Originaire de Syrie, Maher est arrivé en France il y a 5 ans. Après une escale à Paris puis à Marseille, où il a participé au Refugee Food Festival, c’est à Strasbourg qu’il a finalement pris racine. Motivé et volontaire, il est accompagné par l’association locale Stamtish dans son parcours professionnel. Et ce qu’on peut déjà dire, c’est qu’il régale ! Rencontre.
La passion de Maher ? Préparer de bons petits plats. Son rêve ? Ouvrir son propre restaurant. Pour en savoir plus et mieux le connaître, nous l’avons rencontré dans une cuisine.
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Maher, je suis Syrien et installé en France depuis 2018. À l’époque j’étais prof de biologie, physique et chimie, puis j’ai travaillé dans la formulation de médicaments en Syrie. Ce que je fais actuellement en Alsace aussi.
En 2016, j’ai été obligé de quitter mon pays pour le Liban, où j’ai travaillé dans un laboratoire de microbiologie. Ce n’est qu’en 2018 que je suis arrivé en France, j’ai appris la langue, j’ai vécu à Paris, à Marseille, et maintenant en Alsace. Je suis passionné de cuisine !
Depuis quand cuisines-tu ?
Je suis parti à Lataki en Syrie pour faire mes études, c’était la première fois que je vivais seul, j’avais 17 ans. J’ai commencé par des plats simples et ensuite j’ai suivi ma curiosité.
En arabe, il y a d'ailleurs un proverbe : « Le chemin le plus rapide vers le cœur de quelqu’un, c’est à travers son estomac ».
Qu'est-ce qui te plaît dans la cuisine ?
J’aime beaucoup manger (rire) ! En réalité, j’ai trouvé dans la cuisine une façon de communiquer avec les Français et les Françaises. C’est plus facile car il n’y a pas besoin de parler.
En arabe, il y a d’ailleurs un proverbe : « Le chemin le plus rapide vers le cœur de quelqu’un, c’est à travers son estomac ». La cuisine me donne accès aux gens, ça m’a permis de rencontrer du monde et même parfois de me faire des ami(e)s.
Peux-tu nous donner un exemple, d'un moment où la cuisine t’a permis de créer ce lien avec quelqu’un ?
Bien sûr ! Je cuisinais à Marseille pour le Refugee Food Festival et en arrivant en Alsace, j’ai demandé les coordonnées de Stamtish, l’association qui porte le projet à Strasbourg. C’est un bon exemple parce que ça m’a poussé à sortir de ma maison et à faire quelque chose.
Et puis je me suis fait beaucoup d’ami(e)s à Marseille grâce à la cuisine.
Qu’est-ce que tu souhaites transmettre à travers ta cuisine ?
La culture syrienne. Pourquoi on fait ça ? Comment on le mange ? Un repas en Syrie c’est pas la même culture à Damas ou à Alep. La Syrie, c’est la diversité. J’aimerais représenter ça en Europe.
Je connais beaucoup de restaurants syriens, mais à l’extérieur il est écrit « repas libanais ». C’est dommage, les Français(es), les Européen(ne)s, ne connaissent pas les véritables plats syriens. On attire les client(e)s en écrivant « libanais » car ça leur parle. C’est une forme de mensonge. Il faut représenter le pays.
Je veux aussi cuisiner en France pour apprendre la langue.
Non pas qu’il y ait un problème avec la nourriture libanaise, elle ressemble en tout point à la cuisine syrienne. Mais la différence est finalement la même qu’entre la nourriture à Marseille, à Paris ou ici, en Alsace. Par exemple, on dit « spätzles » mais ce sont des pâtes à la base ! Les différences entre la Syrie et le Liban sont du même ordre : les mêmes plats, mais différents savoir-faire, différentes méthodes, différents ingrédients.
C’est aussi le Moyen-Orient que j’ai envie de représenter. J’ai par exemple cuisiné avec Stamtish au restaurant du TNS (Théâtre National de Strasbourg). J’avais fait de la maqlouba, ça vient de Palestine. On le cuisine aussi en Syrie mais j’ai préféré dire que c’était palestinien, car c’est son origine et on l’a simplement importé en Syrie.
L’essentiel pour moi c’est de représenter la culture que je connais et d’essayer d’en faire quelque chose ici. J’ai passé 5 ans en France, pendant 3 ans c’était dur, j’étais toujours isolé chez moi. J’essaie donc de sortir, créer du lien, connaître la ville, la culture et le monde. C’est aussi un moyen d’absorber et apprendre la culture française.
Si je devais rentrer demain en Syrie, que rapporterai-je de la France ? La langue, c’est sûr. L’argent ? Non. La voiture ? Non. Le logement ? Non, non, non. L’une des seules choses que je peux apporter de France c’est la culture. C’est pour ça qu’à Marseille j’ai appris à jouer à la pétanque. Je me suis dit, ok c’est un jeu français, je vais importer la pétanque avec moi.
Je veux aussi cuisiner en France pour apprendre la langue. En 2020, pendant le confinement, j’étais vraiment isolé, j’en ai un peu perdu mon français.
Hier encore, j’ai eu droit à une remarque : « Ah, tu as des difficultés en français ! », ça m’a mis en colère. Je fais des efforts mais ça reste très difficile. Je me rends compte que je pense en arabe, ma langue maternelle, et il m’est compliqué de transmettre tout ce que je pense dans une autre langue. Surtout qu’il y a de grandes différences de sens entre les deux. Je veux vraiment améliorer mon français.
Justement, est-ce que tu peux nous parler d’un plat qui t’a fait voyager et découvrir une autre culture ?
J’en ai déjà parlé mais ici c’est les spätzles. En juin, j’ai cuisiné avec l’Orée 85, j’ai découvert les spätzles… et le bretzel ! Je sais qu’il me reste plein de choses à découvrir, je ne me met pas la pression, je laisse la vie me les apporter spontanément.
J’ai des cousins et ma sœur en Allemagne. Le jour où j’ai cuisiné avec L’Orée, je leur ai envoyé des photos et ils/elles m’ont dit « ah c’est Allemand ! » (rire). J’ai découvert un point commun entre les deux pays.
Et c’est vraiment ce que j’adore, les liens qui unissent les pays et les cultures. J’ai lu un article et j’ai découvert que le mot « orange » venait de Syrie. C’était magnifique. Je trouve ça génial de voir la manière dont un mot peut traverser les frontières. La cuisine peut aussi faire le lien entre les peuples. Elle unit les peuples.
D'ailleurs, qu'est-ce que tu es en train de cuisiner ?
C’est du kefta. On peut aussi dire « plat de viande au four ». C’est super facile à faire, j’en fais souvent parce que ça ne prend que 30 minutes, c’est délicieux et pas cher. Quand je rentre du travail, je mets ça à cuire le temps de prendre ma douche et c’est prêt.
Quels sont les ingrédients phares que tu utilises dans tes plats ?
Les épices, c’est sûr, et personnellement j’adore la tomate et le persil. J’essaie toujours de trouver quelque chose qui contient ces aliments-là. Pour les épices, j’adore le curcuma, le gingembre, la cardamome aussi, je l’utilise beaucoup dans le riz, c’est waouhhh.
Je mange beaucoup de viande. Mais un jour j’ai dû cuisiner une maqlouba végétarienne, avec seulement le riz, de l’aubergine et des épices pour en retrouver le goût. J’étais très étonné, je n’imaginais pas que ça pouvait être si proche.
J’aimerai ouvrir un restaurant syrien, c'est mon rêve.
Un plat qui t’a marqué dans ton enfance ?
En Syrie il y a beaucoup de plats différents, c’est difficile de choisir. Il y a ceux qu’on fait surtout le weekend, parce que toute la famille vient manger. La fatteh par exemple, ce sont des pois chiches avec du tahini, de la tomate. On fait aussi des falafels, du houmous, du moutabal…
Tu préfères cuisiner seul ou avec des gens ?
Depuis le confinement, je préfère toujours faire des choses avec les autres. Que ça me plaise ou non d’ailleurs, c’est même pas la question. Je passe la plupart du temps seul, sans parler donc chaque opportunité de passer du temps avec les autres est importante.
J’aimerai ouvrir un restaurant syrien, c’est mon rêve. Je travaille dur pour économiser de l’argent et j’espère vraiment y arriver un jour.