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Contes et légendes de Strasbourg : le lac sous la cathédrale

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Des sorcières, des licornes, des personnages du Moyen Âge… Peut-être êtes-vous las d’écouter des légendes d’un autre temps. Attendez un instant, laissez-moi remettre une bûche. Là. Parfait. Malgré la chaleur de ce début de mois de juin, rien ne vaut ce doux crépitement pour plonger dans des contes mystérieux.



Alors voilà. Les légendes font partie des histoires que l’on se raconte pour s’assurer d’un passé mystique et rassurer notre présent cartésien. Qu’ils étaient bêtes de croire à cela, dans les temps anciens ! Eh bien consolez-vous, ou plutôt non. J’ai dans ma besace plusieurs légendes urbaines qui ne sont vieilles que de quelques semaines à peine. Et en plein cœur de Strasbourg pour ne pas changer, dans un lac souterrain dont l’accès était supposé être bouché depuis bien des siècles…


Cathédrale Strasbourg © Vivien Latuner

La vidéo touchait à sa fin et la voix parlait par-dessus les images d’un hôtel abandonné depuis bien longtemps, à l’allure de film d’horreur. « Cette exploration était vraiment dingue. Je dois dire que je m’attendais à vivre des choses paranormales, avec tout ce que l’on y voit, mais Saint-Hippolyte a été gentil avec moi. Ce lieu unique tient bien plus d’un chef-d’œuvre historique que d’une attraction à sensation et c’est pour ça que je l’aime tant. Merci de m’avoir suivi, et on se retrouve pour la prochaine urbex ! ».

Mathis, l’air désemparé des mauvais jours, verrouilla l’écran de son smartphone et se tourna vers Inès.

— Tu vois ? Je ne comprends pas. Qu’est-ce qu’elle a de moins bien que les autres celle-là ?
— Tu t’inquiètes pour rien. Et puis ça ne fait même pas une semaine. Les vues viendront.
— Il suffit d’un échec et fini le référencement. Les suivantes auront forcément moins de visibilité.
— Tu abuses peut-être un peu.
— Il faut que la prochaine soit vraiment incroyable pour rattraper. Enfin ! Assez parlé de ça.

Mathis se dressa sur ses deux jambes et profita un instant du paysage nocturne depuis l’escalier de secours de la Haute école des arts du Rhin. Il suggéra à Inès d’en redescendre et d’errer dans les rues de la Grande-Île. Ils passèrent par-dessus les murs de l’école, longèrent les quais et débouchèrent sur la place de la Cathédrale, par la rue du Maroquin.

— C’est la meilleure arrivée sur la cathédrale, disait-il souvent. On ne la voit pas jusqu’au dernier moment, et puis on est écrasé par sa présence, d’un coup.

Ils s’assirent au sol en silence devant la bâtisse. Un vent de printemps soufflait tout autour de la place et rafraichissait leurs joues rosies.

— À chaque fois que l’on observe la façade, nota Mathis, on découvre de nouvelles statues.
— Comme si elles apparaissaient par magie.
— Elles ajoutent au charme de la cathédrale. Elles sont là pour l’éternité au moins. Dans la postérité.

La casquette de Mathis s’envola alors que les rafales redoublèrent d’efforts pour les gifler. Il s’en amusa et la poursuivit sous les encouragements d’Inès. Elle s’était immobilisée à une dizaine de mètres d’eux. En se baissant pour la ramasser, des chuchotements parvinrent aux oreilles du jeune homme. Il cessa de rire. Autour de lui, Inès l’observait, seule. Le vent s’était interrompu lui aussi. Mathis se concentra pour essayer de percevoir à nouveau le bruit. Une plainte lente et grave remonta des entrailles de la terre, si grave qu’on l’entendit à peine. Mathis recula et trébucha dans la précipitation. Il rejoignit Inès.

— Tu as entendu ça ?
— Entendu quoi ?
— Des sons humains, sous le sol. Regarde, j’ai la chair de poule !
— Tu es devenu fou. C’était sûrement le vent qui a soufflé fort dans un trou.
— Ça n’avait rien à voir.
— Ou alors… reprit-elle en adoptant à la légère le ton des conteurs d’horreur. Les hommes enfermés dans le lac souterrain t’appelaient pour que tu les rejoignes… Sauve-toi !

Elle explosa d’un rire moqueur jusqu’à comprendre que Mathis ne connaissait pas cette légende du lac sur lequel était construite la cathédrale. Elle la lui expliqua.

— Des hommes auraient tenté à plusieurs reprises d’en trouver l’entrée, de percer le mystère du lac. Certains n’en sont jamais revenus et leurs camarades les entendaient hurler au cœur de la nuit. L’un d’eux a fait appel à un maçon pour boucher la porte parce que les voix le lui ordonnaient. On dit que le diable y est enfermé.
— Mais c’est ça ! C’est exactement ce qu’il me faut pour me sauver de l’anonymat ! Je dois trouver ce lac.
— C’est une légende. Ce n’est pas réel.
— Elles ont toutes leur part de vérité. Où était supposée être cette entrée ?

Inès se tourna vers l’une des maisons à colombages au coin de la rue Mercière.

— Dans les sous-sols de ce bâtiment. Ou celui d’à côté. Quelque part par là-bas.

Mathis se releva d’une traite, le feu dans son regard.

— Alors c’est parti.

Il se dirigea vers la maison sous les yeux incrédules d’Inès qui n’aurait jamais pu trouver les mots pour le retenir et qui, de toute façon, ne croyait pas aux légendes. Et puis, Mathis fonçait toujours, quoiqu’il arrive. Il atteignit la porte d’entrée de l’immeuble et sonna à tous les noms disponibles. Après une courte attente, malgré l’heure tardive, on lui ouvrit. Il repéra la cage d’escalier vers la cave et y descendit. Plus haut, il entendit la voix d’Inès.

— Fais attention à toi ! Je rentre, moi.

Mathis s’empara de la lampe torche dans son sac à dos et l’alluma. La cave paraissait banale pour le centre-ville. Il promena le faisceau de lumière un peu partout, l’installa sur un rebord de béton et prit son téléphone.

— Je suis ici à la recherche du lac caché de Strasbourg, dit-il à la caméra, où de nombreuses personnes auraient disparu. J’étais sur la place, tout à l’heure, et j’ai entendu des voix. Des vraies voix. Vous me connaissez, je ne suis pas du genre à vous mentir. Alors je descends en temps réel, avec vous. Je vous retrouve de l’autre côté, quand j’en aurais trouvé l’entrée.

Il rangea le téléphone et reprit l’investigation. Une brique de ciment se distinguait de ses voisines par sa couleur. Il s’en approcha. Il la bouscula un peu et découvrit un jeu entre elles. Alors il y alla franco, avec de grands coups de pied. Le muret s’effondra dans un tonnerre fracassant qui ne réveilla personne, par miracle. Derrière, un nouvel escalier, bien plus ancien cette fois. Les araignées y avaient élu domicile et leurs toiles obturaient la vue vers le bas. Les marches en bois semblaient pourries depuis belle lurette. Mathis y posa un pied. L’ouvrage tint bon. Il descendit avec précaution pendant un temps si long qu’il ralluma le téléphone.

— J’ai trouvé un accès caché et je suis en train de plonger. J’ai l’impression d’être dans un roman de Jules Verne et de bientôt déboucher sur un nouveau monde. Ces escaliers ont au bas mot 500 ans, je ne rigole pas. Je déconseille à quiconque de venir sans être entraîné et sans savoir ce qu’il fait. Enfin, cette vidéo devrait vous suffire, je l’espère. Oh ! Attendez, j’ai atteint le plancher des vaches. Ou de je ne sais quel animal qui vit ici. J’aperçois comme une porte. Seulement le cadre, mais on dirait qu’elle est condamnée par de la maçonnerie ancienne. Les outils sont encore là, regardez ! C’est dingue, ils ont été abandonnés en vitesse. Je vais vous déposer là pendant que je tente d’ouvrir.

Théme voyage of life : Manhood, 1842 © Thomas Cole / National Gallery of Art

Mathis trouva un nouveau trépied de fortune et y plaça délicatement la caméra, s’assurant que la porte se trouvait dans le champ de vision. Puis il saisit une masse et recommença ses travaux de démolition. Les coups résonnèrent loin, très loin, dans l’espace de l’autre côté. Le jeune homme se tourna vers l’objectif, le sourire aux lèvres. Sa masse joua à nouveau une musique dans laquelle dansèrent les échos des briques massacrées.

— Je sens que j’arrive au bout ! cria-t-il à l’attention du public fictif.

À peine la première ouverture apparut au sol qu’un serpent plus grand que les jambes de Mathis s’en échappa. Un lézard vint à ses trousses. Il ne se laissa pas effrayer et continua l’ouvrage. Une brique entière se déchaussa et un vent terrible en sortit, souffla sur le téléphone, éteignit le flash. Mathis se retrouva dans le noir. À tâtons, il récupéra son appareil. Il filmait encore.

— Pardonnez-moi ! Bon, j’ai réussi à ouvrir le passage. Je sens vraiment l’humidité derrière. Si ce n’est pas un lac, il y a réellement quelque chose. C’est le moment de vérité.

Il ralluma le flash et, caméra en main, lança son pied dans le muret de briques qui s’effondra. Des crapauds, d’autres serpents et des lézards sautèrent à travers, autour de Mathis et vers les escaliers de bois. Il frissonna.

— Allons-y. Découvrons ce que cache cet endroit.

Quelques pas le menèrent au bord d’une flaque. La faible lumière du téléphone ne lui permit pas d’en mesurer la circonférence, mais c’était un lac, un vrai lac. L’eau était d’huile, trouble, noire comme du pétrole. Quelques clapotis témoignaient d’une vie quelconque, les reptiles et amphibiens si prompts à fuir.

— C’est extraordinaire. C’est le lac dont parlent les légendes. Il est là, devant moi. Je ne sais pas sa taille, mais si je devais deviner…
— Mathis Storck.

Une voix gutturale, caverneuse, enrouée par les siècles qui s’écoulent le coupa. Tous les poils de Mathis se dressèrent. Son cœur remonta dans sa gorge et ses jambes menacèrent de l’abandonner. La caméra filmait le sol, désormais.

— Mathis Storck, répéta la voix, je n’ai pas reçu de visiteurs depuis si longtemps. Je te remercie d’avoir pris le temps de descendre me voir.
— Qui… qui êtes-vous ? Inès… c’est Inès qui vous envoie ?
— Oh, non. Non, non, non. L’arrière-arrière-arrière-grand-père d’Inès n’était pas né que je m’ennuyais déjà ici.

Le mur de brique se recomposa derrière Mathis tandis qu’il essayait de reculer. Le porteur de la voix apparut alors, flottant dans une lumière cramoisie au-dessus de l’eau. Le halo révéla les dimensions de la caverne. Elles égalaient l’intérieur de la cathédrale. La peau rouge et les cornes de la bête divulguèrent à Mathis son identité.

— Le… le diable.
— J’ai terriblement besoin de me divertir.
— Je vous ai libéré de votre prison…
— Ce n’est pas une prison ! s’exclama-t-il. Quand j’ai appris que les Hommes construisaient un tel édifice en l’honneur de l’autre, Là-Haut, j’y ai vu l’opportunité de déménager mes quartiers. Je vis ici, désormais, pour mieux espionner tout le monde. Cet endroit reste le meilleur sur Terre pour cela. Mais qu’ils continuent de croire à cette histoire d’enfermement. Je n’en suis que plus tranquille.

Mathis prit tout son courage pour redresser son bras discrètement et filmer le diable. Ces images le rendraient célèbre.

— Je ne vous sers à rien, alors, tenta le jeune homme. Je vais m’en aller. De quelle distraction avez-vous besoin si vous voyez tout ?
— Oh, tu comprendras bien assez tôt. Mais dis-moi, pourquoi es-tu descendu ici ?
— À la recherche du lac.
— Oui, mais pourquoi ? Laisse-moi te le rappeler. C’est pour la reconnaissance éternelle d’avoir retrouvé ce lieu. Tu veux la postérité auprès des Hommes, je me trompe ? Je peux te la donner.

Mathis réfléchissait à un moyen de fuir. Personne ne l’entendrait hurler. Personne ne viendrait l’aider. Inès ? Le temps qu’elle se rende compte de sa disparition et parte à sa recherche, il serait trop tard. Mais alors qu’il songeait à cela, une raideur gagna sa jambe gauche. Il tâcha de se décoincer, mais elle était paralysée. Le diable s’esclaffa.

— Vous faites quoi ?
— Mon divertissement commence, jeune homme !

Le Val d’enfer Au Pied Du Sancy, 1847 © Paul HUET / Musée des Beaux-Arts de Reims

La jambe droite s’engourdit, elle aussi. Et puis les bras. Le téléphone tomba au sol et l’écran se fissura sur une petite pierre. Tout le buste de Mathis suivit, tout son corps, jusqu’à son visage. Quand ce fut au tour des yeux, il perdit connaissance.

Il se réveilla à la lumière du jour, suspendu à mi-hauteur de la flèche de la cathédrale, penché au-dessus du vide, toujours immobile. Il voulut hurler, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il comprit alors que les bras de pierres qui surgissaient devant lui étaient les siens et que son corps entier était de roche. Le diable l’avait transformé en gargouille. À cette réalisation, comme s’il avait lu dans ses pensées, un vent violent l’éroda un peu. C’était celui qui tournait autour de la cathédrale, la monture du diable. Elle s’avérait être bien plus que cela. Elle était son porte-parole, elle était lui.

— Je t’offre la postérité ! souffla-t-il. Des générations entières vont te prendre en photographie, t’étudier, te décortiquer, te maintenir en vie sans même que j’ai à lever le petit doigt. Tu rejoins le sort de tous les autres qui ont voulu me retrouver. Ils sont exposés là autour de toi, toutes ces statues si réelles. Croyais-tu qu’elles étaient toutes l’œuvre des Hommes ?


Venez à ma fenêtre, observez bien. Mathis Storck est là-bas, dans la flèche. Bien sûr, les choses sont bien faites et ceux qui le voient pensent que cette statue a toujours été présente. D’aucuns disent qu’elle est même présente dans les archives de l’œuvre Notre-Dame. Les apparences sont trompeuses, méfiez-vous, et surtout, surtout, continuez à écouter des contes et des légendes, pour ne jamais vous faire surprendre si vous rencontrez un jour le diable…

Jeremy Martin, le conteur

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