Ce jeudi 13 janvier, l’ensemble des personnels de l’éducation nationale était en grève. À Strasbourg, la mobilisation a comptabilisé plus de 1 000 personnes, réunies pour manifester contre les mesures prises par le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer. Protocoles incohérents, manques de moyens et mépris : les raisons évoquées sont nombreuses. Néanmoins, ils et elles avaient encore des choses à dire. On a ainsi recueilli plusieurs témoignages d’enseignants, de syndicats et de personnels de vie scolaire strasbourgeois.
La grève du jeudi 13 janvier a été la plus forte mobilisation de ce corps de métier depuis 2019. Le ministère a en effet annoncé 38,4 % de grévistes dans le premier degré et 23,7 % dans le second. De leur côté, les syndicats annoncent 75 % en maternelles et élémentaires et 62 % en collèges et lycées. Une mobilisation partie de la base selon Géraldine Delaye, secrétaire départementale de la FSU-67 : « Cet appel à la grève vient de nos collègues, qui ont interpellé leurs organisations syndicales en leur témoignant leur épuisement, leur ras-le-bol de la situation et le fort sentiment de ne pas pouvoir remplir les missions qui sont les leurs ».
Cette manifestation a également attiré des personnes comme Charline*. CPE, elle n’avait pas fait grève depuis plus de 10 ans. Pourquoi maintenant ? « Parce que cela fait 2 ans que les vies scolaires de France travaillent en apnée. 2 ans que nous recevons des instructions toujours plus floues le dimanche soir, par le biais de BFM TV ». Une situation que partage Guillaume, professeur d’histoire-géographie dans le secondaire : « J’en ai ras-le-bol d’être aussi mal considéré par notre ministre, par la population aussi. Marre de voir les règles changer tout le temps. Marre de subir tout ça sans la moindre compensation financière ou le moindre remerciement ».
Une colère contre Jean-Michel Blanquer, son mépris et ses incohérences
En ressort ainsi une vraie colère contre le gouvernement. Plus précisément, à l’encontre de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale. Dans le viseur ? Sa propension à annoncer les protocoles sanitaires dans la presse, plutôt qu’aux premiers concernés. Une attitude qui a motivé cette grève selon Constance, enseignante en école primaire : « Nous faisons une grève contre lui et ses mesures ridicules, qui nous mettent en danger nous, mais aussi les élèves et les familles. Les personnels de l’enseignement envoient un message de détresse à leur ministère et celui-ci choisit de nous dénigrer et de l’ignorer en se vantant seulement de n’avoir pas fermé les classes. »
Ce dernier point représente en effet une véritable fierté pour le gouvernement, énoncée à quasiment chaque nouvelle conférence de presse. Néanmoins, sur le terrain, le ressenti est tout autre. Et les incohérences nombreuses. Selon Constance : « Le brassage est interdit le plus possible. Dans mon école, on a eu plus de trois heures de réunion pour trouver une classe d’accueil aux élèves en situation de handicap qui ont besoin de passer du temps dans des classes normales. Tout ça pour nous dire qu’il est finalement interdit de les mélanger. Cependant, à la cantine et au périscolaire, non gérés par l’Éducation nationale, il n’y aucun souci à faire des groupes de classes mélangées ».
Des protocoles inefficaces et anxiogènes
Dans le viseur de la majorité des critiques : l’avalanche des protocoles sanitaires. En seulement une semaine, ils ont en effet déjà changé trois fois. Surtout, Jean-Michel Blanquer et Jean Castex les annoncent d’abord via la presse et la télévision. Et non pas aux premiers concernés. Une situation que déplore Juliette : « C’est l’incompréhension générale, les informations fusent et sont contradictoires. Le ministre – Jean Castex, ndlr – annonce de nouvelles mesures du protocole au JT de 20h. Mais elles ne sont pas encore en vigueur dans les écoles, puisque les textes ne sont pas encore publiés ! Les parents entendent des informations mais l’école leur dit l’inverse. ».
Un point de vue partagé par Clara : « Le protocole est inefficace. Il change tous les deux jours via les médias et il est surtout anxiogène, voire traumatisant, pour les enfants. La santé publique est primordiale mais le bien-être des enfants devrait être une priorité ». Guillaume ajoute : « J’en ai assez que les protocoles changent régulièrement. On a besoin de stabilité. On, c’est-à-dire les enseignants mais aussi les personnels non-éducatifs du lycée, les élèves, les parents. Les protocoles nous éloignent les uns des autres, et surtout des parents ». Constance ajoute : « Je ne suis pas contre les protocoles. Ils sont nécessaires si on veut un jour pouvoir retrouver notre société d’avant pandémie. Cependant, les derniers protocoles ne sont pas sérieux. Ils se moquent des élèves et des personnels de l’enseignement. »
Des conditions de travail qui se sont dégradées
Depuis deux ans maintenant, les conditions de travail des corps enseignants et personnels de l’Éducation nationale se sont fortement dégradées. Selon Juliette : « Mes collègues et la directrice essayent de gérer tant bien que mal les cas positifs, cas contact directs, cas contact garderie, cas contact cantine, résultats des nombreux tests successifs, signatures des attestations sur l’honneur au portail, colère des parents, décryptage des consignes du ministère qui changent tous les deux jours… C’est le chaos et la panique totale ». Une réalité également décrite par Constance : « À côté de ce flux incessant en classe, il y a les élèves positifs, ceux qui sont à la maison. Il faut alors envoyer à ceux qui ne sont pas là les exercices, les leçons, ce qui a été fait en classe pendant la journée. Le tout, adapté pour que ce soit faisable à la maison. Nos heures de travail augmentent très vite. »
En résulte alors une situation très difficile. Guillaume abonde dans ce sens : « Depuis la rentrée, je vis sûrement l’une des années les plus difficiles de ma carrière en terme de masse de travail et de stress/fatigue ! ». Une conséquence du changement permanent des consignes selon Clara, qui demandent « une sacrée capacité d’adaptation ». Un travail constant qui, pour Charline, ne doit pas être oublié : « La pandémie a touché tout le monde de plein fouet. Les soignants se sont dévoués à aider leur prochain sans jamais faillir, ainsi que beaucoup d’autres personnes qui nous ont permis de manger, même lorsque nous étions confinés. Mais on oublie un peu de dire que depuis 2 ans, les établissements scolaires ont aussi donné toute leur énergie pour permettre aux enfants de continuer à s’instruire ».
“On nous demande toujours plus, avec moins de personnes…”
Malgré toute l’énergie déployée, les personnes interrogées font toutes le même constat : elles ne peuvent pas faire leur travail comme elles le souhaiteraient. Entre lassitude et colère, Géraldine Delaye résume : « Les enseignants, les infirmières scolaires qui ne font que du contact tracing, les personnels d’encadrement, administratifs, techniques… Partout il y a ce même sentiment de ne pas pouvoir remplir les missions qui sont les leurs et travailler dans des conditions qui ne sont pas les situations de sécurité maximale. On demande de faire tourner dans la boutique alors qu’on manque de matériel et de personnes. Comme s’il n’y avait pas de crise sanitaire. Comme si ça n’avait pas de conséquences sur les élèves ou les enseignants ». Charline résume : “On nous demande toujours plus, avec moins de personnes…”
Alors que l’épidémie galope, difficile de maintenir la continuité pédagogique. En effet, avec le flux tendu des absents et revenants, les cours n’avancent pas. Une réalité du terrain que décrit Constance : « Avec ces protocoles, la dernière fois que j’ai fait classe devant tous mes élèves c’était en novembre. Depuis la rentrée de janvier, c’est encore pire. Mais pendant ce temps, le rythme en classe doit continuer. » Juliette développe : « On se retrouve avec 1, 2, 4, 10 élèves. On a beau prévoir nos apprentissages, il est impossible de mettre en œuvre les activités. On ne peut pas anticiper qui sera là et pour combien de temps, avant le prochain cas positif qui engendrera un nouvel épisode de “cas contact”. C’est de la garderie au jour le jour ».
Assurer le service après-vente du ministère
Le manque de moyens et de personnel oblige les enseignants à faire toujours plus. Une des raisons ? L’Éducation nationale peine à recruter des contractuels pour remplacer les enseignants absents. Géraldine Delaye développe un choix assumé : « C’est un choix financier. Ils ne proposent pas de recruter des enseignants de façon pérenne, mais seulement des contractuels. Ils se retrouvent même à demander à des retraités de revenir, plutôt que de recruter des fonctionnaires ». Ainsi, pour Juliette, les enseignants se retrouvent à assurer le service après-vente du ministère : « Des heures d’appels, d’envoi de mails explicatifs, de débats pour se justifier au sujet d’un protocole dont on n’est pas responsable. Le tout, en gérant les sorties des élèves, cherchés au compte-gouttes, et les élèves encore en classe qui demandent de l’attention… ».
Pour Charline, c’est même la découverte d’un tout nouveau métier : « Cela fait 2 ans que l’on s’est improvisés personnel de santé pour répertorier les cas de Covid, signaler, isoler, prévenir, informer… » Du côté de Clara, ces difficultés administratives s’ajoutent à toutes les autres : « Les profs se cassent la tête à trier les attestations sur l’honneur des tests négatifs, à envoyer le travail aux covidés et aux absents qui s’auto-isolent et à essayer d’enseigner efficacement toujours masqués ». Charline conclut : « La situation se dégrade d’année en année. Je suis pourtant quelqu’un de positif, qui souhaite toujours avancer, progresser, trouver des solutions. Mais la réalité du terrain me rattrape ».
« Je me sens comme un punching-ball »
Par ailleurs, les enseignants et personnels de l’Éducation nationale se retrouvent également en première ligne face aux familles. Juliette débute: « Je me sens comme un punching-ball qui encaisse la colère de certains parents ». Une réalité également partagée par Charline : « Comme on est les premiers à être en contact avec les familles, qui croyez-vous qu’on agresse quand on n’est pas content des nouveaux protocoles imposés par le Ministre pour son enfant ? ».
Guillaume poursuit : « Je dois suivre les élèves sur l’orientation, qui sont de plus en plus paumés. Comme les familles, qui se retrouvent encore plus éloignées du lycée à cause du Covid. Je dois aussi gérer les liens avec les familles, dont les enfants sont touchés par la pandémie. C’est lourd à porter ». Un sentiment partagé par Charline : « Les vies scolaires sont tristes, épuisées, souffrent de ne pas pouvoir faire leur travail correctement. » En somme, de la fatigue, de la tristesse et de la colère. Et comme le résume Nicole : « Aujourd’hui, les établissements étouffent ».
Des premières réponses insuffisantes mais de l’espoir pour la suite
Alors finalement, qu’attendre des résultats de la grève du 13 janvier ? Pour Charline, les demandes sont simples : « En vie scolaire, nous demandons l’arrêt des suppressions de postes d’assistants d’éducation à chaque rentrée. Nous demandons des masques, du gel hydroalcoolique, des capteurs de CO2, des directives claires qui ne changent pas tous les jours et la pérennité du contrat des assistants d’éducation. Pour les CPE, être payés pour nos heures supplémentaires. Rien que ça. Le reste on supporte, depuis 2 ans, depuis toujours ». Pour Géraldine Delaye, il y a un espoir : « Quand il y a un mouvement aussi massif et aussi diversifié, on a quand même espoir que le gouvernement se rendre compte que non, tout ne va pas bien. Est-ce que le ministère va fermer des postes dans les lycées et des classes dans les écoles primaires alors que tout le monde dit qu’on manque de moyens et de personnel ? »
Pour l’instant, repris par France Info, Jean-Michel Blanquer a annoncé que l’Éducation nationale allait faire appel à 3 300 contractuels supplémentaires et que 5 millions de masques FFP2 seraient “diffusés dans le système scolaire”, notamment pour les enseignants en maternelle. Pour la question du report des épreuves du bac en mars, le ministre l’a également évoquée. En tous les cas, pour Géraldine Dalaye, cette journée du 13 janvier en appellera d’autres : « Le 27 janvier, il y aura une journée consacrée à la revalorisation salariale. Depuis 10 ans, on a perdu 25 % de notre pouvoir d’achat avec le gel du point d’indice. Quoi qu’il en soit, les suites de cette journée c’est avec les collègues que l’on va la construire ».