Si l’idée que « l’intime est politique » se généralise depuis les années 1960, du 12 mars au 4 avril, le Maillon (théâtre de Strasbourg – scène européenne) se penchera sur la question plus large encore des « Corps politiques ». Ceux des autres, et le nôtre : « Entre assignation et résistance ». Dans son nouveau Temps Fort : cinq spectacles dont deux premières françaises, quatre ateliers artistiques, des rencontres et deux projections au ciné… Pour faire corps ensemble, et, peut-être, ouvrir de nouvelles fenêtres. Présentation.
Nous aimerions nous croire des esprits libres, pourtant, nous sommes aussi des… corps. Et si ces corps « vivants, vulnérables, appelés à disparaître » rendent « les êtres humains égaux », comme le souligne Barbara Engelhardt – directrice du Maillon – dans son édito, ces corps sont pourtant aussi contraints par des normes, « soumis à des assignations, des catégorisations et des évaluations ».

« L’histoire de l’humanité est aussi une histoire des corps, qui a produit des inégalités. Non seulement les processus économiques et les politiques impriment leur marque sur ceux-ci, mais aussi les préjugés et l’intolérance, les conceptions de soi et les normes par lesquelles nous construisons les identités. Le corps est profondément politique, notamment parce qu’il a toujours déterminé le degré de participation et d’exclusion dans les sociétés », écrit Barbara Engelhardt.
Et bien qu’il ne puisse s’extraire de son contexte, et des « systèmes qui le régissent », il n’en est pas moins un levier d’action, avec un « immense potentiel de résistance et d’obstination ».

C’est en ça qu’à travers son nouveau Temps Fort, le Maillon nous invite à réfléchir à ces « Corps politiques – entre assignation et résistance », du 12 mars au 4 avril. Puisque les arts scéniques « comme aucun autre art, expose[nt] l’humain de manière sensible comme corps concret, touchant, réflexif et éminemment politique ».
Il nous présentera ainsi cinq spectacles (dont deux premières françaises) et proposera quatre ateliers. Pour aller plus loin, il déroulera une programmation thématique avec deux « projections complices » (au cinéma Le Cosmos), une conférence (Nomadisme des corps – nomadisme des identités avec l’éminent David Le Breton, anthropologue, sociologue et – entre autres – professeur à l’Université de Strasbourg), ainsi qu’un « Espresso » avec sa directrice.
Cinq spectacles engagés
« Mon corps, mon choix »
Alors que l’actualité – tant nationale qu’internationale – nous rappelle chaque jour que le droit à l’avortement n’est pas un acquis et qu’il est à défendre, le Maillon reprogramme Reconstitution : Le procès de Bobigny d’Émilie Rousset et Maya Boquet (déjà présenté en 2019).
Le point de départ ? Quand la jeune Marie-Claire Chevalier, âgée de 16 ans et ayant choisi d’avorter après avoir été violée, comparaît aux côtés de sa mère au tribunal de Bobigny à l’automne 1972. Un procès historique, incarné par une avocate qui marqua l’histoire : Gisèle Halimi.

Dans ce spectacle immersif présenté plus de 50 ans après les faits, les deux artistes proposent un « un dispositif inédit fondé sur l’expérience intime de l’écoute » : des comédien(ne)s donnent la voix « aux témoins d’hier et d’aujourd’hui », pour découvrir « ce moment qui mit la question des droits des femmes au cœur du débat public ».
« Une restitution actualisée, qui fait écho aux enjeux du présent sur l’avortement, entre reconnaissance constitutionnelle et remise en cause ». À écouter, du 12 au 14 mars [le spectacle est complet, mais une liste d’attente sera proposée, ndlr].
À quelques jours, lui aussi, de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes (samedi 8 mars), le Maillon présentera du 13 au 15 mars New report on giving birth (en partenariat avec Pole-Sud CDCN).
Une nouvelle mouture de Report on giving birth, un spectacle de danse imaginé il y a 24 ans par la chorégraphe chinoise Wen Hui (et le Living Dance Studio) à partir de témoignages de femmes sur leur accouchement, et qui l’a fait connaître sur les scènes européennes.

Dans celui-ci, au moyen d’archives, de documents visuels et récits de vie, elle met en scène quatre danseuses aux profils différents, pour s’interroger « une nouvelle fois sur la façon dont le pouvoir assujettit les femmes et leur assigne un rôle et une fonction. Car par-delà la diversité des contextes culturels, le corps féminin demeure encore et toujours objet et enjeu du politique. »
Car « des nouvelles mesures d’encouragement à la natalité en Chine, à la remise en cause concrète de l’avortement aux États-Unis, en passant par les exactions perpétrées contre celles qui refusent de porter le voile en Iran, la coercition à l’endroit des femmes est une constante à laquelle doit s’opposer l’art ».
Plus tard en mars : plongée dans l’univers de Magic Maids imaginé et incarné par les chorégraphes et danseuses Eisa Jocson et Venuri Perera. Si la première est philippine et la seconde, sri-lankaise, leurs parcours ont en commun d’être traversés par des thématiques qui se répondent entre elles : du genre à la violence du patriarcat, de la migration à celle de l’héritage colonial, etc.
Toutes deux originaires de pays exportant massivement de la main-d’œuvre féminine, les deux femmes ont recueilli des récits de travailleuses domestiques, pour leur spectacle mêlant danse et performance, et nourri leur travail de lectures et observations personnelles… En y mêlant l’image des sorcières, et celui du balai, « à la fois attribut magique et outil de travail, [qui] devient symbole d’oppression tout autant que de révolte, [et] avec lequel interagissent les corps ».

On peut voir en Magic Maids « une incantation originale contre l’invisibilité du soin », où « le sens de l’humour autant que celui du rituel ont leur part dans cette performance qui fait vaciller les rapports de pouvoir, en y opposant la solidarité féminine et l’intimité ». Une première en France, au Maillon les 20 et 21 mars.
Exister, dans le regard des autres
Du 26 au 28 mars, plongée dans le Parallax de Kornél Mundruczó et du Proton Theatre (Hongrie). Un portrait croisé de trois générations par un « lucide observateur des mécanismes intimes et politiques ».
« Dans une scénographie riche de détails et de surprises », nous dit-on, trois personnages en quête d’eux-mêmes… De « la grand-mère à Budapest qui refuse d’accepter une médaille de rescapée de la Shoah [à] sa fille à Berlin, qui au contraire fait valoir une identité juive pour obtenir une place pour son fils dans une école ; [à] ce même fils, en quête d’identité en tant qu’homosexuel, entre joyeuse débauche et discrimination ».
« L’identité est-elle un poids, une libération ? Une affaire de point de vue ? »

Dans Romáland, Anestis Azas et Prodromos Tsinikoris laisseront la scène à une communauté méconnue, marginalisée et sujette aux « préjugés et représentations fantasmagoriques largement partagés » : celle des Roms de Grèce.
Dans ce spectacle – qui fera sa première française au Maillon du 2 au 4 avril –, le duo donnera pour une fois la parole « à celles et ceux dont on parle », afin de « reconqu[érir] une voix politique en témoignant de leur stigmatisation ».

Celui-ci s’inscrira également dans le mois « Opre Roma ! » (du 1er au 30 avril), organisé par le Conseil de l’Europe à l’occasion de la Journée internationale des Roms (8 avril), et qui suit une politique menée depuis plus de 50 ans par celui-ci en faveur des droits fondamentaux des Roms et gens du voyage en Europe.
[D’autres événements seront à retrouver à Strasbourg, pour témoigner de la contribution de la langue, de la culture et de l’histoire roms au patrimoine culturel européen, ndlr].
Faire corps ensemble : les ateliers « Stilmix »
Parmi les nombreux rendez-vous de ce Temps Fort : les ateliers du samedi 15 mars. Trois d’entre eux sont organisés en partenariat avec le CFPI (Centre de formation des plasticiens intervenants de la HEAR).
Ces ateliers « Stilmix » (« à la croisée des genres » en allemand) portés par sept artistes, nous amèneront dans une « série d’expériences collectives où l’imaginaire et la fantaisie ont la part belle ».

« L’étroit mousqueton » (proposé par Milo Berger, Camille Maupas et Anouk Parmentier), prendra la forme d’un atelier plastique s’adressant à toutes et tous dès 10 ans. L’idée : réfléchir aux liens qui nous unissent (qu’ils soient choisis ou subis), et les matérialiser à partir d’objets de récup’ « pour s’en défaire, s’entrelacer, les reconjuguer en attaché », dans « une chaîne humaine au fil de laquelle, co-lié·es, comme des maillons, [toutes et tous] expérimenteron[t] l’unisson ».
Dans le curieux atelier culinaire d’Oriane Brunat et Cécile Espinasse, « À l’intérieur, décor » (dès 12 ans), il s’agira « de célébrer nos corps symbiotiques » où cohabitent « autant de microbes (bactéries, levures, virus…) que de cellules humaines ». Manipulation de grains de riz et pâtes à gâteau au menu, pour « abord[er] les microbes comme traces de nos existences, monnaies d’échange, compagnons nécessaires ».

Enfin, pour le Stilmix#3, « À pieds joints dans le commun » (dès 14 ans) : place à l’écriture et au langage des corps, avec Lise Herdam et Sophie Rogg. « Gestes hérités, gestes répétés, gestes imposés, les mouvements que nous faisons racontent des histoires de travail, d’intimité, de rituel. Sont-ils assignés à des normes, créateurs de lien ou de rupture ? ». Pour tenter d’y répondre : un travail collectif et ludique qui « interroge nos corporalités, leurs dimensions politiques et poétiques, et les mots qu’elles nous inspirent ».
Pour le reste, on vous laisse avec la programmation complète. À chacun, chacune, de s’y jeter à corps perdu – ou retrouvé.
Événement
Temps Fort « Corps politiques – entre assignation et résistance »
Quoi ?
Spectacles, ateliers (gratuits), rencontres, projections
Quand ?
Du 12 mars au 4 avril 2025
où ?
Au Maillon (Théâtre de Strasbourg – scène européenne)
1 boulevard de Dresde, à Strasbourg
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