine avant l’opération. Mais l’homme s’avère moins préoccupé par sa patiente, que par la poitrine naissante de Mélusine, adolescente pubère : « J’avais un haut à col bateau, qui laissait légèrement voir le haut de mes épaules, et une bretelle de mon soutien-gorge dépassait. C’était un ensemble au motif léopard, je l’aimais beaucoup. Je n’ai pas compris tout de suite qu’il fixait ma bretelle, et ce qu’elle soutenait. Quand je lui ai demandé si j’allais baver, il m’a répondu un truc du genre : « Pourquoi, parce que vous êtes une bête sauvage ? » Là, avec le regard suggestif, j’ai compris. »

Mélusine rentre déconcertée. Elle se rappelle avoir demandé à sa mère s’il était possible qu’elle soit anesthésiée par un autre médecin, sans trop savoir expliquer pourquoi, et donc que sa mère donne de suite positive. L’opération, pourtant bénigne, devient une source de stress : « Je me disais : cet homme, qui a tenu des remarques grivoises sur mon corps adolescent, va m’endormir totalement, et je ne saurai pas rien de ce qui va se passer. » En salle de réveil, Mélusine découvre sous sa couverture que sa chemise d’hôpital en papier est « complètement déchirée » au niveau de sa poitrine. « La déchirure était très droite, très nette, très précise. Ça ne paraissait pas naturel, il devait y avoir eu une tension volontaire. L’opération ne concernant pas cette région du corps, je ne vois pas comment cette déchirure aurait pu être accidentelle de toute façon… Ça m’a mise hyper mal. » Depuis, le rapport de Mélusine au corps médical a changé. « Maintenant, si je dois consulter un praticien pour la première fois, je choisis une praticienne pour me protéger. Même si ce n’est pas infaillible, c’est une façon de s’éviter des déconvenues. »

L’obsession de l’utérus plein : la maman ou la putain

« Moi, en plus d’être une femme, j’ai un autre problème : j’ai l’air d’être française, mais j’ai un nom biélorusse. Et on se fout de moi, vraiment. On me prend pour une pute slave. Une roumaine qui se fait baiser dans les camps. C’est raciste et sexiste. » Depuis ses premières menstruations, Erika souffre de douleurs très intenses pour lesquelles le diagnostic d’endométriose vient d’être rejeté, après des années d’errance médicale et de nombreux recours aux urgences. « À chaque fois, on m’a mis dans la gueule qu’il y avait 95% de chance que ce soit une IST (une infection sexuellement transmissible) que j’avais laissé passer, avant même de me questionner, et même si je n’avais pas eu de rapport depuis des mois. « Mais si, vous avez oublié… » Non, je n’ai pas oublié. Une fois, deux fois, trois fois… Et on me traite d’hystérique parce que j’ai été ferme la quatrième fois – quelque chose qu’on ne dirait jamais à un homme. C’est violent. »

Erika a quinze ans lorsqu’elle est confrontée, pour la première fois, à cette rengaine sexiste dans un hôpital haut-rhinois. Paralysée de douleur, elle est placée dans un fauteuil roulant et équipée d’une « serviette hygiénique géante », « une couche », pour contenir ses saignements d’ici à sa prise en charge. Une infirmière l’amènera finalement dans un box semblable à « un cagibi » où, sans fermer la porte pour préserver son intimité des patients présents dans le couloir, ni même lui expliquer ce qui va se passer, elle lui retire la protection, l’allonge sur le ventre, et lui injecte un produit dans la fesse. « Elle m’a piqué dans le muscle, en appuyant dessus et ça le contractait. Je souffrais déjà depuis des heures, j’étais désarçonnée, j’ai hurlé. Et alors là, j’ai tout eu. » Une claque, plusieurs insultes, et des attaches. « Hystérique, comédienne, pute… » Plusieurs heures plus tard un médecin lui rendra visite, pour presser l’adolescente de ligaturer ses trompes.

Jeune adulte, Erika contracte la chlamydia auprès d’un compagnon imprudent. C’est la double peine : « la pute slave » a un passif d’IST inscrit dans son dossier. Détectée par son gynécologue, l’infection est traitée par antibiotiques. Mais des mois plus tard, lorsqu’elle est hospitalisée une nouvelle fois pour ses douleurs et alors qu’elle n’a eu aucun rapport entre temps, l’interne qui l’examine n’est démord pas : c’est une grossesse ou une IST. « Elle me répétait : « Vous êtes sûre que vous n’êtes pas enceinte ? Vous êtes sûre que vous n’êtes pas enceinte ? » OUI, je suis sûre que je ne suis pas enceinte. Comme si on n’était pas assez femmes pour savoir si on a nos règles ou si on est enceintes. » Imperturbable, la soignante la renvoie à son infection passée : « Elle m’a culpabilisée, en me disant que l’infection devait être trop haut pour que l’antibiotique ait marché, qu’il faut faire attention, qu’on pourrait me retirer l’utérus. » Décidément.

Cette obsession de l’utérus sanglant ou gestant, Erika l’a retrouvée au CMCO de Schiltigheim encore récemment. Arrivée sur les coups de vingt-deux heures, elle est prise en charge vers cinq heures après avoir passé la nuit sur le sol. « Le médecin me pose ses questions sans écouter mes réponses. Elle insiste sur la possibilité de grossesse, me demande ce qui me soulage (on me met habituellement sous morphine), me répond qu’elle me prescrit du doliprane en attendant de voir un test de grossesse négatif. » Le dossier médical d’Erika présente pourtant une nouvelle donnée depuis sa dernière hospitalisation : elle est stérile… Erika ressortira quelques minutes plus tard, après ce rendez-vous et quelques tests d’usage. Le lendemain, elle a un message de ce médecin, qui lui demande de la rappeler au plus vite. « Je me suis dit que j’allais mourir, en fait. » « Alors, vous avez fait le test de grossesse ? »

« Je n’attends pas non plus une humanité extraordinaire, je connais les contraintes des services. Je préférerais qu’on m’ignore plutôt qu’on me traite de pute. Que je me crève à répéter que oui, je me protège, non, je ne suis pas enceinte… Il n’y a rien de fondamental à changer, il faut juste arrêter d’être stupide. Pourquoi quand mon père arrive, cet homme très masculin de deux mètres de haut par deux mètres de large, les yeux des infirmières se mettent à briller, alors qu’elles me traitaient comme une merde deux secondes auparavant ? Il faut sortir de ces principes arriérés. Ça dit quoi de la médecine d’admettre une pensée si archaïque ? Je ne suis pas une concurrente à abattre ni une proie à chasser là, je suis une patiente, avec des symptômes qu’il faut soulager… C’est terrible à dire mais j’ai peur de me maquiller quand je vais chez le docteur. J’ai peur d’être jolie en fait, plus que la praticienne ou juste assez pour le praticien. »

Quand la femme joue son rôle : un numéro parmi d’autres

Enceinte, Nadège l’était en 2017. De son deuxième enfant, une fille après un garçon né six ans plus tôt, sans accroc au CMCO. Aussi, Nadège s’y rend-t-elle « en totale confiance » lorsqu’un samedi, à terme, elle observe « des contractions qui sont régulières, longues, douloureuses » – une leçon qu’elle connaît encore sur le bout des doigts. Bien accueillie et vite monitorée, on lui confirme son accouchement imminent ; on lui annonce également qu’elle va être transférée, car le service est débordé. « Je ne comprends pas tout de suite ce que ça implique… Je n’avais pas envisagé d’accoucher ailleurs, c’était abstrait. »

À son arrivée dans « une clinique strasbourgeoise », la sage-femme qui l’accueille lui apprend qu’elle ne va pas accoucher. « Alors je lui dis que je ne suis pas experte, mais qu’au CMCO on m’a dit que si. » La sage-femme met Nadège sous monitoring, avant de s’éclipser. « Lorsqu’elle revient une heure plus tard, les choses prennent une tournure différente. » Sans l’ausculter, la sage-femme lui dit que ses contractions « ne servent à rien » sauf à la fatiguer ; elle lui propose une injection de Salbutamol pour se reposer d’ici au prochain point. « Je lui fais confiance, elle m’injecte dans la fesse et elle me glisse que je ne vais pas me sentir bien… Et effectivement, je fais très rapidement de la tachycardie. » Nadège ne se repose pas. Ses contractions cessent, son ventre se ramollit. « Je me dis que j’aurai dû me faire confiance, mais elle a autorité… » Durant la nuit, en allant aux toilettes, elle remarque qu’elle saigne. « Ça m’alerte, parce que le bébé est de rhésus positif et moi de rhésus négatif, ça peut créer un conflit au contact ! » Nadège s’élance dans les couloirs à la recherche de la sage-femme… « Et là, en me faisant les couloirs vides, je comprends qu’elle est certainement en salle d’accouchement. Que l’équipe est ultra-mobilisée ici aussi, et que je ne suis pas arrivée au bon moment. »

https://www.facebook.com/osezlefeminisme/photos/a.10150124462974510/10157092145929510/?type=3&theater


Le lendemain matin, Nadège demande à voir la gynécologue de garde. « C’est à ce moment-là seulement que l’équipe réalise qu’il y a quelque chose qui ne s’est pas fait. » L’échographie de contrôle est formelle, le placenta est calcifié. « Il faut que quelque chose se passe sous soixante-douze heures » mais Nadège n’a plus de contractions depuis l’injection. Le surlendemain, sa gynécologue la redirige vers le CMCO. Elle y accouche le soir, quarante-huit heures après avoir reçu la dose de Salbutamol. « On m’a appris que c’est un produit dopant dont l’effet dure deux jours… On l’utilise pour arrêter le travail en cas de prématuré. » Ou de service débordé ?

« Ce qui est fabuleux, c’est que j’ai attendu longtemps – jusqu’au bout – avant de descendre en salle d’accouchement. Parce que j’avais peur qu’on me dise, non madame, vous vous trompez. » En me refaisant le film, quand je pense que cette sage-femme me reçoit en me disant que je ne vais pas accoucher, je réalise que je n’avais aucune chance que ça se passe autrement avec elle. »

Le matin de sa sortie, Nadège ne se sent pas bien. « Mais je sais que comme je suis annoncée sortante, je ne suis pas prioritaire sur les visites médicales. » Elle prévient une sage-femme, lui explique qu’elle se sent moins bien qu’hier. « Elle me dit que c’est peut-être parce que j’ai peur de rentrer avec mon enfant. » Le lendemain, Nadège a quarante de fièvre ; elle sera hospitalisée plusieurs jours pour une infection de l’utérus. Des jours qu’elle manque avec son nouveau-né. « Je ne veux pas remettre la faute sur cette sage-femme, mais à trop vouloir économiser on nous renvoie trop tôt et ça nous met en danger. » Vide ou plein, l’utérus a toujours tort.


Pour trouver un.e gynécologue de confiance près de chez soi :
https://www.tabous.org/liste-gygy
https://gynandco.wordpress.com/carte-des-soignantes

Les lieux ressources strasbourgeois :
http://bas-rhin.PLANNING-FAMILIAL.org
http://basrhin.CIDFF.info

Florilège :
“Nous ne sommes que le 8 mars : voici 17 choses sexistes qui se sont passées en 2019” (France Inter)

Illustration : © Sandrine / Garage de l’offre

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