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Contes et légendes d’Alsace : les fantômes de Finkwiller

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Les légendes alsaciennes sont nombreuses et vous les conter autour de ce feu de cheminée me remplit de joie. Mais nous nous sommes un peu éloignés de cette belle ville de Strasbourg alors qu’elle n’est pas en reste concernant les histoires sombres et effrayantes. Tenez, prenez les simples récits de fantômes. On en trouve partout. Mais un quartier de la ville semble les concentrer bien plus que les autres.


À Finkwiller, on en aperçoit régulièrement de-ci de-là. Entre le tonnelier véreux qui expie ses tromperies pour l’éternité, la nonne qui erre sans but, le cœur brisé par un amour impossible, ils sont nombreux. On y rencontre même des animaux poursuivis par le malin. Mais la vérité, c’est que l’un de ces fantômes les lie tous. Si ce quartier connaît autant d’histoires à hérisser le poil, c’est qu’il y a une raison. Et aujourd’hui encore, certaines personnes l’apprennent à leurs dépens.




Bateaux-lavoirs Quai des pêcheurs, aujourd’hui Finkwiller © auteur inconnu / archi-wiki.org



Marta trébucha dans les pavés de la place Saint-Thomas. « C’est la dernière fois que je bois », se dit-elle en riant de cette promesse prononcée cent fois. Fatiguée d’avancer au ralenti et hâtive de rentrer chez elle, de l’autre côté de l’Ill, elle déchaussa ses talons et les saisit de ses mains moites. Les pieds nus, bientôt noirs de la crasse de minuit, elle se remit en route, titubant de gauche et de droite. Elle trouva le coin de l’Église et aperçut enfin le pont qui la ramènerait saine et sauve. « Encore quelques mètres, allez ».

Le brouillard de l’alcool s’épaissit soudain. Marta s’adossa quelques instants le long du grès rose du monument gothique. Elle posa son regard sur un repère fixe, une demi-douzaine de vélos accrochés à leurs arceaux dans la ruelle d’en face, et s’essaya à une mise au point. Lentilles photographiques défectueuses, ses yeux n’y parvinrent pas. Elle les plissa. Elle loucha. Elle inspira comme pour oxygéner une partie de son corps sur le départ, mais le flou demeurait, traître si près du but. Le peu de conscience que son cerveau lui offrait encore prit le relais. « Alors, si l’œil gauche part dans cette direction, et le droit dans celui-là, si j’avance ainsi ce sera tout droit ». Marta parvint à gravir sur le pont Saint Thomas, sans jamais avancer droit.

Un homme bien plus ivre qu’elle remonta du quai, derrière l’ancien palais de la Monnaie, aujourd’hui école maternelle, et l’interpella. Marta accéléra le pas. La voix la suivit et se rapprocha. Puis, plus rien. Saoule, mais consciente de la trop abrupte disparition de l’individu, Marta se retourna. Il n’y avait plus personne. Il aurait dû se trouver sur le pont. S’il était tombé à l’eau, elle l’aurait entendu. Non ? Aucun de ses sens ne l’aidait plus désormais. Même sa vue semblait la tromper peu à peu, car un vrai brouillard s’abattit autour d’elle. Pas de ceux causés par l’intoxication à l’alcool, mais bien de ceux qui couvrent les plaines désolées les soirs de mauvais temps. Un nuage froid et humide se colla à sa peau. Et une main glaciale, dégoulinante de fluide étrange, à moitié dépecée se posa sur son épaule. Le cri de Marta aurait résonné jusqu’à la cathédrale s’il n’avait pas été étouffé par la peur. Elle se jeta en avant, tomba au sol. L’homme à la main morte flottait dans les airs. Elle voyait à travers ses vêtements du Moyen Âge. Son visage transpirait la malveillance. Il essaya de s’approcher, mais Marta rampait à reculons, ne le perdant pas de vue.

— Une chope de vin, lui cria-t-il à la figure d’une voix rauque, et une chope de bière se mélangent bien !

Marta ne chercha pas à comprendre, se releva, mais une bourrasque la cloua au sol. Le brouillard tournoyait autour d’elle en une tornade cauchemardesque. Des bruits de sabots lui parvinrent de l’autre rive. Un cheval lancé au galop leur fonçait droit dessus. Il était tout autant en décomposition que le vieux fou au point que là où aurait dû se trouver une patte, un seul moignon de chaire pendait encore.

— Laissez-moi ! hurla Marta.

Elle traversa le pont à la hâte et gagna le parc du quai Finkwiller. Là, elle aperçut une dame au bord de l’eau et se sentit sauvée.

— S’il vous plait, lui implora-t-elle, j’ai trop bu. J’ai des hallucinations, je crois qu’on m’a drogué. Accompagnez-moi aux pompiers, juste là, je ne suis pas certaine d’y arriver seule.

La femme continuait ses affaires. Marta, s’approchant encore, découvrit qu’elle lavait des vêtements dans l’eau de l’Ill.

— S’il vous plait, insista-t-elle, perplexe.

Les lavandières de la nuit \1861\ © Yan’Dargent (Musée des Beaux-Arts de Quimper)


La dame se retourna alors et tout l’alcool présent dans le corps de Marta s’envola aussitôt. Un sourire découpait le visage d’une oreille à l’autre. Ses yeux tachaient de sang sa peau blanche jusqu’au menton et elle aussi, perdait des morceaux de chair ici et là. Marta voulut s’enfuir, mais le spectre était plus rapide. La lavandière lâcha tous les vêtements et agrippa la jeune femme au cou. En quelques secondes, elle se retrouva la tête sous l’eau, incapable de remonter à la surface. À la limite de l’évanouissement, la revenante lui tira les cheveux en arrière d’un coup sec. Marta inspira si violemment qu’elle en vomit presque. Tout ce qu’elle put entendre, ce furent les rires aigus, de plaisir, que la lavandière produisait. Le manège recommença. Sous l’eau. En dehors. Lorsque Marta ouvrit les yeux entre deux noyades, elle aperçut le cheval à trois pattes, l’homme saoul, et une nonne blanche comme neige elle aussi, debout sur le pont, immobiles, le regard fixé dans sa direction.

Après une éternité de torture, la lavandière arrêta de rire. Elle enfonça la tête de Marta sous l’eau et ne la ressortit plus jamais. La jeune femme se débattit, mais elle luttait avec l’énergie de quelqu’un poursuivi à l’infini dans ses cauchemars. Et puis l’air lui manqua pour de bon. Sur le pont, là-haut, les trois fantômes reprirent leur route comme si de rien n’était. Le brouillard se dissipa, et le soleil se leva sur l’Ill.

***

La journée de travail d’Ali s’était prolongée jusqu’à pas d’heure. On approchait minuit et le jeune homme fonçait sur son vélo pour rejoindre sa compagne, dans leur tout nouvel appartement du centre-ville. Il remontait la rue Finkwiller à la seule lumière de sa dynamo quand une bourrasque lui fit perdre l’équilibre à l’approche du pont Saint-Thomas. Un cheval à trois pattes le doubla à une vitesse folle et une odeur de putréfaction semblait le suivre. Sur le pont, une nonne lévitait à quelques centimètres du sol et le regardait passer avec luxure. Un homme ivre, fantomatique, chantait les louanges de la bière et du vin. Une jeune femme tout aussi alcoolisée, pâle, trempée de la tête aux pieds et la peau en décomposition titubait sur le pont, s’écrouler de temps en temps avant de se relever. Ali chuta de son vélo. Il voulut s’enfuir, mais un brouillard épais se leva, si épais qu’il ne se repéra plus. Il errait sur le quai à la recherche d’une issue. Une lavandière, en bas du parc, au bord d’une eau pleine de vêtements et de sang, se tourna vers lui et sourit.


Ali, bien sûr, n’a pas réussi à s’échapper du piège tendu par la lavandière. On l’aperçoit encore sur les rives de l’Ill, comme depuis des centaines d’années. Qui est-elle ? Pourquoi force-t-elle les âmes innocentes à errer à ses côtés dans les limbes, pour l’éternité ? Évidemment, j’ai la réponse, quelque part, dans mes souvenirs. Si vous revenez dans ce salon, je vous la donnerai, pour votre sécurité. En attendant, si vous vous promenez tard le soir, dans ce quartier de Finkwiller, faites bien attention à ne pas trop vous en approcher. Certains fantômes sont des victimes inoffensives. D’autres, des bourreaux terribles.

Jeremy Martin, le conteur
Compte Instagram : jeremy.auteur

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