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Décrire l’invisible : rencontre avec les audiodescripteuses du TNS de Strasbourg

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Saviez-vous qu’au Théâtre National de Strasbourg (TNS), une petite équipe s’organise pour rendre le théâtre accessible à des personnes en situation de handicap visuel ? Béatrice et Laurie, toutes deux audiodescripteuses de pièces de théâtre pour des publics amblyopes, malvoyants et aveugles, nous ont accueillis pour nous en dire plus sur ce métier de l’ombre. Comment décrire par la voix un spectacle vivant, des comédiens, des décors, des gestes et des déplacements, le tout en direct ? Elles nous expliquent.

Au Théâtre National de Strasbourg (TNS), Béatrice s’occupe des relations avec les publics scolaires du secondaire, notamment avec des lycées professionnels et technologiques. Laurie, elle, est chargée des publics du champ social, regroupant entre autre les femmes victimes de violences conjugales, les seniors ou encore les personnes avec un handicap. 

Le but de ce duo de choc ? Briser l’image élitiste de l’institution, en donnant la possibilité et l’envie à toutes et à tous de découvrir le théâtre contemporain.

Dans cet objectif, l’une des facettes de leur métier est la création d’audiodescriptions de spectacles : grâce à un texte écrit en amont, elles décrivent en direct, avec leur voix, les éléments visuels de la pièce qui est jouée sur scène à un public de personnes amblyopes (dont l’un des deux yeux dysfonctionne), malvoyantes (dont l’acuité visuelle est très diminuée), et aveugles.

Plongée dans l’envers du décor d’un monde imperceptible, où les cordes vocales des unes peignent et guident l’imaginaire des autres.

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TNS audiodescription
© Léa Daucourt / Pokaa

En amont du spectacle : un travail de séléction et d'écriture

Il est très rare qu’un théâtre crée les audiodescriptions lui-même. En effet, en France, bon nombre d’entreprises et d’associations proposent tout un catalogue et contactent d’elles-mêmes les théâtres quand elles remarquent la programmation d’un spectacle qu’elles ont déjà audio-décrit. L’équipe du TNS, elle, met un point d’honneur à le faire en direct et à ne pas sous-traiter ce dispositif. 

Ce savoir-faire se transmet depuis des années dans la maison, et ce même avant le mandat Stanislas Nordey, directeur du TNS. Chaque RP déjà formé(e)s (chargé(e)e de relations avec les publics) transmet son expertise aux suivant(e)s.

Pour commencer ce long travail, Béatrice et Laurie doivent sélectionner six spectacles de la programmation annuelle du TNS, joués à l’identique : aucun changement artistique n’est opéré pour le public malvoyant, toujours intégré aux autres spectateurs. Le public concerné doit donc se renseigner en amont sur la programmation de la saison afin de choisir les spectacles pour lesquels des audiodescriptions sont proposées.

Les critères à prendre en compte lors de leur sélection foisonnent. Par exemple, les spectacles avec écran sont à bannir : impossible de décrire la narration en même temps qu’un écran défile. Les spectacles trop bavards, eux, manquent d’espaces, de blancs pour accompagner les choses qui se voient. Qui dit spectacle très filé, dit voix superposées.

Le tout devient alors inaudible : quand on a que le son, trop d’information tue l’information. Il faut aussi penser aux timbres de voix des comédien(ne)s trop similaires : dans ces cas-là, le public en situation de handicap peine à identifier qui parle et finit par s’emmêler les tympans. Tout le pari est « de trouver les bons moments pour s’infiltrer, noter l’éventuel trop plein d’éléments discursifs et complémentaires. Leur expliquer soit un peu avant, soit un peu après», explique Béatrice.

L’équipe d’audiodescripteuses et le public s’interrogent ensuite ensemble sur la meilleure façon de parler de la matière, de la couleur, des détails, afin de décider jusqu’où la précision doit aller. La description la plus plastique possible est souvent la plus aidante. Le duo a également des temps d’échanges avec des associations pour les réaliser le plus justement possible, notamment l’association APIDV (Accompagner, Promouvoir, Intégrer les Déficients Visuels).

Enfin, travailler une audiodescription prend deux grosses journées. Les audiodescripteuses demandent à l’équipe technique de faire une captation de la première du spectacle, même deux : spectacle vivant, sécurité oblige. À partir de ça, elles les déroulent en prenant des notes, chronomètrent les temps d’espace, souvent différents d’une représentation à l’autre.

Elles notent des indications comme « il faut aller vite », et toutes autres précautions utiles à bien garder en tête. Puis elles répètent comme si elles étaient en loge. Béatrice explique qu’elle n’écrit pas des phrases entières : elle écrit comme de la poésie, va à la ligne souvent pour avoir des temps de respiration.

Un travail d'équipe qui commence dès l'entrée

Tout ce travail se fait en collaboration étroite avec l’équipe technique du TNS. En raison de tout le protocole d’accueil, d’accompagnement, d’équipement, d’installation en salle, le public malvoyant doit arriver trois quarts d’heure avant la représentation. 

Pour que ce temps d’accueil soit le plus fluide possible, l’équipe est toujours constituée d’un agent d’accueil, d’un ouvreur ou d’une ouvreuse dédié(e)s à l’accompagnement du public en situation de handicap, tous(tes) formés par les RP, présentes à plusieurs.

Il faut aussi penser à tous ces détails qui n’en sont pas. Quand la personne arrive, il faut systématiquement lui parler en se présentant et en redonnant à chaque fois son prénom, afin qu’elle puisse identifier à qui elle a à faire. « Il faut aussi toujours bien présenter son coude en angle droit. C’est la personne qui prend le coude et qui s’adapte à ce que tu fais, sinon, ça peut être violent de se faire prendre le bras sans consentement. ».

Le public peut alors prendre place avant les autres spectateurs, se faire installer leur casque sur l’oreille, les régler sur le côté pour voir si chacun fonctionne. En parallèle, l’audiodescripteuse s’installe en régie, fait un test de voix afin de vérifier si tout est bon pour tout le monde. Si tout va bien, la RP d’en bas lui fait un signe.

Les personnes amblyopes, malvoyantes et aveugles doivent impérativement être au plus proches de la scène pour entendre le mieux possible, ressentir toutes les vibrations, toute l’énergie, tous les petits détails les plus subtils à percevoir. Certaines personnes viennent même accompagnées de leur chien. Il y a un vrai lien avec la billetterie : certaines salles sont placées comme la salle Koltès, d’autres ne le sont pas. Une petite vingtaine de places doivent être bloquées au deuxième et au troisième rang.

« Le choix des mots utilisés est très important »

Un moment d’introduction d’une dizaine de minutes est prévu avant chaque spectacle. Ce temps d’explications énumère le metteur en scène ou l’auteur(ice), son parcours, le processus de travail par rapport à ce spectacle là, les noms des comédiens et de leurs personnages respectifs.

Suit ensuite une présentation physique : la couleur de leurs yeux, de leurs cheveux, la carnation de leur peau, leur silhouette. Raconter l’histoire sans trop en dire afin qu’ils puissent la découvrir au plateau. Sans spoiler, mais en anticipant certains éléments impossible à dire à certains moments du spectacle.

Pendant cette introduction, Laurie ou Béatrice (elles sont quatre audiodescripteuses en tout, et se répartissent les spectacles à l’année) indiquent les changements de costumes, les déplacements sur le plateau, les entrées et sorties à cour ou à jardin – fidèles au jargon – les éléments du décor qui apparaissent, ou disparaissent.

Un geste qui se répète, les lumières qui s’éteignent. Et vice versa. Tout est une question de dosage et de choix, parfois de dilemme car il est impossible de tout dire. Une audiodescription n’est jamais parfaite, mais le public de personnes malvoyantes est toujours satisfait. 

Très important, peut-être même, essentiel : toujours rester objective et dans la description pure, donner des éléments factuels, « car l’interprétation peut aller très vite », nous explique à son tour Laurie. Il ne faut surtout pas les infantiliser, c’est à eux d’interpréter, à l’instar de n’importe quel autre spectateur présent dans la salle. « Choisir ce que tu ne décris pas, jusqu’où tu vas quand tu le fais. Le choix des mots utilisés est très important ». 

La concentration, dans leur métier, est à son comble : elles doivent à la fois intégrer en direct le texte lu, rester attentives à ce qui se passe au plateau, penser au timecode qu’elles se sont donné. Il faut avant tout à se mettre dans la peau de gens victimes d’un handicap qu’elles n’ont pas.

La tessiture à employer est également un facteur essentiel. Comme une voix radiophonique, elle doit être assez ténue, grave, douce et posée, car les voix trop aiguës et frénétiques sont désagréables à l’écoute. Afin de communiquer le bonheur d’être là, pour eux et avec eux.

 Il est déjà arrivé que Béatrice s’esclaffe quand le spectacle la fait rire. « C’est agréable pour eux d’avoir accès à nos émotions dans leur réception du spectacle ». Elles ne sont pas comédiennes non plus, et doivent restent vigilantes à garder un ton neutre, tout en évitant l’effet voix de musées. Elles sont pour ce public un guide chaleureux, enveloppant. Tout un équilibre à garder.

TNS audiodescription
© Léa Daucourt / Pokaa

Inclure le public du début à la fin

Pour la pièce Mon absente de Pascal Rambert – à laquelle nous avons eu la chance d’assister pour vivre l’expérience –  les comédiens sont neuf au plateau. Des sms sont envoyés pendant le spectacle et donc lus très vite en direct par l’audiodescripteuse au public atteint d’un handicap. Dans ces cas là, Béatrice, Laurie et leur équipe préviennent les personnes concernées des limites de ce dispositif, leur rappellent qu’ils vont prendre le risque de l’aventure ensemble.

À la fin de chaque représentation, aller à leur rencontre et leur demander les éventuels problèmes relevés est essentiel. Elles insistent : afin de pouvoir s’améliorer, leurs retours sont fondamentaux. 

Leur travail consiste également à savoir nommer les spectateurs, à connaître leur prénoms. L’inverse marche aussi : souvent, les membres du public se souviennent sur quel spectacle ils les ont déjà entendues. Leur mémoire est impressionnante, bien plus développée que la notre.

Même en dehors de cette activité précise, les idées se multiplient pour faciliter la vie des personnes en situations d’handicap visuel comme par exemple faire lire à de belles voix des contenus de pages web, des articles, des descriptions d’images… Tant de  techniques peuvent changer le quotidien de celles et ceux victimes d’un handicap et disposant d’un ordinateur adapté.

Quand le handicap ne nous concerne pas, on se rend bien moins compte que ces solutions existent. Mais si dicter l’invisible était un métier d’avenir ?

Article soutenu mais non relu par le TNS

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