Nous sommes nombreux et nombreuses à nous interroger sur l’impact de notre passage sur Terre. Partout, des initiatives personnelles ou collectives œuvrent à la minimisation de l’impact de l’Homme sur la planète. Mais qu’en est-il de la pollution que nous générons une fois que nous quittons le monde des vivants ? Continuons-nous à polluer même après notre mort ? Les habitants du petit village de Sternenberg, dans le Haut-Rhin, se sont posés ces questions lors de la création de leur cimetière municipal, ce qui les a conduits à inaugurer le premier cimetière bio d’Alsace. On est allé y faire un tour.
Depuis toujours, les habitants de Sternenberg enterraient leurs morts à trois kilomètres de chez eux, dans la commune voisine de Bretten. Mais en 2021, ce petit village de 170 habitants a inauguré son propre cimetière.
Située en lisière de forêt, la dernière demeure des Sternenbergois est imprégnée de quiétude, à l’image de ce petit village où seuls les caquètements des poules et les aboiements des chiens troublent le calme.
Le parcours est reposant, on se promène sur un chemin à travers la forêt, pendant que les oiseaux assurent l’ambiance musicale. Le moment est bucolique.
Rien ne laisse présager que ce charmant sentier de promenade est un champ de repos éternel. Ici, pas de stèles en marbre pesantes bien rangées : seules des feuilles et des fleurs habillent le sol. Car c’est là tout le concept d’un cimetière bio : ici, tout ce qui est inhumé (cercueil, textiles et même corps), doit être bio dégradable et ne pas contenir de produits chimiques, pour diminuer notre impact sur l’environnement.
Un endroit qui respire la tranquillité et la sérénité : “On voulait créer un endroit où on a envie de rester et d’accepter la mort, car c’est notre lot à tous”, explique Bernard Sutter, le maire de Sternenberg.
Les rites mortuaires : un acte polluant
Tout a commencé lorsque les nouveaux arrivants de Sternenberg se sont étonnés de l’absence d’une dernière demeure dans l’enceinte du village. Pour répondre à ce besoin, le maire et ses collaborateurs ont commencé à réfléchir à l’aménagement d’un lieu pour accueillir leurs défunts.
Dans cette entreprise, leur souci majeur était la préservation de l’environnement. Car depuis bien longtemps, la dimension écologique est au centre des préoccupations des habitants de ce village, qui pratique l’extinction de l’éclairage public la nuit depuis déjà une quinzaine d’années : “Notre réflexion était de respecter les morts et les vivants”, raconte Bernard Sutter.
Et il y a de quoi s’inquiéter. Depuis quelques années, en France, on commence à se questionner sur la pollution générée par nos rites mortuaires. Selon une étude d’octobre 2017 réalisée pour les services funéraires de la ville de Paris, une inhumation produirait jusqu’à 833 kg de CO2, ce qui équivaut à 11% des émissions d’un Français moyen sur une année.
En cause : les cercueils dont les bois sont vernis avec des solvants, les poignées contenant du plomb, les moyens de locomotion nécessaires pour déplacer le défunt entre le moment du décès et l’inhumation, et les corps traités. Car depuis les années 1980 en France, la thanatopraxie a pris le dessus sur la conservation des corps par le froid. Cette méthode de préparation du corps vise à rendre le défunt présentable par l’injection de liquides de conservation tel que le formol.
Selon les estimations, entre six et dix litres de formol seraient administrés par dépouille. Mais une fois que les chairs entrent en décomposition, les liquides imprègnent le bois, puis la terre, et enfin finissent par polluer gravement les sols et les nappes phréatiques.
Sans parler des traitements chimiques reçus par le défunt au cours de sa vie, comme le rappelle Michel Kawnik, président de l’AFIF (Association Française d’Information Funéraire) dans une enquête du magazine Reporterre : “Les produits ingérés durant la vie ne sont pas anodins, notamment les produits chimiques dans l’alimentation, mais aussi certains traitements médicaux comme la chimiothérapie ou la contraception […] tout ce qui est ingéré et accumulé durant la vie se retrouve dans les sols à la décomposition des corps”.
La forêt comme dernière demeure
Conscient des conséquences environnementales qu’entraînerait la création d’un cimetière classique, le Conseil municipal de Sternenberg s’est penché sur plusieurs options : “Dans un premier temps, nous avions choisi de faire uniquement un columbarium (mobilier composé de cases, qui contient les urnes renfermant les cendres des défunts, après crémation, cqfd) […] puis nous nous sommes dits qu’il serait bien de laisser les familles des défunts choisir leur mode d’inhumation”, explique Bernard Sutter.
En parallèle de ces réflexions, le maire découvre l’existence ailleurs en France de cimetières plus respectueux de l’environnement. Après la visite de l’un d’entre eux dans le Cantal, il est conquis par cette nouvelle forme de nécropole, répondant aux problèmes environnementaux (et même économiques !) de notre époque.
Pour le choix du lieu, la forêt à l’entrée du village s’est vite posée comme une évidence : “Quand on est sur le sentier, et qu’on se retourne on a une très belle vue sur le village, s’émeut Bernard Sutter, et puis nous n’avons pas eu besoin d’aménager les espaces : on n’a pas mis de pelouse, on laisse les feuilles tomber, les plantes pousser, la nature faire sa vie”.
C’est justement pour respecter le rythme de la nature que le règlement du cimetière est très strict : les corps ne doivent pas avoir été traités, tout comme le bois des cercueils.
Pas d’étalage de marbre non plus, l’emplacement des défunts est indiqué par une petite stèle carrée à l’image de celle qui se trouve à l’entrée du cimetière. “Les fleurs en plastique sont interdites, ajoute Bernard Sutter, dans le mois qui suit l’inhumation, il y a possibilité de mettre des plantes ou des rosiers en pleine terre, mais c’est tout”.
Des racines pour l’éternité
La seule végétation non-naturelle se trouve à l’entrée du cimetière. À l’entrée du sentier, se dresse un arbre en fer qui vient prolonger la forêt. Ses feuilles en forme de cœur portent les noms de tous les Sternenbergois décédés depuis 2000 : “C’est l’arbre de vie, l’arbre des gens qui ont fait partie de la communauté”.
Une manière de réunir tout le monde à tout jamais, et comme l’arbre qui s’épanouit, d’implanter ses racines à Sternenberg, pour toujours. C’est d’ailleurs pour cela que le cimetière porte le nom romantique de S’ewigkeit Plénla, en français : le petit coin d’éternité.
Le petit coin d’éternité pourrait bien devenir grand, puisque l’idée a séduit d’autres communes alsaciennes : “Nous avons reçu la visite de plusieurs municipalités dont la CUS”, raconte Bernard Sutter. La généralisation de ce type de lieu dédié au repos éternel dans le respect de l’environnement serait un bel espoir pour la nature et les générations futures.