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De Strasbourg à Los Angeles, rencontre avec un artisan masqué

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Mais quel artisan strasbourgeois se cache derrière ce masque ? Xavier Noël travaille dans le quartier du Neudorf, à Strasbourg. Dans son atelier, il s’amuse à concevoir de drôles de monstres, tantôt enfantins, tantôt angoissants, qui semblent sortir tout droit d’un dessin-animé ou d’un rêve étrange. Issu d’une formation traditionnelle de doreur ornemaniste, il a construit pas à pas l’univers qui est le sien aujourd’hui. Bref, dans ce « Ô les mains ! » No. 3, après la céramique et l’enluminure, place à l’artisanat d’or, place à l’imagination.

Aussi loin qu’il s’en souvienne, Xavier a toujours été attiré par le monde des arts. Au lycée, c’est sa professeure d’art plastique qui voyait déjà en lui, un grand artiste : « lui, il sera dans les journaux ». Ces mots, il ne les oubliera jamais. Et c’est sans surprise qu’après son Baccalauréat, il souhaite s’orienter vers une filière artistique. Mais ses parents, eux, ne sont pas rassurés par les risques que représente cette voie : « ils m’ont dit : ok tu travailleras dans l’art, mais tu seras prof ». C’est donc dans cette idée qu’à l’Université, il étudiera les Arts Plastiques. Mais il n’y trouvera pas sa place : « je n’aimais pas qu’on m’impose des sujets ». Il se tourne alors un temps, sans réelle conviction, vers l’Histoire de l’Art.

Xavier tergiverse. Il fait plusieurs petits boulots en attendant de trouver l’idée lumineuse qui lui permettra de pleinement s’épanouir. Il travaille en tant que gardien de musée puis en tant que vendeur dans une boutique d’encadrement ou d’estampes. Et d’ailleurs, en repensant à son parcours il me dit en souriant : « C’est drôle, il n’y a vraiment pas de hasard, toutes ces expériences m’ont servi après ! » Et vous allez le voir par la suite, c’est bien vrai !

Et alors qu’il déambule dans les rues strasbourgeoises, il entre « par hasard dans l’atelier d’un doreur Rue des Orphelins  (…) je me suis dis : je veux faire ça ».

C’est à ce moment que Xavier entend parler du dispositif de transmission des savoir-faire rares et d’excellence créé par la FREMAA (Fédération régionale des métiers d’art d’Alsace). Une aide qui permet « d’appréhender des métiers qui n’ont pas d’apprentissage dans la région », ce qui est le cas du métier de doreur. Aujourd’hui, sans cette main tendue des membres de la FREMAA, Xavier en est certain, il n’aurait pas pu se former dans le métier qui lui plaisait : « Tu te sens épaulé  (…) j’ai vraiment rencontré des amis à la FREMAA. »

Pendant deux ans, il se forme dans l’atelier d’un artisan auréolé du titre de Meilleur ouvrier de France, installé à Schiltigheim. Il travaille sur des monuments historiques et restaure des œuvres d’art. Ce qui lui plait dans le métier de doreur, c’est de « redonner l’éclat à un objet ».

Ça y est, cette fois, notre artiste est comme un poisson dans l’eau ! Ce superbe lustre, c’est la pièce qu’il va réaliser à la fin de sa formation et qu’il exposera lors de son tout premier Salon Résonance[s] (dont je vous reparle plus bas).

Mais ce qui lui manque durant son apprentissage, c’est la liberté de la forme et l’occasion de réaliser des créations contemporaines. Lui, il rêve. Son désir ? Conjuguer savoir-faire traditionnel et modernité : « ouvrir un atelier de création lié à la technique de la dorure ». En 2012 c’est chose faite !

Seulement, Xavier se cherche encore. Au début, il pense réaliser des pièces utilitaires, mais très vite, il tourne en rond. Au final, « faire des pièces artistiques s’est imposé ». L’idée des masques lui vient alors qu’il pose les yeux sur un mur de chez lui : « j’avais accroché la photo d’un masque exposé au Quai Branly  ». C’est le déclic : « j’ai commencé à tâtonner avec ça ».

Mêlant sa sensibilité plastique et son savoir-faire de doreur, Xavier réalise des visages abstraits avec pour support des morceaux de bois flottés. Et pas la peine d’aller jusqu’en Bretagne pour en dégotter, c’est aux barrages hydro-électriques ou près du Port du Rhin qu’il les ramasse. Pourquoi du bois flotté ? Il s’agit d’un bois très tendre, tout comme le hêtre et le tilleul, avec lesquels il travaille aussi pour sa première collection, Fétiches.

Lors de son second passage au Salon Résonance[s], ses réalisations cartonnent ! Il se sent encouragé et prend confiance en ses idées et en son savoir-faire. Il décide alors de présenter sa candidature à Révélations, le Salon des métiers d’art et de création contemporaine. Cette biennale internationale, organisée par l’Institut National des Métiers d’Art (INMA), a pour habitude, à chaque édition, de mettre en lumière des pépites, les «  Jeunes révélations ». Xavier sera l’un des six lauréats 2015 du Prix de la Jeune Création Métiers d’Art. Et oui, rien que ça ! « Un jour je reçois un coup de fil à l’atelier, et là, on me dit que je vais exposer au Grand Palais. » Au GRAND PALAIS, s’il vous plaît.

À ce moment-là de sa vie, « c’était un tourbillon ». Il rencontre des personnes venues des quatre coins de la planète. Il vend ses créations à des amateurs d’art, des clients fortunés qui, sous le charme de son travail, font l’acquisition de ses œuvres sans s’inquiéter du prix. D’ailleurs Xavier Noël le dit lui même : « Tu as accès à un autre monde !  Je fais des pièces que je ne pourrais pas moi-même acheter. »

Avec cette notoriété grandissante, Xavier Noël se fait officiellement un nom en tant qu’artiste contemporain. Mais il faut faire attention, car « ça retombe un peu comme un soufflet » me confie-t-il.

Il est temps d’aborder la question qui est sur toutes les lèvres : comment réalise-t-il ces jolis petits monstres ? Lorsqu’il travaille dans son atelier, Xavier ne se cantonne pas à une seule pièce, mais en réalise plusieurs en même temps. Souvent, il laisse certains masques de côté, lorsque l’inspiration lui manque. Des masques inachevés sur lesquels il reviendra plus tard. Il a d’ailleurs évolué dans sa manière de travailler : « Avant, je faisais confiance à ma mémoire quand j’avais une idée. Maintenant je ne peux plus me passer de croquis ! »

Aujourd’hui, il a délaissé le bois pour doter ses créatures d’« une âme de fer ». Un grillage en métal qu’il va venir modeler lui sert de structure : « Je peux avoir les formes que je veux. » Avec cette technique, ce n’est plus la matière qui guide la forme, il peut en maitriser tous les aspects : « Je m’amuse avec un vocabulaire assez restreint : deux yeux, deux oreilles, une bouche, un nez (…) parfois la bouche est sur le front, parfois les yeux sont à la place du menton ou dans les oreilles. »

Ses grillages, il les recouvre d’une mixture de carton-pierre (oui, ça existe !) composée de ouate, de cellulose, de craie et d’une pincée de colle de peau de lapin, qui sert de liant au tout. Cette pâte, il en applique trois à quatre couches, ce qui lui permet de modeler toutes les formes. Après 24h et un séchage complet, il utilise un polissoir abrasif Dremel, pour obtenir une finition plus fine.

« Une fois que la base est bonne », vient l’étape tant attendue de la dorure. Il existe deux techniques différentes. La technique de la dorure à l’eau, plus fastidieuse et plus couteuse, et la technique dite « grasse » de la mixtion, utilisée par Xavier sur ses petites pièces. Mixtion, c’est le nom donné à la colle pour feuille d’or. Il existe plusieurs sortes de mixtions : la « mixtion 3h » ou la « mixtion 12h ». Il y a des temps de pose à ne surtout pas dépasser, au risque que la mixtion ne colle plus suffisamment. Si le temps est minutieusement respecté, « on dit qu’elle est amoureuse (…) elle est prête à recevoir la feuille ».

« Il ne faut pas que la feuille s’englue dedans. Tu dois attendre 12h et ensuite tu as une fenêtre de deux heures pour dorer, sinon après la colle est trop sèche (…) pour une mixtion de 3h tu as seulement 30min. »

Les outils d’un doreur sont très importants et peuvent les accompagner pendant l’ensemble de leur carrière. Son matériel, Xavier est tombé dessus par hasard : « Les outils que j’ai datent du début du XXe siècle. J’ai eu beaucoup de chance, parce que je suis tombé sur une annonce Ebay d’outils d’un doreur né en 1890 à Bordeaux, avec son carnet d’apprenti. J’avais l’impression qu’ils étaient faits pour moi, c’était trop étonnant de tomber dessus pile au moment où je cherchais à m’en procurer. » Son couteau, ainsi que ses pierres d’agate, sont le fruit d’un heureux hasard de transmission 2.0.

Néanmoins, son coussin à dorer, sur lequel on dépose les feuilles d’or, il se l’est fabriqué lui-même le jour où il a ouvert son atelier. Traditionnellement, ces coussins sont recouverts d’une peau de veau mort-né (désolé pour ce détail, mais il parait que c’est plus élastique).

Les feuilles d’or sont si fines et fragiles qu’on ne peut les manipuler avec les doigts, de peur de les déchirer. Cette étape est particulièrement délicate : « Au début, quand tu travailles la feuille d’or, tu évites de respirer (rire). Après tu apprends à gérer ton souffle. » Il manipule les feuilles d’or à l’aide d’un couteau à dorer ou encore d’une palette, un pinceau plat en poil de martre (de la famille de la fouine) ou de petit-gris (de la famille de l’écureuil). Puis il « défroisse » la surface et comble les marques avec la poussière d’or. Il attend ensuite 24h pour pouvoir brunir la feuille. Le brunissage permet de faire ressortir tout l’éclat de l’or et se fait à l’aide d’une pierre d’agate.

Et malgré cette mine (d’or) d’information sur la technique de la dorure, Xavier nous l’assure : « Le plus gros du travail, c’est avant la pose de la feuille d’or. » Néanmoins c’est un travail qui demande une grande patience.

Vient ensuite l’acrylique et autres décors : « Généralement en dorure, on dore avant de peindre parce que l’or dépasse sur la surface et même si je ne peins pas toujours directement autour j’aime travailler dans le respect de la tradition. »

Et comme un peintre qui dégainerait son nuancier Pantone, le doreur a lui aussi un large choix de feuilles d’or, variant de l’or jaune, à une couleur plus métallique, voire cuivre : «  Moins il y a de carats, plus il y a d’alliage et moins l’or est pur, mais certains métaux sont parfois tout autant précieux ». Toutefois, il ne faut pas se fier aux apparences, «  la feuille d’or ce n’est pas ce qui coûte le plus cher. Elle coûte environ 1€20.  »

Xavier mixe les matières : plumes, fourrures, pompons ou cordes créent un contraste étonnant. Autant d’accessoires qui nourrissent l’imaginaire et la rêverie qu’il souhaite susciter dans le regard du public.

Et alors que pour beaucoup, le métier de doreur est un «  métier cantonné à une image un peu kitch  », Xavier nous montre comment il a su concilier l’amour de la transmission et le respect «  de la technique traditionnelle d’ornementation et de la dorure » avec son regard moderne et décalé, nourri par des inspirations aux milles couleurs. « Je joue avec ce que l’on a pu voir dans la culture pop, dans les dessins animés du club Dorothée par exemple, les films de Miyazaki, les publicités MTV des années 80, les jeux vidéos (…) Parfois je mets des points sur le front de mes masques, en référence à un personnage de Dragon Ball Z (…) C’est avec tout ça que j’ai grandi  ». Il s’inspire également des estampes d’Hokusai « et de ses visages de monstres » ou des arts premiers. Un riche répertoire d’inspiration au service de l’image qui ne peut que piquer la curiosité et l’interrogation. Difficile de passer devant sans s’arrêter !

En créant ses propres codes, il invente sa propre discipline. Son inspiration, il la nourrit tous les jours en consommant des images en abondance : « Aujourd’hui tout peut venir à soi depuis la table de son petit dej’, c’est la magie de l’internet ! On a vachement de chance (…) je m’impose cet exercice tous les jours.  Avant, on faisait le Grand Tour, aujourd’hui il y a Tumblr, une de mes grandes sources d’inspiration. »

Aujourd’hui le travail de notre petit strasbourgeois l’aura même conduit à exposer sur un autre continent ! Son exposition, Golden SuperHeroes a eu lieu début septembre à Los Angeles (à LOS ANGELES) dans la boutique-galerie Please Do Not Enter. Par chance, il nous est revenu, et vous pourrez le retrouver, avec bien d’autres créateurs, très prochainement lors du superbe Salon Résonance[s] qui se tiendra du 10 au 13 novembre au Parc des Expositions à Strasbourg (JOIE).

«  C’est un métier où l’on peut te faire de bonnes blagues, du genre : 
Alors quand tu bosses tu dors ?  »

Quel est le métier qui te faisait rêver enfant ?
« Archéologue. Je passais mon temps à creuser le jardin chez mes parents ! »

Ton adresse strasbourgeoise préférée ?
« La pizzéria Napoli à Neudorf. Vivant et travaillant Neudorf, je mange souvent là bas, c’est familial, hyper sympa. Wali et Zaïdé sont l’âme du quartier ! »

Un artiste du coin que tu aimes tout particulièrement ?
« Christophe Hohler. Un artiste mulhousien dont j’admire les portraits hyper puissants depuis que j’ai travaillé à la galerie de L’Estampe qui vend ses gravures. »

Quels sont les artistes qui t’inspirent ?
« Beaucoup ! Surtout dans le design et la mode. Bernhard Willhelm, Walter van Beirendonck, Motoguo, ainsi que le travail de Charles Fréger, de Wim Delvoye, et la culture pop, de Bob l’éponge à Miyazaki ! »

          Ô les mains ! No. 1 : Virginie Gallezot, céramiste

          Ô les mains ! No. 2 : Aline Falco, enlumineuse

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Commentaires (1)

  1. Agréable découverte que cet artisan atypique. Il s’est cherché et aujourd’hui l’article de Manon Oller nous conduit vers cet “artisanat d’or” avec profondeur.
    L a lecture nous conduit petit à petit à la découverte d’un métier peu connu du grand public. Manon oller écrit :”« lui, il sera dans les journaux ». Personnellement je ne sais pas si cet artisan sera souvent dans les journaux mais j’ai l’intime conviction que cette Manon sera propulsée, sans doute possible, vers des horizons littéraires des plus prometteurs.
    Encore merci pour ce voyage “doré”.

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