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« Être chez soi, ça change pas mal de choses » : à Strasbourg, ils se battent pour le droit au logement

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En mars 2020, la Nuit de la solidarité dénombrait près de 300 personnes à la rue et environ 3 500 en situation d’urgence à Strasbourg. Deux ans de pandémie plus tard, la précarité s’est aggravée dans la capitale européenne et les acteurs de la solidarité sont nombreux à s’en inquiéter. Mais qui sont ces Strasbourgeois.es, ces associations et ces institutions engagées auprès des plus démunis ? À la fin de l’hiver dernier, Pokaa a multiplié les reportages pour tenter d’en esquisser le portrait. Chaque volet de cette série sera consacré à un besoin vital des personnes à la rue. Dans ce cinquième et dernier chapitre, on vous emmène à la rencontre des structures qui permettent de répondre à l’un d’entre eux : accéder à un logement.

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Voyager en Thaïlande. Partir à Londres. Avoir un chien. Des rêves écrits en lettres noires sur un tableau blanc, dans la salle de réunion d’Un chez soi d’abord. Depuis 2019, cette structure accompagne à Strasbourg des personnes en situation de grande précarité souffrant de handicaps psychiques. Chez eux. Dans des appartements qu’elle les aide à trouver, puis à louer. Ici, l’accès au logement est le point de départ du suivi, et non son aboutissement. “Un soin en soi”, pose en préambule François Vincent, cadre coordinateur de la structure.

Expérimentée en France depuis un peu plus de dix ans, la politique sociale du “logement d’abord” est née aux États-Unis dans les années 80. “Des rescapés de la psychiatrie ont imaginé un mode de prise en charge entre pairs, retrace François Vincent. Ils ont monté des structures autogérées centrées sur les besoins des personnes accompagnées.” Objectif : améliorer le bien-être des patients en partant de ce que cela signifie pour eux. De leurs envies et nécessités.

Ce dispositif a ensuite été orienté plus largement vers l’accès au logement pour les personnes sans-abri dans les années 90, avant d’arriver en Europe au début des années 2000, puis en France. Le postulat reste le même : faire avec la personne accompagnée plutôt que de faire pour, au nom de, dans l’intérêt de, selon des normes qu’elle n’aurait pas définies. Qui ne lui conviendraient pas.

Strasbourg solidaire grande précarité
Un chez soi d’abord possède des financements qui permettent aux locataires de réaliser un projet  de leur choix. © Adrien Labit / Pokaa

“Le logement, c’est le premier traitement”

En France, la politique du “Housing first” a donné naissance à deux types de dispositifs. Le logement d’abord, accompagnement social dédié aux personnes en situation de grande précarité de manière générale. Et Un chez soi d’abord, tourné plus spécifiquement vers les personnes nécessitant une prise en charge psychiatrique. Une situation loin d’être anecdotique : selon l’étude Samanta menée en 2009 par le Samu social de Paris, plus de 30% des personnes sans-abri souffrent de troubles psychiatriques sévères.

Par ailleurs, si [elles] ont eu, pour plus des deux tiers d’entre elles, un recours aux soins psychiatriques au cours de leur vie, la majorité de ces personnes ne sont plus suivies : le maintien dans le soin s’avère problématique”, est-il observé. D’abord développée à Paris, Lille, Toulouse et Marseille, Un chez soi d’abord a aussi fait l’objet d’une étude sur quatre ans. 80% des personnes accompagnées se maintiennent dans leur logement, se réjouit François Vincent. Et bénéficient donc d’un suivi.

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Chaque journée commence par une réunion d'équipe à laquelle l'ensemble des professionels sont conviés. Objectifs : préparer les visites et échanger sur les dossiers. © Adrien Labit / Pokaa

Autour des tables ce matin-là, un médecin psychiatre, des éducateurs spécialisés, une stagiaire en économie sociale et familiale, des infirmiers et un pair aidant. En pleine préparation des visites de la journée. À Strasbourg, Un chez soi d’abord accompagne actuellement 65 locataires que les équipes passent voir une fois par semaine en moyenne, selon les besoins.Chaque personne choisit son créneau”, précise François Vincent.

Un coup de fil avant de se mettre en route et direction la périphérie de la ville avec Hassan Meghzila. Ancien schizophrène, l’homme œuvre au sein d’Un chez soi d’abord en tant que pair aidant. Il écoute et conseille, fait partager son expérience, son vécu de personne ayant été confrontée à des troubles psychiques. Auprès des locataires comme de ses collègues, dans l’objectif, toujours, d’améliorer la prise en charge des personnes accompagnées.

À la sortie du tram, Hassan sonne chez Werner. Sur la sonnette, aucune mention d’Un chez soi d’abord. L’homme est ici chez lui. Un canapé, une télé, un pouf. La discussion s’engage avec Hassan sur les projets du moment. L’envie de faire du bénévolat, de reprendre des cours de langue. La solitude, aussi, qui lui pèse au quotidien. Werner finit par revenir sur son histoire.

“J’ai été SDF deux ans. Je me suis fait jeter d’une structure où j’étais pris en charge. J’ai fait deux sevrages physiques à l’alcool, pour lesquels j’étais suivi aux hôpitaux de Strasbourg. L’Udaf [Union des associations familiales, NDLR.] a fini par faire une demande d’hébergement Chez soi d’abord. En attendant, j’ai vécu en hôtel 115 et dans une structure Adoma où tout était en commun. Ça ne s’est pas très bien passé : je cohabitais avec personne… irritable disons. J’ai commencé à visiter des appartements en août et j’ai signé pour celui-ci le 28 octobre (2021).”

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Werner et Hassan discutent des projets du locataire. Ce jour là, l'accompagnement prend la forme d'un échange informel sur les préocupations de Werner. © Adrien Labit / Pokaa

À partir de l’entrée dans le dispositif, Un chez soi d’abord s’engage normalement à proposer un logement sous huit semaines. Mais à Strasbourg, “c’est compliqué, explique Émilie Gervais, éducatrice spécialisée en lien avec le gestionnaire locatif. Nous cherchons de petites surfaces. Il y en a peu dans le parc social, et elles restent chères dans le parc privé.” Certains propriétaires se montrent par ailleurs frileux, malgré les garanties offertes par GALA-Arsea, – structure en charge de l’intermédiation locative sur ce projet – en matière d’impayés.

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À côté de Lisa Callegher, conseillère en économie sociale et familiale, une peluche. Depuis qu'elle a intégré un logement, la compagne de Mohammed a récupéré la garde de sa fille. © Adrien Labit / Pokaa

Nouvelles séries de visite en binômes, l’après-midi cette fois. Direction la Krutenau. Tentures et estampes japonaises aux murs, bibelots sur les meubles, table basse… Mohammed* et sa compagne vivent ici depuis deux ans. Mis à l’abri à l’hôtel Pax pendant le premier confinement, le couple a entendu parler du dispositif grâce à l’EMR – Voir deuxième épisode de notre série.

Ils m’ont sorti de la rue, se souvient Mohammed*. Avant, j’entrais et je sortais d’hôpital psy. C’était la seule façon pour moi de me mettre à l’abri. Le reste du temps, je vivais sous le pont de la République. Quand on nous a proposé l’hôtel, pendant le covid, je ne voulais pas au départ. J’avais perdu confiance. Finalement, c’est ce qui m’a permis d’arriver ici. C’est le destin.” La santé ? “Ça va. Mieux. Le logement, c’est le premier traitement. Et ça marche bien.

“On est tous sur le bail”

En France, le processus classique de sortie de la rue fonctionne en escalier, étape par étape. Les personnes sans-abri sont dirigées le plus souvent vers des Centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Le fonctionnement varie d’un établissement à l’autre, mais ces structures posent un cadre, un ensemble de règles visant notamment à faciliter la vie en communauté.

La consommation de drogue et d’alcool y sont le plus souvent prohibées. Et les personnes accueillies doivent respecter un contrat de prise en charge pour voir leur hébergement renouvelé. Montrer patte blanche à chaque étape, avant de pouvoir intégrer un logement social individuel et autonome. La politique du logement d’abord s’inscrit à rebours de ce fonctionnement.

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Contrairement à de nombreuses structures l'Îlot permet aux locataires de vivre avec leurs animaux. Il n'est pas rare qu'ils s'entraident pour les garder. © Adrien Labit / Pokaa

À Strasbourg, l’Îlot a été la première structure à s’en revendiquer. Installé au Port du Rhin depuis 2018, cet hébergement accueillait en avril dernier huit personnes avec de longs parcours de rue. Des addictions aussi, pour certains. À l’origine de ce projet : “Un collectif de citoyens agissant à titre individuel. Des anciens d’Abribus et de Médecins du monde notamment”, retrace Florian Gesnel, directeur de l’association en charge de la structure.

Pour nous, le logement est un droit et une porte d’entrée dans l’accompagnement. Quand tu es posé, tu peux te poser la question de ton projet de vie, de ton comportement, ou de ta consommation si tu prends des produits. Mais il faut un endroit sécurisant pour pouvoir faire ce travail.

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Will est arrivé à l'Îlot après s'être fait voler toutes ses affaires, il est hébergé par l'un des locataire. Une possibilité offerte par la structure. © Adrien Labit / Pokaa

Comme pour Un chez soi d’abord, les locataires sont ici au cœur du projet. Consultés à travers un conseil des habitants. Invités à aménager leur lieu de vie. À en définir les règles. Ils ont la possibilité d’y héberger des amis s’ils le souhaitent. D’y vivre avec leurs animaux aussi. Pas de contrat de prise en charge : les personnes accueillies à l’Îlot peuvent y rester le temps qu’elles le souhaitent.

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En plus de la colocation, l'immeuble rue de Lübeck accueille des travailleurs sociaux. Ces derniers sont là pour accompagner les locataires. © Adrien Labit / Pokaa

Benjamine des habitants, Lucie Bon est arrivée à l’Îlot en juillet 2021, après un passage dans un logement d’insertion individuel. “Ce n’était pas pour moi, se souvient-elle. J’avais du mal à m’en occuper. Ici, j’ai juste une chambre, c’est plus facile pour l’entretien.” Autre difficulté : le fonctionnement des lieux. Le logement en institution, ça peut être vachement infantilisant quand tu as vécu à la rue, poursuit-elle. Tu ne peux pas inviter quelqu’un comme tu veux. Tu ne te sens pas vraiment chez toi.

La jeune femme a donc choisi de quitter la structure pour revenir à la rue. “J’ai vécu en squat quelque temps. J’avais une assistante sociale à l’Étage [une association, NDLR], mais mon suivi était parcellaire. Je ne venais pas aux rendez-vous parce que j’avais toujours des trucs à faire. J’y allais quand mon squat fermait ou quand ma situation changeait. Mais j’ai fini par me décourager. Y aller trois heures à chaque fois pour que rien ne change derrière… ”

Lucie Bon a finalement trouvé son équilibre à l’Îlot. “Être chez soi, ça change pas mal de choses, sourit-elle. Ici, on est tous sur le bail. On se sent légitimes à être là. Entre nous, on l’appelle la coloc.” Celle qui vient de passer le permis grâce à l’association apprécie le côté intimiste de la structure. “On est un petit comité. Ça facilite la communication et la compréhension.” Elle se prépare toutefois à vivre seule, dans le camion aménagé qu’elle est en train de retaper. “Bientôt, je pourrais laisser ma place à l’Îlot à quelqu’un d’autre.

* Les prénoms ont été changés

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Fort de son expérience, l'Îlot vient de faire une demande pour ouvrir des places supplémentaires. © Adrien Labit / Pokaa

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