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Contes et légendes d’Alsace : la fabuleuse histoire du Dahu des montagnes

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Les contes et les légendes que l’on se raconte d’une région à l’autre se ressemblent bien souvent. Pour certaines, ce n’est que hasard des mots transportés par les vents au-delà des paysages. Mais pour d’autres, les chroniqueurs avisés tels que votre serviteur parviennent à en faire remonter l’origine à un seul évènement très localisé. Étrangement, et, bien entendu, sans être chauvin pour un sou, un grand nombre d’entre elles se déroule en Alsace… C’est par exemple le cas de cette bête des montagnes que l’on retrouve partout en France : le dahu.




Les quatre hommes trinquèrent avec force, souillant la table de la taverne de cette bière aigre et chaude qu’ils affectionnaient tant. Ce moment évoquait pour eux le calme d’un rituel de fin de journée, après l’avoir passée dans les prés avec leur bétail. Vaches, chevaux, cochons ou moutons, chacun possédait son troupeau et ils en étaient devenus les maitres du village. Jusqu’à ce qu’Anceline arrive.

— Vous l’avez vu aujourd’hui, parcourir les alentours comme s’ils lui appartenaient ?
— Et ses moutons ont l’air tellement mal en point. Si gros qu’on dirait des oies aux abords de Noël.
— Il faut qu’on s’en débarrasse ou bien elle me prendra tous mes clients, s’indigna le berger.
— Si on lui faisait le coup de la bête à traquer ? Avec les sifflements étranges et tout le lot d’idioties habituelles. On se cachera dans la forêt avec les villageois et sa honte la forcera à fuir. Et nous, nous aurons bien ri.
— Cela a déjà marché par le passé. Je suis pour.

Anceline était une bergère vagabonde. Elle possédait un cheptel de quelques couples seulement et arpentait les plaines dans l’espoir de revendre la laine. Son arrivée en Alsace l’avait changé. Elle avait voulu s’installer là pour de bon, au déplaisir des éleveurs locaux.

Justement, elle passait elle aussi par la taverne au coucher du jour. Les hommes l’encerclèrent et lui intimèrent de débarrasser le village de cette bête qui aurait attaqué chacun de leurs troupeaux.

— Et pourquoi n’y allez-vous pas vous-même ? leur répondit-elle. Elle n’a pas agressé mes moutons.
— Nous avons tout essayé, mais nos manières sont trop brutales et trop bruyantes. Peut-être une personne plus fluette comme toi y parviendra mieux.

Le dahu de profil (©valdesina.it)

Anceline décela quelques rires cachés chez les paysans, mais aussi chez les autres clients. Elle aimait cette région de tout son cœur et elle aurait tout fait pour prouver à ses habitants qu’elle avait sa place ici. Elle accepta l’expédition. On lui tendit un sac en toile aussi grand qu’elle et on lui communiqua les instructions de la chasse au dahu. Siffler, hurler son nom, l’attraper avec le sac. Rien de plus facile.

Elle partit en direction des sommets, suivie à son insu par deux douzaines de villageois. Elle évolua d’abord entre les pins vosgiens denses et odorants. Elle criait « Dahu ! Dahu ! » et l’on riait de sa naïveté. Elle sifflait comme un oiseau malade et l’on riait encore. Le manège avançait bien dans la forêt, gagnant de l’altitude, mais toujours aucun signe de la bête. Tard dans la nuit, lorsque tout le monde en eut assez de voir la pauvre bergère s’enliser dans la honte, les villageois rentrèrent. C’est à ce moment qu’Anceline aperçut les premières traces de pas.

Elle n’avait jamais vu cela. Des sabots en parallèle, à flanc de montagne, comme si la bête ne changeait jamais de direction et évoluait contre la pente. Elle les suivit et se retrouva sur l’autre versant, juste sous le sommet du Donon. L’aube pointa le bout de son nez et éclaira des prairies dénudées idéales pour ses moutons, bien que les vents y balayassent un peu trop la végétation. Et puis au-dessus d’elle, une sorte de chèvre bien plus petite que la moyenne broutait paisiblement. Ses pattes gauches étaient moitié moins longues que les autres. Les poils de son garrot léchaient le sol terreux. Ses yeux exorbités semblaient ne pouvoir regarder que dans une seule étroite direction. Était-ce possible qu’une créature si niaise ait attaqué qui que ce fût ? Anceline se positionna et l’appela de son nom.

— Dahu !
— Plait-il ?

La bête réagit en se retournant et trébucha maladroitement. Elle dégringola la pente, s’emmêlant tous les poils. Anceline, le sac ouvert, la cueillit.

— Ouf ! Je vous remercie, gente dame. Vous m’avez surpris, cela m’arrive à chaque fois !
— Je vous en prie, répondit Anceline, déboussolée.

Etude morphologique de Dahus rupicapra vacca montanus (vue de face), 2015, ©Patrick Leroy

Le jour était complètement levé maintenant. La bête et elle discutaient assises en travers du versant. Il s’avéra qu’elle n’avait bien sûr attaqué aucun animal et qu’elle était même agréable à côtoyer, distinguée et cultivée, très au fait des problèmes du monde. Anceline, au soir venu, l’appela son ami. Elle lui proposa de l’embaucher pour s’occuper de ses moutons, de parcourir la région ensemble et de continuer leur aventure en bonne compagnie. Le dahu accepta. Anceline confectionna rapidement des petites échasses de bois pour qu’il puisse se déplacer en terrain plat.

Ils rentrèrent et Anceline s’attendit à être accueillie en héroïne, mais les villageois furent sous le choc. Ils ne se doutaient même pas que la bête existait, et ils s’en emparèrent en moins de temps qu’il fallut au dahu pour leur dire bonjour. Ils l’enfermèrent dans le cellier de la taverne, s’esclaffant de sa chute des échasses. Ils allumèrent le feu de la rôtisserie et s’installèrent à table. La boisson coula à flots.

Anceline ne put agir que lorsque tous furent intoxiqués par l’alcool. Elle contourna l’établissement et entra dans la prison de son ami par l’ouverture. Elle le libéra de son malheur et ils s’enfuirent ensemble vers les Vosges, sous le couvert de la nuit naissante. S’estimant assez loin des villageois, ils soufflèrent.

— Dahu, lui dit-elle. C’est un déchirement que de dire cela, mais tu dois partir. Écume toutes les montagnes de France et d’ailleurs s’il le faut, mais tu dois te trouver un coin tranquille et disparaitre du paysage des Hommes. Ce sort te sera réservé partout, j’en ai peur.

Le dahu acquiesça et s’en alla. Anceline ne le revit jamais, mais les échos de son passage résonnèrent depuis les Alpes, le Massif central, les Pyrénées et bien d’autres montagnes encore.


Jeremy Martin, le conteur
Compte Instagram : jeremy.auteur

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