Le 20 novembre, la Coupe du Monde au Qatar commence. Une compétition qui se déroule en plein automne, et qui pose de nombreuses questions, d’ordre éthique, géopolitique et écologique, à tel point que de nombreuses personnes souhaitent boycotter l’événement. On a discuté avec 5 Strasbourgeois(es) qui ont pris cette décision. Leur particularité ? Ils et elles sont de grand(e)s fans de foot.
Lorsque l’on est fan de foot, la Coupe du Monde représente en général LA grande fête de ce sport. On découvre des équipes et des joueurs que l’on n’a pas l’habitude de voir jouer et on se regroupe dans des bars, entre potes ou en famille, pour suivre les matchs de notre équipe de cœur. Et si les résultats sont bons, on déboule sur la place Kléber chauffée à blanc par l’été strasbourgeois pour fêter tous ensemble quelque chose de plus grand que nous.
Mais cette année, la donne est différente. Une Coupe du Monde en automne, en pleine crise de l’énergie, organisée au Qatar au prix de nombreuses aberrations éthiques et écologiques – les ouvriers morts sur les chantiers et les climatiseurs géants pour les stades, pour n’en citer que deux, ndlr. En réponse, certain(e)s Strasbourgeois(es) ont décidé de ne pas suivre l’événement. On est allé discuter de ce choix avec eux/elles.
Le boycott comme choix contre l’absurdité
Désastre humain et écologique : les raisons du boycott ont largement tourné dans les médias depuis quelques mois. C’est l’argumentaire de François, fan de foot depuis 25 ans et tombé amoureux de ce sport avec France 98 : « Entre l’esclavagisme humain, le nombre de victimes certainement sous-évalué pour la construction des infrastructures, la clim’ dans les stades et les allers-retours en avion pour faire des navettes… c’est un désastre ».
Un argumentaire partagé par Sefkan, amoureux du foot depuis les épopées de Marseille et Monaco en coupes d’Europe en 2003/2004 : « L‘inflation, la crise énergétique et le non-respect du droit du travail et de la dignité des travailleurs font réfléchir sur comment un tel pays a pu obtenir le droit d’organiser la Coupe du Monde ».
Enfin, Nico, fan de foot depuis la Coupe du Monde 98, boycottera également celle de cette année « pour tout ce qu’elle représente ». Pour lui, même si on ne peut plus empêcher l’événement de se tenir, il est possible de faire quelque chose : « Le seul moyen qui reste à ceux qui aiment le foot et qui sont dégoûtés, c’est de boycotter ».
Dernier argument, le Qatar n’est pas un pays de foot. Karim développe : « Je pense qu’ils ne sont pas une nation de football, qui mérite de faire la Coupe du Monde ». De son côté, Sefkan nuance : « Personnellement, cet argument ne m’affecte pas du tout, même si je le comprends. Au contraire, je trouve cela pas mal que des pays auxquels on ne pense pas forcément quand on parle de foot puissent découvrir la Coupe du Monde en l’organisant. Ça avait été le cas de l’Afrique du Sud en 2010 ».
Un dégoût progressif du foot
Cette décision de boycotter la Coupe du Monde provient aussi d’un dégoût du foot, ou tout du moins d’une lassitude, comme pour Nico : « Honnêtement je n’ai aucune hype par rapport à cette Coupe du Monde. Je ne sais même pas quand sont les matchs de l’équipe de France ». Pour François, c’est même tout le monde du sport pro qui est concerné : « Il représente vraiment l’indécence, entre l’argent démesuré, les affaires qui s’empilent… ».
C’est Sefkan qui emploie les mots les plus forts : « Je suis de plus en plus dégoûté par le contexte dans lequel baigne le foot. Par les milliards d’euros qui inondent ce milieu, par les nombreux micmacs de beaucoup de clubs qui contournent la législation pour dépenser des sommes qu’ils ne devraient jamais se permettre de dépenser, et encore par les calendriers de plus en plus chargés des équipes pour satisfaire les dirigeants du foot ne cherchant que le profit aux dépens du spectacle et du caractère exceptionnel d’un match de foot ». Ainsi, excepté les matchs du Racing – courage à lui, ndlr – et quelques moments entre amis à regarder du foot, il n’en regarde plus.
Le Qatar est-il vraiment pire qu’un autre pays ?
Malgré les nombreuses raisons évoquées pour le boycott, une question demeure : est-ce que le Qatar est vraiment pire qu’un autre pays ? Karim se questionne : « Je n’aime pas du tout le Qatar ni le désordre dont ils sont [la cause] au Moyen-Orient, d’où je viens. Mais je pense aussi que le Qatar n’est pas “moins éthique” que d’autres hôtes. Dans la réalité, les pays hôtes avec un palmarès relativement propre sont rares. La maltraitance des travailleurs au Brésil 2014 est flagrante, ainsi que d’autres hôtes qui battent des records dans l’inhumanité dans leurs politiques intérieures et extérieures ». Il évoque ainsi la Russie en 2018, les États-Unis 1994/2026 ou l’Italie de Mussolini 1934.
Et justement, l’exemple russe revient souvent dans la bouche de celles et ceux qui critiqueraient le boycott de la Coupe du Monde. Une réflexion jugée « stupide » par Sefkan : « La Russie était également « boycottable » à l’époque, et je l’avais suivie. Mais je n’avais pas la même réflexion qu’aujourd’hui, et avec le recul, je trouve qu’il y avait quand même moins d’éléments justifiant ce boycott, et loin de moi l’idée de défendre la Russie ».
Une évolution des mentalités
Ainsi, qu’est-ce qui fait que cette fois-ci, les discussions de boycott prennent davantage d’ampleur ? Pour les Strasbourgeois(es) interrogé(e)s la réponse est simple : le changement de mentalité. Nico précise : « La société change et je pense que les gens prennent conscience que c’est une ineptie à tous les niveaux, qu’on peut agir ».
Sefkan développe son cas personnel : « Ce boycott, c’est le résultat de plusieurs étapes successives ; ma réflexion a évolué. À la dernière compétition, j’avais 24 ans, j’habitais chez mes parents, je cherchais du boulot : bref, j’étais encore limite un gamin ».
Néanmoins, si les mentalités évoluent et si certain(e)s ne cautionneront pas la Coupe du Monde en ne la regardant pas, les exemples de personnalités publiques prenant position sont rares. Une « honte » selon Marie : « Je trouve scandaleux que des personnalités du football ne s’insurgent pas sur le sujet et ne brandissent pas un carton rouge. Certains joueurs de par leur carrière n’ont plus rien à perdre et prétendent véhiculer des valeurs d’intégrité humaine. Mais qui ne dit mot, consent ».
Et si la France faisait un beau parcours ?
Si la Coupe du Monde sera boycottée par des Strasbourgeois(es), un problème se pose : que ce passerait-il si la France effectuait un bon parcours ? Pour la ministre des Sports, la barre est placée aux quarts de finale. Pour Emmanuel Macron, ça monte à la demie. De son côté, la Ville de Strasbourg a déjà assuré ne pas mettre en place de fan zone quoiqu’il arrive, décision sans doute motivée par la présence du marché de Noël et des coûts qu’une telle installation engendre.
Pour les Strasbourgeois interrogés, le sujet est un peu compliqué. Déjà, parce qu’il va être difficile de ne pas entendre parler de l’événement. Nico développe : « Je verrai forcément des images sur les réseaux sociaux, à la télé ou autre donc je ne serai pas 100% hermétique à ce qui se passe ».
S’il n’en a pas encore discuté avec ses amis, il imagine déjà la suite : « Si la France fait un beau parcours, possible que mes potes proposent de voir le match chez eux ou dans un bar, est-ce que je vais craquer ? Je ne sais pas ». Un sentiment partagé par François : « Je pense que je risque d’être embêté si la France arrive en demi-finale ».
Car forcément, ces moments se partagent, comme l’explique Sefkan : « C’est un crève-cœur : ne pas suivre le plus grand événement foot avec mes amis, ça me fait clairement chier (sic) ». Néanmoins, sa déception est vite atténuée : « Le fait que ça ait lieu en hiver, ça perd de son charme. Je me vois mal fêter le sacre de la France en doudoune ». La solution est alors toute trouvée : « Je souhaite secrètement l’élimination de la France, pour ne pas être tenté de regarder certains matchs… ».
La Coupe du Monde débute le 20 novembre, avec un alléchant (non) Qatar-Équateur. Le début d’un mois de compétition singulière, avec tous les scandales l’entourant et le fait qu’elle se déroule en hiver. À Strasbourg, la période sera encore plus particulière, en pleine période du marché de Noël, où touristes et Strasbourgeois(es) ne feront plus qu’un. Ce qui est sûr, c’est que l’on s’apprête à rentrer dans un moment commun à aucun autre. Et c’est toujours intéressant à vivre.