Du haut de ses cent quarante-deux mètres, la flèche de la cathédrale de Strasbourg surplombe la ville depuis près de six cents ans. Strasbourgeois(e) depuis toujours, nouveau/nouvelle venu(e) ou encore touriste de passage… chacun s’est déjà posé la fameuse question : pourquoi n’y a-t-il qu’une seule flèche ? Comme tous les mystères sont voués à être résolus, on s’est penché sur la question et on vous dévoile ici quelques pistes de réponses.
Elle peut être écrasante lorsqu’on se tord le cou pour la contempler depuis la place de la cathédrale, mais aussi réconfortante lorsqu’on l’aperçoit au loin, au terme d’une balade dans les Vosges.
La flèche unique de Notre Dame de Strasbourg définit l’image de la ville et permet à n’importe quel quidam de représenter en quelques traits de crayon cette singularité de la capitale alsacienne.
Si – on le sait – l’humain a par nature tendance à vouloir trouver des réponses aux grandes questions de l’existence, on sait aussi que la vie est faite de choix et de priorités.
Et c’est ce sens des priorités qui conduira n’importe quel(le) Strasbourgeois(e) à mettre de côté des questions futiles, pour se concentrer sur la seule vraie question qui vaut le coup d’être posée : pourquoi n’y a-t-il qu’une seule flèche sur notre cathédrale ? POURQUOI ?!
Pour mettre un terme à ce supplice, on est allé à la rencontre d’une guide conférencière. Exerçant en Alsace depuis près de trente ans, elle a accepté de nous livrer quelques pistes de réponses.
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Il y avait bien deux tours
Reprenons les bases : généralement, une tour, c’est plat. Une flèche c’est pointu. La cathédrale de Strasbourg est pointue : la cathédrale a donc une flèche. Basique.
Si l’on ne peut qu’apprécier la qualité du syllogisme, lorsqu’on se penche sur le cas de Strasbourg, c’est en fait un poil plus développé. En effet, la chronologie de la construction de la cathédrale nous a bien joué… des tours.
À la base, Notre Dame de Strasbourg a la même silhouette que Notre Dame de Paris, elle est même un peu plus petite. Comme notre concurrente copine parisienne, elle est dotée de deux tours (plates, donc).
Encore aujourd’hui, attardez-vous quelques instants sur le parvis, levez les yeux, vous devinerez la silhouette à deux tours, telle qu’elle existait avant la construction du beffroi central.
Si vraiment vous n’arrivez pas à visualiser, on vous file un coup de main :
“La légende raconte que le beffroi aurait été ajouté pour stabiliser le massif occidental à la suite d’un tremblement de terre qui secoua la ville de Bâle” explique notre guide. Elle précise toutefois : “En vérité, il semblerait que le projet de construire une flèche côté nord du massif occidental existait déjà et qu’il fallait le consolider pour pouvoir accueillir cette flèche. On cherche aussi à pouvoir accueillir les cloches énormes de la cathédrale.”
Sur ce côté nord, deux maitres d’œuvre se succèdent alors : Ulrich d’Ensingen construit donc une grande tour octogonale sur laquelle Jean Hülz ajoute la flèche. Cette dernière est achevée en 1439.
Pour récapituler : la cathédrale de Strasbourg avait bien deux tours. Après l’ajout du beffroi, on a érigé une tour plus haute encore, par-dessus laquelle on peut aujourd’hui admirer la flèche si chère à nos cœurs. Si – le plus souvent – on nomme cet ensemble tour-flèche tout simplement “la flèche”, il fut, dans l’Histoire, également appelé “la haute tour”.
L'hypothèse financière et politique
Ces différentes étapes ont mené à l’érection de ce qui fut pendant des siècles la plus haute flèche de la chrétienté (jusqu’en 1874). Mais alors, pourquoi s’être arrêté en si bon chemin ? Un peu de symétrie, ça rend bien pourtant, non ?
On va le voir : bien que tout ne soit désormais plus que suppositions, il y a forcément des raisons qui ont poussé les bâtisseurs à s’arrêter à une unique flèche. Si l’on se fie à un dessin attribué à Hans Hammer (architecte qui a aussi réalisé la chaire), on suppose d’abord une réelle intention de bâtir une seconde tour.
L’abandon du projet serait-il alors davantage lié à des enjeux économiques ou politiques ? “Les deux sont souvent liés” explique notre intervenante. On sait qu’au XVe siècle, la Fondation de l’Œuvre Notre Dame fait face à une importante baisse de ses recettes : “Pour Hans Hammer, l’Œuvre Notre Dame, gérée par les magistrats de la Ville, a décidé de changer le mode de rétribution, réalisant que les maitres d’œuvre étaient très bien payés et avaient beaucoup de privilèges”.
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Pour parler franchement, l’optique selon laquelle “c’est pas la taille qui compte” est assez moderne. Avant, pour essayer de prouver qu’on avait la plus grosse, on empilait des pierres. Sauf qu’à cette époque, la Ville – qui fait face à des difficultés financières – dresse un constat : la flèche de la cathédrale de Strasbourg est la plus haute, et pour longtemps !
Si la notoriété de Strasbourg est déjà à son apogée, est-il rigoureusement nécessaire de continuer à payer le maitre d’œuvre de la même façon ? Par extension, cela valait-il vraiment la peine de construire une seconde flèche ? “Tout cela n’est que supposition historique. Il n’y a jamais une seule explication, c‘est toujours multifactoriel” insiste notre guide conférencière.
Elle insiste vigoureusement sur l’importance de replacer ces éléments dans un contexte global : arrivée du prédicateur Jean Geiler (considéré comme ayant pavé la voie à la Réforme), changement des mentalités, … tant de facteurs qui représentent tout autant de nuances et d’interprétations différentes.
Un problème de fondations ?
Vous avez certainement déjà entendu l’autre explication communément évoquée… Celle des fondations instables : une seconde flèche et boum, plus de cathédrale du tout.
La cathédrale a effectivement été construite sur un sol humide (du fait de la proximité de la nappe phréatique). Il est vrai aussi que le massif occidental est le plus lourd.
Notre guide précise : “Au début du XXe siècle, ce même massif occidental a été stabilisé en injectant du béton sous la façade et dans le pilier intérieur (narthex nord) se trouvant sous la flèche existante… quatorze années de gros travaux. Ceci fait suite à la canalisation du Rhin par Tulla qui a fait descendre le niveau de la nappe phréatique et a asséché le sol donc fragilisé les fondations”.
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Dans un entretien accordé à Actu Strasbourg en 2021, Sabine Bengel, historienne à la Fondation de l’Œuvre Notre Dame, tempère : “C’est, à mon avis, l’hypothèse la moins probable, notamment car les fondations sont les mêmes côté nord et côté sud”.
Autrement dit, si le souci venait vraiment des fondations, la cathédrale n’aurait pas attendu la seconde flèche pour s’effondrer : elle aurait disparu dès l’érection de la première.
À la fin de la guerre de 1870, Strasbourg redevient allemande. À l’époque, les grandes flèches des cathédrales de Cologne et d’Ulm (la plus haute à ce jour) viennent d’être achevées.
La question se pose alors de “terminer” Notre Dame de Strasbourg en érigeant enfin cette seconde flèche. Rapidement, la majorité des acteurs en présence s’opposent à un tel projet, garantissant à notre ville la silhouette de la cathédrale telle qu’on la connait aujourd’hui.
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Difficultés financières, contexte globalement défavorable, fondations peu solides… telles sont les trois hypothèses qui reviennent le plus souvent quant à la question de la flèche unique de Notre Dame de Strasbourg.
On parle bien d’hypothèses ! Eh oui, prenez en compte les différentes nuances concernant les potentiels facteurs externes, l’absence de documentation d’époque quant aux réelles raisons… toutes ces zones d’ombres ne laissent aux experts que la possibilité d’interprétations, qui diffèrent parfois.
Finalement, cette flèche qui rend notre cathédrale si singulière est peut être aussi ce qui la rend si mystérieuse !
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