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Place de la Bourse par le photographe Lucien Blumer vers 1930

De 1878 à nos jours : quelle histoire se cache derrière le tramway de Strasbourg ?

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Le tram est une institution à Strasbourg, qu’on l’utilise ou non, qu’on l’aime ou non. Les projets d’extensions en cours, ceux déjà réalisés ces dernières années, ainsi que les mesures phares pour en démocratiser davantage la fréquentation (gratuité pour les mineurs) prouvent à quel point la municipalité y est attachée. Mais le réseau que l’on connait aujourd’hui est en réalité une fraction de ce qu’il était il y a plus de 80 ans. Retour sur ces wagons qui battaient tous les records à Strasbourg, mais aussi dans toutes les villes de France et du monde entier.

Strasbourg, 1848. Vous avez un besoin urgent de traverser la ville et de rejoindre l’un des villages voisins, et par chance, vous avez les poches plutôt bien remplies. Vous entendez parler de ce tout nouveau mode de transport en commun qui vient d’apparaitre cette année-là, les omnibus hippomobiles — carrosses tractés par des chevaux.

Vous vous rendez place Kléber, d’où ils partent tous. Quelle joie ! Vous montez à bord, mais déchantez vite. La distance à parcourir est bien trop longue pour une telle ligne et elle s’arrête donc bien avant votre destination. Vous vous décidez alors à monter sur votre bonne vieille bicyclette. Ou bien vous attendez 30 ans qu’un autre mode de déplacement vienne tout changer.

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Quai des bateliers vers 1930 par Lucien Blumer
Quai des bateliers vers 1930 par le photographe Lucien Blumer (© Archives Municipales de Strasbourg)

Un réseau de tramway à la mode

La première ligne de tramway ouvre le 22 juillet 1878 et relie la porte de Pierre au pont de Kehl. La ville a rejoint l’Empire allemand depuis 8 ans et celui-ci a déjà entrepris une modernisation radicale de la cité, entre nouveaux quartiers et plans de transports en commun. Rapidement, les lignes se multiplient, jusqu’à Hœnheim d’abord, Koenigshoffen ensuite (prolongée quelques années plus tard jusqu’à Wolfisheim, c’est-à-dire ce que propose le projet d’extension actuel de la ligne F) et puis la Robertsau.

Deux lignes supplémentaires, vers Neudorf-Neuhof et Illkirch achèvent cette première version du réseau strasbourgeois, qui n’en est encore qu’à ses balbutiements.

Les wagons sont alors tractés par des chevaux au centre-ville, à la manière des omnibus, mais par des locomotives vapeur en périphérie. Questions de coûts et de temps de transport. Le changement de traction s’effectue dès la sortie de la Grande-Île, comme c’est le cas sur la place d’Austerlitz pour la ligne vers Neudorf, par exemple.

Les tramways sont à la mode partout sur le globe. Bien que le premier réseau de transport en commun au monde soit français, nos chers wagons sont bel et bien importés des États-Unis. Ils se développent rapidement dans les grandes capitales européennes et Strasbourg suit le mouvement. La traction mécanique est vite adoptée, au centre-ville aussi, d’abord à vapeur, puis électrique. Sur cette technologie, l’exposition internationale d’Électricité de 1881, à Paris, a tout changé.

Strasbourg, elle, électrifie son réseau au début des années 1900 via l’entreprise allemande AEG. Le retour à la France en 1918 marque le passage de l’industriel sous séquestre. La CTS est née.

Précurseurs de nos TER ?

Le réseau de tram d’aujourd’hui s’étend sur 77 km pour 8 lignes, dont 2 de BHNS et fait voyager un peu plus de 70 millions de passagers. Ces chiffres font de lui le premier en France. Et pourtant, ils sont bien loin de l’apogée des années 20-30. Le réseau urbain s’étalait sur 83 km en 1937 avec notamment une ligne circulaire (la « Rundbahn ») qui est assurée de nos jours par le bus 10. Oui, mais, à l’époque, le tram sortait de la ville pour aller loin, très loin.

Les lignes périurbaines des années 30 joignaient Breuschwickersheim, Truchtersheim, Ottrott ou encore Erstein (pour aller travailler à la sucrerie directement depuis le centre de Strasbourg). Mieux que ça, la plus longue d’entre elles partait vers le sud, vers Marckolsheim et Colmar. Notre réseau était donc connecté à celui de Colmar. Pratique.

Le tram permettait déjà d’aller en Allemagne (avant le passage de la région à la France et la scission de la part allemande gérée par la CTS à son équivalent germanique). À Kehl, oui, mais aussi plus loin, vers Bühl et même Offenburg.

En totalité, en 1930, le réseau de Strasbourg faisait voyager 55 millions d’habitants sur 234 km d’itinéraires, pour une population presque deux fois moins élevée qu’aujourd’hui.

Plan du réseau de tramway de Strasbourg en 1915
Plan du réseau de tramway de Strasbourg en 1915 (© Archives Municipales de Strasbourg)

Peut-on encore parler de tramway lorsque l’on sort autant de la ville ? Alors que notre réseau de TER semble équivalent au tram de l’époque, il est intéressant de se poser la question. Quelles différences entre un TER et un tramway ? La taille des gares, dans un premier temps, l’accès direct au centre des villes et villages, ensuite.

L’ambition du développement du TER avec le REME s’approche bien de ce que le tramway d’autrefois permettait et l’idée d’un réseau multimodal prend cette idée déjà en place dans les années 20 à un tout autre niveau.

Oui, mais j’attendais combien de temps mon tram ?

Parler de tram sous-entend, presque, une fréquence de 6 à 7 minutes afin de ne pas trop attendre. Or, il est vrai que le réseau périurbain des années 30 offrait peu d’allers-retours : 5 par jour, en moyenne, à l’exception d’une ligne ou deux. Pendant l’occupation allemande, qui a connu un pic d’activité pour gérer les déplacements en temps de guerre, la ligne qui reliait Strasbourg à Ottrott, par exemple, permettait 12 allers-retours, dont un par demi-heure, matin et soir.

Horaires des trams en 1915
Horaires de la ligne Strasbourg-Truchtersheim en 1915 (©Archives Municipales de Strasbourg)

Et un tram étant ce qu’il est, la vitesse de déplacement était aussi bien moins élevée que nos TER : comptez une bonne heure pour parcourir les 15 km de la ligne Strasbourg-Truchtersheim. Le temps de lire un bon livre, d’écouter un bon podcast ou de travailler sur ce projet que vous retardez depuis si longtemps.

Le déclin rapide d’un réseau parti trop tôt

Que s’est-il passé entre hier et aujourd’hui ? L’ancien tramway de Strasbourg a complètement disparu en 1960 pour n’être ressuscité que 34 ans plus tard.

En réalité, le déclin de la fréquentation a démarré à la fin des années 30 qui voient l’apparition des lignes d’autobus et de la voiture personnelle, à tel point qu’un premier plan de remplacement de toutes les lignes de tram est évoqué, mais suspendu avec la Guerre. Le tramway connait son premier sursis.

Pendant les années de guerre, justement, la réquisition du pétrole à des fins militaires fait du tram, électrique, le seul réseau de transport en commun de la ville, mais les dégâts des tirs d’artillerie lors des nombreuses batailles pour la libération de la région seront irrémédiables. La plupart des lignes périurbaines n’y survivront pas.

Finalement, le pétrole coule à nouveau à flots et les projets d’autobus se mettent en place, supprimant les lignes de tramways les unes après les autres. Les usagers se tournent aussi de plus en plus vers la voiture.

Le 1er mai 1960, un cortège d’une centaine de milliers de personnes accompagne les « funérailles » du tram pour son dernier voyage.

La renaissance et le futur

Les bus urbains s’engorgent dans les années 80 et la municipalité réfléchit à une nouvelle solution de transports en commun. Entre ligne de métro léger et tram, la décision prend du temps. C’est lors de l’élection de Catherine Trautmann en 1989 que le choix est fait : ce sera le tramway.

D’importants travaux permettent de mettre la première ligne en œuvre en 1994 : la ligne A. Depuis, le réseau s’étoffe régulièrement. Le F, l’extension vers Kehl ou Koenigshoffen en sont des exemples. Les projets en cours permettront de mailler encore plus la ville et de circuler à peu près dans toute l’Eurométropole, mais nous resterons loin de ce qui a été fait dans les années 20, même avec le REME dont l’ambition est clairement d’améliorer quelque chose qui a fonctionné dans le passé.

Peut-être une idée pour le futur, sachant que nos villages sont de plus en plus denses et peuplés, et qu’un besoin de transports en commun n’a jamais été aussi fort ?

famille tram cts strasbourg
© Hugo Favre - Napoli / Pokaa

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